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La conscience

1. PRÉAMBULE

a. Usages de la langue courante (approche utile)

    • « Prendre conscience de » : (de soi) s’éveiller, (d’un problème, d’une présence) «réaliser» —> la conscience peut être plus ou moins active, plus ou moins intense, ce qui dépend de la plus ou moins grande attention portée à ce qui se présente à elle.
    • « Perdre conscience » : s’évanouir, tomber dans un sommeil profond  —> la conscience n’est pas un état permanent.
    • « Avoir conscience de » : avoir présent à l’esprit —> la conscience est toujours au présent, même si elle peut être conscience du passé (remémoration) ou conscience de l’avenir (projection, imagination…) (Cf. cours sur le temps, texte d’Augustin d’Hippone)
    • Se poser des «problèmes de conscience», avoir «mauvaise conscience», agir «selon sa conscience» : penser d’un point de vue moral, porter des jugements de valeur (bien / mal) sur nos comportements ou actions (ou ceux des autres) —> la conscience comme aptitude à discerner le bien du mal. Notion de «conscience morale».

b. Étymologie : du latin consciencia (con = avec, et sciencia = le savoir). La conscience serait ce qui accompagne nécessairement toute activité de connaissance. Elle est donc la condition pour qu’un « monde » (mental, personnel) apparaisse — et ce « monde » disparaîtra dès lors que l’on « perdra conscience ». Elle implique donc un (ou plusieurs) objet(s) visé(s) par une attention, et ce qui vise cet objet, qu’on appelle le « sujet ».

c. Définition (double) : Du point de vue psychologique, la conscience est la perception actuelle, présente, directe mais plus ou moins claire que nous avons de notre existence (donc des états et des actes de notre esprit, de ce qui se passe en nous, et de l’effet produit en nous par ce qui se passe hors de nous). Classiquement, on l’associée au « sentiment de soi-même ».
Du point de vue moral, la conscience (morale) est la faculté de porter spontanément des jugements sur la valeur des actions humaines, de discerner le bien du mal, donc de déterminer, spontanément ou par la réflexion, la meilleure attitude, le meilleur comportement face à une personne ou pour soi-même.

d. La notion d’«intentionnalité de la conscience» désigne le fait que la conscience est toujours conscience de quelque chose (dès lors que nous nous réveillons, nous sommes au moins conscient d’être conscient — même s’il n’y a aucune lumière, aucun son, aucune sensation particulière). Certains auteurs parlent de « sens interne ». L’intentionnalité peut être considérée comme relation active entre un sujet (un « moi », le pôle « actif », celui qui « vise ») et un objet (le pôle « passif », celui qui est « visé ») que l’on peut symboliser ainsi : « sujet —> objet ».

2. UNE « ANALYTIQUE » DE LA CONSCIENCE

2.1. Analyse de la notion de conscience (en général), selon le type d’objet qu’elle saisit

Puisque a conscience est toujours conscience de quelque chose (intentionnalité de la conscience), on peut l’analyser en en  distinguant trois modalités, en fonction du type d’objets qu’elle vise. En effet, nous ne prenons pas conscience de nous-même (conscience « réflexive ») comme des autres objets (relation purement utilitaire). Mais nos rapports aux autres êtres humains (relations affectives, empathie…), sont différents de ceux que nous pouvons avoir avec les objets inertes. (NB : problème du statut des animaux…)

      1. Conscience d’objet : attention portée à un objet quelconque (relation «sujet —> objet»).
        Elle ouvre sur la question des rapports au monde en général et aux objets en particulier, à la perception…
      2. Conscience de soi (conscience réflexive) : attention portée à cet objet singulier qu’est la conscience elle-même ; le sujet se prend lui-même pour objet (relation réflexive : «sujet —> sujet lui-même»).
        Elle ouvre sur les questions concernant le « sujet », la personne, la connaissance de soi, l’identité, la personne…
      3. Conscience d’autrui : attention portée à cet objet particulier qu’est «autrui», reconnu comme un autre «soi-même», un alter ego) et des rapports entre soi et autrui (relation : «sujet —> autre sujet»).
        Elle ouvre sur les questions concernant la représentation que nous nous faisons des autres, les relations que nous pouvons ou devons avoir avec eux… « Ah ! Insensé, qui crois que je ne suis pas toi ! » Victor HUGO, Les Contemplations

