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La Science

Pour vivre, l’être humain doit disposer d’une représentation adéquate de son milieu : il doit savoir ce qui est bon pour lui, ce qu’il doit donc rechercher, mais aussi ce qui est mauvais et qu’il doit donc éviter. Ce n’est que très récemment à l’échelle de l’histoire de l’humanité (moins de 3000 ans), que l’être humain est parvenu à développer les ressources offertes par le langage dès lors qu’il est mis au service de la raison. Il a pu ainsi produire un nouveau type de discours, et les activités qu’il implique (mesures, expérimentation), visant à optimiser sa connaissance du réel : la science.

Étymologie : du latin, « scientia » (« connaissance »), lui-même du verbe « scire » (« savoir ») qui désignait la faculté de connaître. En grec ancien, c’est le mot « épistémè » qui désigne la connaissance produite par un discours rationnelle le logos.

NB : Le terme « épistémologie » désigne : d’une part l’étude critique des sciences (valeur et portée de leurs résultats) ; d’autre part la théorie de la connaissance en général. « L’épistémologie est l’étude de la constitution des connaissances valables. » (Jean PIAGET).

1. Science et connaissance

1.1. Nécessité d’une connaissance du monde

« Savoir pour prévoir, afin de pouvoir. » (Auguste COMTE, Cours, 1830)

    • Point de vue adaptatif : chez tous les animaux évolués, l’inconnu est source d’angoisse ou de stress du fait qu’il constitue une menace potentielle. « Connaître » un objet nous rend capable de le « re-connaître » et donc de sélectionner le meilleur comportement possible face à lui . La connaissance nous permet donc de nous adapter à notre milieu.
    • Point de vue cognitif (dont le but est la connaissance elle-même) : le fonctionnement même de l’esprit humain consiste à produire une représentation du monde sur la base de l’expérience que nous acquérons en interagissant avec notre milieu. Selon Kant, le travail de la raison est avant tout un tavail de synthèse de cette expérience, une « activité régulatrice » (qui établit des règles, et donc en science des lois).
    • Point de vue psychologique (« santé mentale ») : une absence de cohérence de notre expérience provoque une « dissonance cognitive », état psychologique instable (qui peut devenir pathologique) dû à des expériences ou idées contradictoires, incompatibles entre elles. D’où l’importance de mettre de la cohérence dans nos représentations du monde.
    • Point de vue pragmatique (dont le but est l’action) : connaître son milieu conditionne la survie de l’être humain : avoir une représentation adéquate du monde lui permet de prévoir certains événements et de s’y préparer (réserves de nourriture pour l’hiver, s’abriter en cas d’orage, distinguer les nourritures saines de celles qui seraient dangereuses pour la santé, etc.).

—> En optimisant l’activité de connaissance, la science répond à des besoins humains fondamentaux.

1.2. Connaissance rationnelle vs. mythes

• Longtemps l’être humain a produit des discours de type mythologique pour donner sens à son expérience :
« Le cerveau humain a une exigence fondamentale : celle d’avoir une représentation unifiée et cohérente du monde qui l’entoure, ainsi que des forces qui animent ce monde. Les mythes, comme les théories scientifiques, répondent à cette exigence humaine. Dans tous les cas, et contrairement à ce qu’on pense souvent, il s’agit d’expliquer ce qu’on voit par ce qu’on ne voit pas, le monde visible par un monde invisible qui est toujours le produit de l’imagination. » (François JACOB, Le darwinisme aujourd’hui, 1979)

• Lorsque les philosophes Grecs développent l’usage de la raison dans l’ensemble des domaines de l’expérience humaine, ils rejettent les explications mythologiques ou religieuses des phénomènes : les phénomènes (ce qui nous est donné par la perception) doivent être expliqués par d’autres phénomènes (et non par des causes surnaturelles) qu’il faut découvrir.

Le terme phusikoï (du grec phusis, la nature) désigne les philosophes présocratiques (Thalès, Anaxagore, Empédocle, Démocrite…) dont les réflexions portaient sur la nature (astronomie, évolution, reproduction…) et qui s’efforçaient de produire un discours rationnel (logos) — par opposition aux discours mythologiques.

