TEXTE COMPLET PARAGRAPHE 1 PARAGRAPHE 2 PARAGRAPHE 3 PARAGRAPHE 4 PARAGRAPHE 5 PARAGRAPHE 6 PARAGRAPHE 7 PARAGRAPHE 8 PARAGRAPHE 9 VOCABULAIRE D’ÉPICURE

Lettre à Ménécée : paragraphe 7

La lettre à Ménécée est un texte d’Épicure, philosophe grec qui a vécu de -341 à -270. Il a fondé une école à Athènes, le « Jardin », qui présentait la spécificité d’accueillir parmi ses élèves des femmes et des esclaves.
Sa philosophie, que l’on peut qualifier de matérialiste (toute chose est composée de matière), comprend une physique atomiste (la nature est composée d’atomes et de vide), une théorie de la connaissance empiriste (une connaissance n’est vraie que si elle est validée par nos sens ) et une morale eudémoniste (la recherche du bonheur est le but ultime de la vie humaine) s’appuyant sur un hédonisme (le plaisir est le bien naturel de l’homme). Pour Épicure la recherche du plaisir est un moyen au service de la recherche du bonheur.
La lettre à Ménécée rappelle les principes de la morale d’Épicure, les conditions pour atteindre le bonheur, que l’on résume dans le « tétrapharmakon », le « quadruple remède » :

  • les dieux ne sont pas à craindre,
  • la mort n’est pas à craindre,
  • le bonheur est possible et facile à atteindre,
  • la souffrance est momentanée et peut être supportée.

[7] « C’est un grand bien à notre avis que de se suffire à soi-même, non qu’il faille toujours vivre de peu, mais afin que si l’abondance nous manque, nous sachions nous contenter du peu que nous aurons, bien persuadés que ceux-là jouissent le plus vivement de l’opulence qui ont le moins besoin d’elle, et que tout ce qui est naturel est aisé à se procurer, tandis que ce qui ne répond pas à un désir naturel est malaisé à se procurer. En effet, des mets simples donnent un plaisir égal à celui d’un régime somptueux si toute la douleur causée par le besoin est supprimée, et, d’autre part, du pain d’orge et de l’eau procurent le plus vif plaisir à celui qui les porte à sa bouche après en avoir senti la privation. L’habitude d’une nourriture simple et non pas celle d’une nourriture luxueuse, convient donc pour donner la pleine santé, pour laisser à l’homme toute liberté de se consacrer aux devoirs nécessaires de la vie, pour nous disposer à mieux goûter les repas luxueux, lorsque nous les faisons après des intervalles de vie frugale, enfin pour nous mettre en état de ne pas craindre la mauvaise fortune. »

Après avoir montré dans l’introduction de la lettre que le bonheur est pour l’être humain le bien suprême, celui vers lequel tendent toutes nos actions, Épicure a établi dans les parties suivantes les deux premiers préceptes du tétrapharmakon (« les dieux ne sont pas à craindre » et « la mort n‘est pas à craindre »), éliminant ainsi deux sources d’angoisse qui empêchent l’être humain d’accéder au bonheur. Puis il a présenté une classification des désirs et montré que plaisir et souffrance doivent être soumis au jugement de la raison grâce à un « calcul des plaisirs ».
Dans cette partie de la lettre, Épicure présente la notion d’« autosuffisance » (parfois aussi traduite par « autarcie »), c’est-à-dire de limitation de nos désirs à ce qui est nécessaire à notre bonheur et que l’on peut aisément satisfaire, comme un des moyens permettant de satisfaire aux deux derniers préceptes du tétrapharmakon (« le bonheur est possible et facile à atteindre » et « la souffrance est momentanée et peut être supportée »).