2.2. Conséquences morales

    • Percevoir autrui comme un objet quelconque, d’un point de vue purement utilitaire, rend possible l’exploitation de l’homme par l’homme, l’esclavage, la torture, etc. (Plaute, Hobbes : « L’homme est un loup pour  l‘homme »). Par contre, percevoir autrui comme un autre « moi » rend possible l’empathie, la solidarité, etc.
    • Problème du statut de l’animal : il peut apparaître comme un objet utilitaire (nourriture, animal de trait ou de bât) ou comme un « autre » susceptible d’empathie (animal de compagnie)…
    • Problème du rapport aux objets «inertes», aux choses : nous pouvons en devenir dépendants — d’où les notions de «frugalité» ou de «contentement» développées dans l’antiquité grecque (« Il en faut peu pour être heureux »). Par ailleurs, les problèmes écologiques liés à la consommation rendent urgente une réflexion morale sur notre rapport aux choses.

3. LA NOTION DE SUJET (CONSCIENCE DE SOI, PENSÉE, IDENTITÉ…)

3.1. Aux origines : la notion de psyché  chez les Grecs

NB : la notion de psyché est en général traduite par le mot «âme» ou/et par «esprit» qui définit le principe vital, caractéristique de tout ce qui est vivant, mais présentant des différences. Ainsi, pour Aristote, si tout être vivant possède nécessairement une psychè assurant nutrition et reproduction, les animaux disposent en plus d’une psychè permettant la perception et la locomotion ; enfin, l’être humain seul possède une psychè rendant possible la pensée rationnelle (le logos).

A. Connaissance de soi-même : question de la possibilité et des moyens de se connaître soi-même (précepte socratique : « Connais-toi toi-même », dans le Charmide de Platon), d’avoir une représentation de soi « adéquate », conforme?à ce que l’on est. C’est l’idée d’un esprit réflexif (qui se prend pour objet) et se rend donc capable d’autocritique, de travail sur lui-même. C’est aussi une relation forte entre connaissance et morale.
Dans l’Alcibiade majeur, Platon a recours à l’analogie entre «se connaître soi-même» pour l’âme et «se regarder soi-même» pour l’œil : l’œil doit regarder dans l’«excellence» d’un œil (la pupille) pour s’y voir lui même ; de même l’âme doit regarder dans l’«excellence» d’une âme (le savoir, la pensée, la réflexion) pour se connaître elle-même.

B. Identité de l’âme : question du « sentiment de soi », de « l’identité personnelle », de sa continuité dans le temps.

      • Cf. Texte 1 de Platon, extrait du Banquet :  « Même si l’on dit qu’il [l’être vivant] reste le même, il ne cesse pourtant, tout en subissant certaines pertes, de devenir nouveau, par ses cheveux, par sa chair, par ses os, par son sang, c’est-à-dire par tout son corps. Et cela est vrai non seulement de son corps, mais aussi de son âme. Dispositions, caractères, opinions, désirs, plaisirs, chagrins, craintes, aucune de ces choses ne reste jamais identique en chacun de nous. »
      • Cf. aussi l’expérience de pensée du « bateau de Thésée » dont on change les planches à mesure qu’elles s’usent. Jusqu’où reste-t-il le même bateau ? (quand on en a changé la moitié des planches ? la totalité ?) Il en a gardé la forme mais pas la matière… (idem pour l’être humain qui vieillit — même si dans son cas, la forme elle-même se modifie du bébé à la vieillesse).(https://www.youtube.com/watch?v=PWud6qbSwug)

C. Dynamique de l’âme : question de la « structure de l’âme », de ses parties et des relations conflictuelles entre elles.

      • Dans La République, Livre IX : la relation conflictuelle entre la « partie de l’âme rationnelle, douce et faite pour commander à l’autre » et la « partie bestiale et sauvage » détermine les questions morales.