Les discours irrationnels sont rejetés comme simples opinions (qui peuvent éventuellement s’avérer justes mais ne sont néanmoins pas étayées rationnellement) ou qualifiés de superstitions.

1.3 . Critères fondamentaux de la connaissance scientifique (selon Aristote)

• Recherche de l’universel… c’est-à-dire de principes et de lois qui valent objectivement (échappant donc aux préjugés de toutes sortes), et donc acceptables par tout être rationnel :

« Il n’y a de science que de l’universel. » (ARISTOTE Seconds Analytiques)

Sur la base d’observations… Mais puisque on ne peut observer tous les cas possibles, l’universel ne peut résulter que d’un travail d’abstraction à partir d’observations répétées (c’est ce que l’on nomme l’induction) :

« C’est d’une pluralité de cas par­ticuliers que se dégage l’universel. » (ARISTOTE, Seconds Analytiques)

2. Importance de la méthode (la science, à la fois empirique et rationnelle)

2.1. Connaissance empirique / connaissance rationnelle

a. La connaissance EMPIRIQUE (acquise par l’expérience sensible)

1/ L’empirisme est une doctrine philosophique qui considère que toutes les connaissances humaines ont pour origine l’expérience sensible, c’est-à-dire les sensations qui s’impriment durablement en nous.

Nos sens sont à la source de toutes nos connaissances : celles-ci résultent de l’accumulation progressive, de la mise en relation et de l’organisation des impressions sensibles.

« Rien n’est dans l’esprit qui n’ait été d’abord dans les sens. » (ARISTOTE)

C’est en partant du concret, l’expérience, que l’on peut obtenir de l’abstrait, la théorie. Il ne peut donc  y avoir de connaissance « a priori », c’est-à-dire acquise par l’usage de la seule raison.
La raison théorique ne peut donc travailler que sur les données des sens. Pour Aristote (hylémorphisme), chaque chose est composée de matière mise en forme (c’est-à-dire organisée). La perception répétée d’objets d’une même espèce nous permet d’en abstraire progressivement la forme (commune à l’espèce considérée) et donc la connaissance sous forme d’une définition.
La conception empiriste de la connaissance s’appuie sur l’idée que l’être humain naît « tabula rasa », sans aucune forme de pré-connaissance innée (contrairement aux animaux qui savent reconnaître d’instinct leur nourriture ou leurs prédateurs).
Du point de vue empiriste, la rationalité elle-même s’acquiert empiriquement, par généralisation (induction) à partir des cas particuliers observés.

2/? Le raisonnement par induction est le type d’inférence qui permet de passer, par généralisation, de cas singuliers observés à des lois générales.

Ex. : Le soleil s’est levé à l’est tous les jours aussi loin que nous soyons informés, donc [induction] le soleil se lèvera à l’est demain.

Contrairement au raisonnement par déduction, l’induction ne fournit jamais de conclusion objectivement universelle, de sorte que ses lois (et donc la théorie qui les articule) sont toujours ouvertes à la contradiction. Un seul contre-exemple suffit à les remettre en cause, ce qui détermine la dynamique historique de la science (elle est en perpétuelle évolution).

« La science cherche le mouvement perpétuel. Elle l’a trouvé : c’est elle-même. » (Victor HUGO)

b. la connaissance RATIONNELLE (acquise par la réflexion théorique)

Classiquement, le rationalisme s’oppose à l’empirisme : s’il admet que toute connaissance commence par les données des sens, il affirme néanmoins que la raison détermine quelque chose dans la sensibilité elle-même :

« Rien n’est dans l’esprit qui n’ait été au préalable dans les sens, sauf l’esprit. » (LEIBNIZ)

Pour Descartes, certaines idées fondamentales pour la raison sont innées, précèdent toute expérience :  ainsi nous pouvons avoir l’idée de l’infini mais certainement pas l’expérience. De même les idées d’espace, de temps, de Dieu (comme totalité de ce qui existe) et la plupart des concepts mathématiques…
Pour le rationaliste, l’expérience ne peut produire de connaissance universelle puisqu’elle est par nature toujours singulière. Comment passer du triangle singulier, dessiné, à des propriétés universelles valant pour tous les triangles ? C’est là qu’intervient pour Kant le travail de la «raison pure» (indépendante de toute expérience) qui permet de produire des connaissances «a priori».