Épicure commence par poser que l’autosuffisance est « un grand bien ». Puisque le bien suprême est le bonheur (c’est-à-dire selon Épicure l’ataraxie, l’absence de trouble de l‘âme), on ne peut considérer comme un bien que ce qui favorise ce bonheur. L’autosuffisance est donc un moyen d’accéder au bonheur ou de le conserver. Mais l’autosuffisance n’est pas un bien en soi (« non qu’il faille toujours vivre de peu ») – contrairement à l’idée que s’en font les stoïciens dont l’école (le Portique) est créée à Athènes quelque années après le Jardin.

Pour Épicure,  l’autosuffisance est « un grand bien », favorise le bonheur, pour trois raisons.

  • Tout d’abord l’autosuffisance évite de prendre de mauvaises habitudes, celles du luxe ou de l’excès, celles qui déterminent ce qu’Épicure a qualifié, dans sa classification des désirs, des « désirs vains ». Les hasards de la vie pourraient en effet nous priver des moyens de satisfaire ces désirs et donc nous soumettre à la souffrance du manque, de la frustration. Il faut donc que « si l’abondance nous manque, nous sachions nous contenter du peu que nous aurons ».
  • De plus, le plaisir que l’on peut avoir à profiter de l’opulence, de la richesse, sera d’autant plus intense que nous n’en avons pas besoin. L’opulence occasionnelle constituera alors éventuellement un surplus de bien-être, compatible avec notre bonheur, alors que si nous devenons dépendant d’elle, elle sera une constante source de manque et de frustrations : « ceux-là jouissent le plus vivement de l’opulence qui ont le moins besoin d’elle ».
  • La troisième raison avancée par Épicure fait valoir que  « tout ce qui est naturel est aisé à se procurer, tandis que ce qui ne répond pas à un désir naturel est malaisé à se procurer ». Autrement dit les « désirs naturels et nécessaires pour la santé du corps et de l’âme » (comme il les nomme dans sa classification) peuvent aisément être satisfaits, contrairement aux désirs vains (de richesse, d’honneurs, etc.) qui impliquent des activités économiques ou sociales de longue haleine pour les satisfaire.

Selon Épicure, le principe de l’autosuffisance est celui de la frugalité : il faut savoir se contenter de peu. Et cela n’est pas difficile puisque « des mets simples donnent un plaisir égal à celui d’un régime somptueux » dans la mesure où ils ont l’effet recherché, à savoir la suppression de la douleur causée par la faim. Ainsi « du pain d’orge et de l’eau procurent le plus vif plaisir à celui qui les porte à sa bouche après en avoir senti la privation ».

Du point de vue de la recherche ou de la conservation de l’ataraxie (de la tranquillité de l’âme), se contenter de peu présente de multiples avantages :

  • de « donner la pleine santé » contrairement aux excès de nourriture ou d’alcool….
  • de « laisser à l’homme toute liberté de se consacrer aux devoirs nécessaires de la vie » : le temps qui n’est pas perdu dans des activités inutiles pour le bonheur, peut être investi dans d’autres domaines tels que les relations d’amitié, d’amour, ou la vie familiale…
  • de « nous disposer à mieux goûter les repas luxueux, lorsque nous les faisons après des intervalles de vie frugale » puisque l’habitude affadit progressivement le plaisir, fait même éventuellement disparaître le désir, alors qu’au contraire la rareté d’un désir ou d’un plaisir lui conserve son intensité…
  • de « nous mettre en état de ne pas craindre la mauvaise fortune », autrement dit d’éviter l’angoisse de l’avenir puisque, avec un minimum de ressources, nous aurons toujours les moyens de satisfaire les besoins nécessaires à la santé de notre corps et de notre âme, et donc d’être malgré tout heureux.

Dans cette partie de la lettre, avec le principe d’ «autosuffisance », de frugalité, Épicure a donc présenté un second moyen (après le calcul des plaisirs) permettant de prendre en compte le troisième précepte du tétrapharmakonle bonheur est possible et facile à atteindre »). Dans le paragraphe suivant, il va rejeter les interprétations injustifiées de sa morale et rappeler la rôle central qu’y joue la raison et la vertu.