      • Platon présente aussi une conception tripartite de l’âme dans La République, Livre IV : relations conflictuelles (donc dynamiques) entre l’épithumia (partie désirante), le thumos (partie agressive) et le logistikon (partie rationnelle). La prédominance d’une de ces parties oriente vers un type d’activité (commerçant, soldat ou politicien), touste utiles à la Cité. Ces différentes parties de l’âme sont chacunes nécessaires à l’être humain comme les différents types d’êtres humains sont chacun nécessaires à la cité.

      • Platon définit aussi une dynamique propre à la partie rationnelle de l’âme (le logos), à savoir la pensée : « J’appelle pensée un discours que l’âme se tient à elle-même sur les objets qu’elle examine. » (PLATON, Théétète)

3.2. La notion moderne de sujet (le sujet comme condition de la conscience de soi)

• Le «moi» désigne ce qui subjectivement se traduit par un sentiment d’identité, avec des attributs propres, objectifs («c’est à moi», «mon corps»…) ou subjectifs («c’est tout moi») Le moi est vécu au présent.
• Le «soi» désigne ce qui produit notre sentiment d’identité, où la mémoire a un rôle déterminant.
• Le «sujet» (du latin subjectum, ce qui se tient dessous) désigne ce qui conditionne l’unité de la conscience (sans être nécessairement conscient).

A. Le cogito de DESCARTES (le sujet comme activité de pensée)

Descartes (mathématicien, physicien et philosophe), suite aux premiers succès de la description mathématique de phénomènes naturels (Kepler, Galilée), veut fonder la connaissance sur des bases différentes de la physique aristotélicienne (toujours enseignée dans les universités dans la première partie du XVIIe siècle bien qu’incompatible avec les nouvelles sciences). Descartes expose ses idées dans un texte (Méditations de philosophie première) composées de 6 méditations (méditation = réflexion suivie sur un sujet donné), se présentant sous la forme d’une expérience de pensée.

a/ Première méditation : intitulée « Des choses que l’on peut révoquer en doute »

• Descartes commence par mettre en œuvre un « doute méthodique » (rationnel) visant à vérifier le bien-fondé de nos sources de connaissance  : 

        • des opinions et des connaissances reçues : elles peuvent s’avérer fausses (physique d’Aristote);
        • du donné de la perception : les sens nous trompent (bâton apparaissant «brisé» dans l’eau);
        • de notre propre corps : arguments de la folie (cas d’un fou qui pense avoir un corps de verre) et argument du rêve (je crois me trouver devant le feu de la cheminée alors que je suis en train de rêver dans mon lit).

• Puis Descartes radicalise cette démarche par un « doute hyperbolique» :

        • l’artifice de la fiction du Malin génie (une entité toute puissante et malfaisante «qui emploie toute son industrie à me tromper toujours») permet de douter  de tout (même si l’on suppose l’existence d’un dieu bon qui serait source de vérité),  y compris des vérités mathématiques (2 + 2 = 4) pourtant produites par notre propre esprit.

b/ Deuxième méditation : intitulée « De la nature de l’esprit humain, et qu’il est plus aisé à connaître que le corps »

Découverte d’un « point fixe » qui ne peut être atteint par le doute : aussi loin que je peux douter, il y a quelque chose qui doute, et de cela je ne peux pas douter. (Descartes, 2e Méditation) En dépouillant l’expérience humaine de tout ce qui est douteux, Descartes met à jour ce qu’il y a de plus essentiel dans la conscience : l’activité de la pensée (cogito = je pense) qui se perçoit alors elle-même comme condition de tout le reste de l’expérience humaine («Je ne suis rien d’autre qu’une chose pensante.»)

—>« Je pense, je suis » : il y a identité entre l’activité de penser (et non un quelconque contenu conscient) et ce que je suis, «moi». C’est cette identité (durable) qui permet de définir le sujet comme une « chose pensante ».