« La mathématique fournit l’exemple le plus éclatant d’une raison pure qui réussit à s’étendre d’elle-même sans le secours de l’expérience. »   (KANT, Critique de la raison pure (1781)

En travaillant à partir de définitions non-contradictoires avec les outils de la logique, on construit une théorie indépendante de toute considération expérimentale. La vérité des énoncés qui la composent est assurée par la démonstration. C’est ainsi que l’on construit une théorie scientifique, c’est-à-dire une représentation discursive rationnelle d’un domaine particulier de la réalité.

2.2  La science, à la fois empirique et rationnelle

a. L’expérience, à l’origine de la possibilité d’une connaissance rationnelle :

« Que toute notre connaissance commence avec l’expérience, cela ne soulève aucun doute. En effet, par quoi notre pouvoir de connaître pourrait-il être éveillé et mis en action, si ce n’est par des objets qui frappent nos sens et qui, d’une part, produisent par eux-mêmes des représentations et d’autre part, mettent en mouvement notre faculté intellectuelle, afin qu’elle compare, lie ou sépare ces représentations, et travaille ainsi la matière brute des impressions sensibles pour en tirer une connaissance des objets, celle qu’on nomme l’expérience ? Ainsi, chronologiquement, aucune connaissance ne précède en nous l’expérience, c’est avec elle que toutes commencent. »  (KANT, Critique de la raison pure, 1881)

b. Complémentarité des démarches empirique et rationnelle :

« L’empirique, semblable à la fourmi, se contente d’amasser et de consommer ensuite ses provisions. Le dogmatique, telle l’araignée, ourdit des toiles dont la matière est extraite de sa propre substance. L’abeille garde le milieu ; elle tire la matière première des fleurs des champs, puis, par un art qui lui est propre, elle la travaille et la digère. (…) Notre plus grande ressource, celle dont nous devons tout espérer, c’est l’étroite alliance de ces deux facultés : l’expérimentale et la rationnelle, union qui n’a point encore été formée. » (Francis BACON, Novum Organum,1600)

        • l’empirique (celui qui observe passivement) est comparable à la fourmi qui amasse au hasard des provisions dont, très souvent, elle ne fait rien ;
        • le rationaliste dogmatique (celui qui croit pouvoir tout tirer de sa raison) est comparable à l’araignée qui ourdit des toiles dont la matière est extraite d’elle-même ;

—> l’attitude scientifique est comparable à celle de l’abeille qui transforme en miel le suc des fleurs des champs et des jardins qu’elle recueille : le scientifique produit d’abord un travail empirique (collecte de données par observation), puis, à l’aide de ces matériaux premiers, il produit un travail rationnel (réflexion théorique).

Ou plus fondamentalement selon Kant : « Si toute notre connaissance commence avec l’expérience, il n’en résulte pas qu’elle dérive toute de l’expérience. En effet, il se pourrait bien que notre connaissance expérimentale elle-même fût un composé do ce que nous recevons par des impressions, et de ce que notre propre faculté de connaître tire d’elle-même. »  (KANT, Critique de la raison pure, 1881)
La science viendrait donc optimiser cette double source de la connaissance, empirique et rationnelle.

Ce double aspect empirique et rationnel, c’est-à-dire faisant appel à la fois à l’expérience et à la théorie, constitue la spécificité de la connaissance scientifique selon un schéma en 3 étapes :

Ce double aspect empirique et rationnel, c’est-à-dire faisant appel à la fois à l’expérience et à la théorie, constitue la spécificité de la connaissance scientifique selon un schéma en 3 étapes :

1/ L’observation (quantifiée à l’aide d’instruments de mesure) fournit des énoncés observationnels. Grâce aux mesures, on fait passer des observations dans le langage (les nombres sont des mots) que l’on peut traiter grâce aux outils mathématiques (qui sont encore du langage).
De ce point de vue, l’évolution des sciences est liée au progrès des instruments d’observation (télescope, microscope, etc.)