Attention : pour Descartes, la pensée est l’ensemble des activités conscientes :

«Une chose pensante est une chose qui doute, qui conçoit, qui nie, qui veut, qui ne veut pas, qui imagine aussi et qui sent (DESCARTES, Méditation seconde)
«  Par le nom de pensée, j’entends tout ce qui se fait en nous de telle sorte que nous l’apercevons immédiatement par nous-mêmes. »  (DESCARTES, Principes de la philosophie I, 9)

Notion de «dualisme» cartésien : du point de vue de la connaissance, Descartes distingue deux substances différentes, deux types de «choses» de natures différentes, que la pensée ne peut concevoir de la même manière :

        • La chose étendue (res extensa) : mesurable, quantifiable, mathématisable (et donc représentable dans un système de coordonnées… cartésiennes), elle peut être étudiée par la physique. Le corps humain doit lui-même être étudié comme une mécanique.
        • La chose pensante (res cogitans) : suit des lois propres, différentes de celles des choses étendues, avec en particulier une possibilité de liberté que n’ont pas les choses étendues, contraintes par les lois de la physique.

Attention : être dualiste ne signifie pas nécessairement que l’on considère que l’âme est «séparée» du corps dans lequel elle viendrait simplement habiter. Pour Descartes, la pensée n’est pas détachée du corps même si elle est une substance (res cogitans) différente de celle du corps (res extensa) :

«La nature m’enseigne aussi par ces sentiments de douleur, de faim, de soif, etc., que je ne suis pas seulement logé en mon corps ainsi qu’un pilote en son navire, mais outre cela, que je lui suis conjoint très étroitement et tellement confondu et mêlé, que je compose comme un seul tout avec lui.»  (DESCARTES, Méditation sixième).

B. La «personne» et son identité (le «soi») chez LOCKE :

John LOCKE (1632-1704), reprend la notion cartésienne de sujet, admet que le sujet est nécessairement conscient de lui-même («Il est impossible à quelque être que ce soit d’apercevoir sans apercevoir qu’il aperçoit»), mais élargit cette notion à travers celle de «personne».

La personne «est un être pensant et intelligent, doué de raison et de réflexion, et qui se peut considérer soi-même comme le même, une même chose pensante en différents temps et différents lieux.» «L’identité de telle personne s’étend aussi loin que cette conscience peut atteindre rétrospectivement toute action ou pensée passée ; c’est le même soi maintenant qu’alors, et le soi qui a exécuté cette action est le même que celui qui, à présent, réfléchit sur elle». (LOCKE, Essai philosophique concernant l’Entendement Humain, Livre II, Chap. 27)

NB : Le sujet cartésien est purement «au présent», il est l’activité même de penser («je pense, je suis»)
La personne lockienne est définie par tout le vécu qui peut être remémoré.

Intérêt des notions de «personne»  :

Question juridique de la responsabilité :

– circonstances atténuantes : liées à l’histoire individuelle du prévenu,
– irresponsabilité pénale : liée à des troubles mentaux aliénants (= rendant étranger à soi-même).

Question médicale des «troubles du soi» socialement invalidantes :

– troubles de l’identité individuelle : hallucinations, délires, angoisses morbides, troubles du langage…
– personnalités multiples : plusieurs «personnes» cohabitant dans un même cerveau…

3.3. Consolidation de la notion de sujet comme conscience de soi

A. Le «Je» comme concept du soi chez KANT :

Emmanuel KANT (1724-1804), philosophe allemand des Lumières, assume la notion de «personne» lockienne. Il insiste sur :

        • la dignité qu’elle confère à l’être humain : « Posséder le Je dans sa représentation : ce pouvoir élève l’homme infiniment au-dessus de tous les autres êtres vivants sur la terre. Par là, il est une personne ; et grâce à l’unité de la conscience dans tous les changements qui peuvent lui survenir, il est une seule et même personne, c’est-à-dire un être entièrement différent, par le rang et la dignité, des choses. »  (KANT, Anthropologie d’un point de vue pragmatique)
        • le rôle du langage (mot Je) dans la construction de la conscience de soi et l’unité de la personne : «Il semble que pour lui [l’enfant] une lumière vienne de se lever quand il commence à dire Je […]. Auparavant il ne faisait que se sentir ; maintenant il se pense.» (KANT, Anthropologie d’un point de vue pragmatique)

Le mot «Je» permet à la conscience de se saisir de, et d’assumer de manière simple, l’ensemble de l’expérience correspondant à ce que Locke définit comme la «personne». («Je savais marcher à 2 ans… J’ai appris à lire à 5 ans…»)

  B. La construction du «pour soi» chez HEGEL

Freidrich HEGEL (1770-1831) s’intéresse à la construction du sujet en tant qu’il est «pour soi» (= conscience de soi). Elle se fait selon lui de deux manières, l’une «théorique» (subjective), l’autre «pratique» (objective).