2/ La théorie : les lois décrivant les régularités des faits observés sont organisées (mises en relation grâce à des concepts adéquats : vitesse et accélération, atomes et molécules, etc.) dans le cadre logique d’une théorie en s’appuyant éventuellement sur des hypothèses assurant la cohérence de la théorie.

« Les théories physiques essaient de former une image de la réalité et de la rattacher au vaste monde des impressions sensibles. […] Nous désirons que les faits observés suivent logiquement de notre concept de réalité.?» (Albert EINSTEIN et Léopold INFELD, L’évolution des idées en physique, 1938)

Cette partie du travail scientifique est purement langagière mais elle s’appuie sur un type de discours spécifique, épuré de tout affect et complètement explicite : la logique. Elle permet de dépasser le fonctionnement « normal » de la pensée humaine en évitant les obstacles épistémologiques (tous les discours non scientifiques qui imprègnent les cultures et donc les interactions sociales).

3/ L’expérimentation permet vérifier les hypothèses explicatives posées pour assurer la cohérence logique de la théorie. A cette fin, la science

« Les instruments [d’observation et d’expérimentation] ne sont que des théories matérialisées. Il en sort des phénomènes qui portent de toutes parts la marque théorique. » (BACHELARD, Le nouvel esprit scientifique,1938)

Même si c’est l’observation qui dans un premier temps suggère la théorie, c’est la théorie qui permet d’affiner l’observation et de concevoir l’expérimentation.

3. Science et morale

3.1. La science porteuse d’une morale ?

Pour Platon, la science est nécessairement morale
Pour Platon, connaître le Vrai c’est aussi connaître le Beau et connaître le Bien. Au plus haut niveau d’abstraction, ces trois valeurs cardinales se rejoignent dans la recherche de la perfection, de l’excellence (arèté), dans l’actualisation des potentiels humains : le vrai est beau et bon. La science, en tant que recherche du vrai est donc nécessairement morale et contribue donc au bien individuel et collectif.

Pour Max Weber, la science ne peut déterminer néanmoins des valeurs morales (elle est par essence descriptive et non prescriptive)
« Une science empirique ne saurait enseigner à qui que ce soit ce qu’il doit faire. » Max WEBER

Néanmoins, on peut considérer avec Emile Durkheim que l’activité scientifique et l’effort nécessaire pour accéder à une conception scientifique du monde détermine une forme d’éthique :
« La science n’est autre chose que la conscience portée à son plus haut point de clarté. »  Emile DURKHEIM

3.2. La science fondamentalement amorale ?

Le problème de la démarche et des applications de la science

• Dès la Renaissance, alors que la science moderne est encore balbutiante, on commence à entrevoir les aspects problématiques de la connaissance scientifique :

« Science sans conscience n’est que ruine de l’âme. » (RABELAIS, Pantagruel, 1532).

La spécificité du discours scientifique, à savoir sa forme purement logique, s’émancipe par principe de toute conscience réflexive et donc de toute considération morale. La science devient purement utilitaire, source d’inventions techniques (pour le meilleur et pour le pire), et sert de moins en mois à la progression de la rationalité humaine, au point qu’au milieu du XXe siècle, Heidegger pourra dire : «?La science ne pense pas.?» Elle produit un discours qui par lui-même ne peut se resituer dans une conception plus vaste du monde. Selon Heidegger, le discours scientifique « arraisonne le monde?», réduit le monde à des représentations purement théoriqes. Max WEBER parle du « désenchantement du monde » par la prégnance des représentations théoriques.

• Néanmoins, les scientifiques eux-mêmes ne vivent pas nécessairement leur activité sous le seul aspect théorique : « L’astronomie est utile, parce qu’elle nous élève au-dessus de nous-mêmes ; elle est utile, parce qu’elle est grande ; elle est utile, parce qu’elle est belle. » (Henri POINCARÉ, La  Valeur de la science, 1905)