        • La constitution théorique du pour soi correspond à la construction d’une représentation de soi «intérieure» avec en particulier l’appréhension de notre sensibilité, de nos émotions : «ce qui s’agite dans la poitrine humaine, ce qui s’active en elle et la travaille souterrainement». (HEGEL, Cours d’Esthétique, 1832)
        • La constitution pratique du pour soi se produit via nos interactions avec le «monde extérieur». «Il accomplit cette fin en transformant les choses extérieures, auxquelles il appose le sceau de son intériorité et dans lesquelles il retrouve dès lors ses propres déterminations.» (HEGEL, Cours d’Esthétique, 1832)
        • A cela, Hegel ajoute le rôle de la «reconnaissance» (au sens de prise en compte, respect) qui permet un accord (idéal) entre la représentation que l’on a de soi-même et celle qu’autrui, les institutions, la collectivité a de nous, et donc des interactions positives avec autrui. Elle est nécessaire à ce que l’on appelle aujourd’hui «l’estime de soi». Hegel distingue trois sphères de reconnaissance : l’amour (chacun valorise l’autre pour ce qu’il est), le droit (garantie des droits de chacun) et la morale partagée dans une communauté humaine.
          Selon Hegel, l’être humain est prêt à une « lutte à mort » pour obtenir cette reconnaissance. Faute de cette reconnaissance, notre statut est, symboliquement, celui d’« esclave », celui qui refuse de nous reconnaître se posant comme « maître » (schéma de tous les rapports conflictuels entraînant des formes de domination).

4. CONSCIENCE ET PERCEPTION

A. Conscience d’objet : attention portée à un objet quelconque (relation générale sujet —> objet)

NB : La perception est d’une part l’activité de percevoir (activité du sujet) et d’autre part le résultat de cette activité, ce qui est perçu (ensemble des objets présents à la conscience).

De la manière la plus générale, la perception est la représentation actuelle de ce qui se passe en nous et/ou à l’extérieur de nous. Elle est donc constituée, à chaque instant, de l’ensemble des contenus de notre conscience.

En tant qu’activité, c’est l’opération psychologique complexe par laquelle l’esprit, en organisant les données sensorielles (d’origines interne et/ou externe) et en les combinant avec l’expérience mémorisée (y compris des affects associés aux objets lors d’expériences passées) et avec les anticipations de l’imagination, construit le monde tel qu’il nous apparaît. Nous identifions naturellement la perception résultant de cette opération à la représentation du milieu extérieur — malgré qu’elle en soit déjà une interprétation puisque qu’elle intègre à chaque instant des éléments de notre mémoire qui nous permettent de reconnaître instantanément des objets ou personnes (reconnaître implique de déjà connaître).

Termes associées (mots-clés) utiles pour traiter un sujet de dissertation portant sur la perception :

      • Sensation : Elle peut être d’origine externe (visuelle, auditive, tactile, olfactive ou gustative), ce qui traduit, de façon interne chez l’individu, une stimulation d’un de ses organes des sens (récepteurs), ou bien d’origine interne (sentiments, pensées, plaisirs, souffrances, désirs…)
      • Phénomène :  Ce qui apparaît, ce qui se manifeste à la conscience, tant dans l’ordre physique (d’origine «externe» ) que dans l’ordre psychique (d’origine «interne»), et qui peut devenir l’objet d’un savoir.
      • Apparence : Manière dont quelqu’un ou quelque chose se manifeste aux sens, aspect des choses. Aspect des phénomènes trompeur ou insuffisant pour une connaissance adéquate du réel.
      • Fantasme : Image qui ne renvoie à rien dans la réalité, manifestation hallucinatoire de l’inconscient, subie par le sujet. (Le mot «fantasme» décrit le même phénomène lorsqu’il est construit consciemment par le sujet.)

Conséquences de la définition : est objet tout ce sur quoi nous pouvons porter notre attention. Les objets de la perception sont non seulement ceux donnés par nos sens « externes » (« exteroception » — vision, ouïe, toucher…) mais aussi tout ce que nous percevons du fonctionnement de notre corps, de son activité (« interoception » et « proprioception » — plaisir, douleur, faim, soif, fatigue, vertige…) et de l’ensemble de nos pensées (actualisation de souvenirs, projections de notre imagination, pensée verbale…)

B. Degrés de conscience et « petites perceptions » (LEIBNIZ)

Notion de «degrés de conscience» : on peut être plus ou moins conscient de l’activité de notre pensée, sans quoi on confondrait «un long étourdissement et une mort». Si notre conscience éveillée et attentive est à un degré « un » dans une échelle des degrés de conscience, alors, dans le sommeil nous nous trouvons à un degré proche de « zéro ». Mais entre les deux, nous pouvons être plus ou moins distrait, somnolent ou au contraire attentif, concentré.

• Des perceptions sans conscience (« Théorie des petites perceptions ») : « Il y a mille marques qui font juger qu’il y a à tout moment une infinité de perceptions en nous, mais sans aperception* et sans réflexion, c’est-à-dire des changements dans l’âme même dont nous ne nous apercevons pas, parce que les impressions sont ou trop petites ou en trop grand nombre ou trop unies, en sorte qu’elles n’ont rien d’assez distinguant à part, mais jointes à d’autres, elles ne laissent pas de faire leur effet et de se notre perception faire sentir au moins confusément dans l’assemblage. »  (LEIBNIZ, Nouveaux Essais sur l’entendement humain).
(* aperception = perception avec conscience de cette perception, perception « active », attention)

      • Perceptions réfléchies (= aperceptions) : perceptions dont nous prenons conscience, auxquelles nous prêtons attention.
      • Perceptions non réfléchies : elles sont bien présentes dans notre perception mais soit nous n’y prêtons pas attention, soit elles sont intégrées dans ce à quoi nous prêtons attention mais sont « trop petites ou en trop grand nombre ou trop unies »  pour qu’on puisse les discerner. Elles restent donc inconscientes mais pourraient, par un effort d’attention, être rendues conscientes.
      • Autre exemple utilisé par Leibniz  (dans la préface des Nouveaux Essais sur l’entendement humain : les vagues de la mer. Chacune d’elle doit être nécessairement perçue. Pourtant la conscience n’a accès qu’au résultat de l’addition continue de l’ensemble de ces vagues (petites perceptions), du résultat d’un travail de sommation qu’est le bruit d’ensemble de la mer. Nous entendons « le bruit de la mer » et non « le bruit de chaque vague ».

C. Le statut singulier du corps dans la perception, « à la fois voyant et visible » (Maurice MERLEAU-PONTY)

NB : Maurice MERLEAU-PONTY est un « phénoménologue » (école de pensée influente au XXe siècle, initiée par Edmund HUSSERL, à laquelle se rattachent Heidegger et Sartre). Il s’intéresse donc aux phénomènes c’est-à-dire tout ce qui apparaît pour nous et à la manière dont l’ensemble de ces phénomènes s’organisent à chaque instant dans l’expérience humaine.

MERLEAU-PONTY s’oppose à la conception moderne de la perception comme simple synthèse ou intégration d’informations en provenance de ses deux sources différentes (les sensations produites à partir des informations captées dans la réalité par nos sens, l’ensemble de notre expérience mémorisée qui se trouve mobilisée et donne sens immédiatement à notre perception).

Selon lui « La perception n’est pas une sorte de science commençante, et un premier exercice de l’intelligence ; il nous faut retrouver un commerce avec le monde plus vieux que l’intelligence ». Il faut donc comprendre la perception plus radicalement, plus originairement que ne l’ont fait DESCARTES ou KANT : les lois qui règlent la perception ne sont pas celles de l’intelligence. Il ne s’agit pas de les « connaître » mais plutôt de les comprendre à travers des descriptions très précises.

« Mon corps est à la fois voyant et visible. Lui qui regarde toutes choses, il peut aussi se regarder, et reconnaître dans ce qu’il voit alors l’’‘autre côté” de sa puissance voyante. Il se voit voyant, il se touche touchant, il est visible et sensible pour soi-même. […]  Visible et mobile, mon corps est au nombre des choses, il est l’une d’elle, il est pris dans le tissu du monde et sa cohésion est celle d’une chose. Mais puisque il voit et se meut, il tient les choses en cercle autour de soi, elles font partie de sa définition pleine et le monde est fait de l’étoffe même du corps. » (Maurice MERLEAU-PONTY, L’Œil et l’esprit, 1960)

5. CONSCIENCE D’AUTRUI ET MORALE

La « conscience morale » est définie comme une propriété propre à la conscience humaine lui permettant de porter des jugements normatifs immédiats, fondés sur la distinction du bien et du mal, sur la valeur morale de ses actes.

« Conscience ! Conscience ! Instinct divin, immortelle et céleste voix ; guide assuré d’un être ignorant et borné, mais intelligent et libre ; juge infaillible du bien et du mal, qui rends l’homme semblable à Dieu, c’est toi qui fais l’excellence de sa nature et la moralité de ses actions ; sans toi je ne sens rien en moi qui m’élève au-dessus des bêtes, que le triste privilège de m’égarer d’erreurs en erreurs à l’aide d’un entendement sans règle et d’une raison sans principe. » (ROUSSEAU, Emile, 1762)

A. La notion de « sentiment moral » (ROUSSEAU)

Selon Jean-Jacques ROUSSEAU, le devoir naît d’un sentiment moral (amour de soi, pitié…) qui « est à l’âme ce que l’instinct est au corps ».

• Une conscience morale innée existerait chez les êtres humains (comme en témoignent les sentiments universels de la honte ou du remords). Elle précéderait tout jugement rationnel, contraignant nos actions.

« La conscience (morale) ne nous trompe jamais ; elle est le vrai guide de l’homme : elle est à l’âme ce que l’instinct est au corps ; qui la suit obéit à la nature et ne craint point de s’égarer » « Il est au fond de nos âmes un principe inné de justice et de vertu sur lequel, malgré nos propres maximes, nous jugeons nos actions et celles d’autrui comme bonnes ou mauvaises ; et c’est à ce principe que je donne le nom de conscience. » (ROUSSEAU, Emile ou de l’éducation, 1762)

2 sentiments innés détermineraient spontanément nos comportements moraux (à condition que la société ne nous ait pas « perverti ») :

      • l’« amour de soi », sentiment égoïste dévolu à la conservation de l’individu (instinct de survie, recherche du bien-être…),
      • la « pitié » (= empathie), sentiment altruiste dévolu à la conservation de l’espèce.

Ces deux sentiments (« amour de soi » et « pitié ») ont la particularité d’être la « voix de l’âme ». Ils précèdent la raison qu’ils déterminent : la raison est au service de ces sentiments. Ils « jugent » les actions de la même manière que le plaisir et la douleur « jugent » les sensations. Nous recherchons le bien et fuyons le mal de la même manière que nous recherchons le plaisir et fuyons la douleur.

« Quoi que toutes nos idées nous viennent du dehors, les sentiments qui les apprécient sont au-dedans de nous, et c’est par eux seuls que nous connaissons la convenance ou la disconvenance qui existe entre nous et les choses que nous devons rechercher ou fuir. » (ROUSSEAU, Emile ou de l’éducation, 1762)

Le bien est donc une « convenance » entre l’individu (naturellement moral) et ses actions.

NB :  La notion de sentiment inné d’empathie a trouvé un fondement biologique dans les travaux de neurologie (1990) portant sur le « système des neurones miroirs » (parfois décrits comme « neurones empathiques ») De même que la vue d’une personne joyeuse nous rend joyeux, la vue d’une personne souffrante nous fait souffrir : il est donc « naturel » de secourir une personne souffrante pour ne plus ressentir soi-même une souffrance.

B. Conscience morale et liberté

« La conscience correspond exactement à la puissance de choix dont l’être vivant dispose ; elle est coextensive à la frange d’action possible qui entoure l’action réelle : conscience est synonyme d’invention et de liberté. » (BERGSON, L’Évolution créatrice,1907)

Dès lors qu’elle est réflexive (qu’elle permet au sujet de se prendre lui-même pour objet) la conscience ouvre le champ de la liberté. La conscience de soi est nécessairement morale puisqu’elle permet de critiquer ses propres réactions spontanées, de créer des comportements et actions hors de nos déterminismes, d’échapper aux préjugés de la culture reçue, aux déterminismes sociaux, et d’acquérir une forme d’autonomie morale, de capacité de choix raisonné. C’est précisément ce que les philosophes des Lumières (en particulier Rousseau et Kant) considèrent comme le trait distinguant fondamentalement l’être humain des autres animaux.

« Choix et conscience ne sont qu’une seule et même chose. » (SARTRE, L’Être et le néant,  1943)

Pour Sartre, la conscience de soi a pour conséquence la liberté absolue, ou plus radicalement la conscience de soi est la liberté absolue : on peut choisir à chaque instant ses actions. Elle nous fait échapper à tous les déterminismes (qui ne sont qu’une excuse de la «mauvaise foi»).  

6. Critiques de la notion de «conscience de soi» 

A. Critique empiriste (David HUME)

Pour les empiristes, seul ce que l’on peut percevoir objectivement peut être admis comme vrai. Or selon Hume, la conscience de soi ne peut jamais être saisie comme telle par notre perception. Dans la mesure où nous ne pouvons en avoir une expérience comme de n’importe quel autre objet, nous devons en déduire qu’elle ne correspond à aucune réalité. 

« À aucun moment je ne puis me saisir moi sans saisir une perception, ni ne puis observer autre chose que la dite perception. Quand pour un temps je n’ai plus de perceptions, dans un profond sommeil par exemple, je cesse d’avoir conscience de moi-même pendant ce temps ; et on peut dire vraiment que je n’existe pas. Et si j’étais privé par la mort de toute perception et que je pusse ni penser ni sentir, ni voir, ni aimer, ni haïr après la dissolution de mon corps, alors je serais entièrement réduit à rien et je ne vois pas ce qu’il faudrait de plus pour faire de moi un parfait néant. »  (HUME, Traité de la nature humaine, 1739)

B. Critique positiviste (Auguste COMTE)

Critique de la méthode introspective (alors seule pratiquée) : il est impossible de se connaître soi-même en observant soi-même son propre fonctionnement mental. C’est un appel à la constitution d’une psychologie expérimentale (qui naîtra au milieu du XIXe siècle), conforme aux canons méthodologiques des sciences de la nature qui ont fait leurs preuves en physique. 

« Nul ne peut se mettre à sa fenêtre pour se regarder passer dans la rue. » (Auguste COMTE, lettre à Valat du 24 septembre 1819)

« Tout état de passion très prononcé, c’est-à-dire celui précisément qu’il serait le plus essentiel d’examiner, est nécessairement incompatible avec l’état d’observation. Et quant à observer de la même manière les phénomènes intellectuels […] l’individu pensant ne saurait se partager en deux, dont l’un raisonnerait tandis que l’autre regarderait raisonner. » (Comte, Cours de Philosophie positive, 1830)

C. Critique matérialiste (Karl MARX)

Tout ce qui se produit consciemment chez l’être humain est déterminé par l’idéologie dominante qui est imposée par les détenteurs des outils de production (au XIXe siècle, la bourgeoisie), non seulement à travers la culture reçue mais aussi à travers l’organisation concrète de la société, les rapports de domination qui structurent. Les contenus de conscience, en tant qu’ils ont pour nous spontanément du sens, résultent des rapports de force à l’œuvre dans la vie « matérielle », dans les interactions sociales. Ce faisant, ils déterminent en nous une «?conscience de classe?» partagée par tous ceux qui se trouvent dans la même situation matérielle.

« Ce sont les hommes qui, en développant leur production matérielle et leurs rapports matériels, transforment, avec cette réalité qui leur est propre, et leur pensée et les produits de leur pensée. » « Ce n’est pas la conscience qui détermine la vie, mais la vie qui détermine la conscience. » (MARX, L’Idéologie allemande, 1846)

D. Critique sceptique (Friedrich NIETZSCHE)  :  

    • Le sujet comme «effet de surface», ou «fantôme d’ego» : « L’homme, comme toute créature vivante, pense sans cesse, mais il l’ignore ; la pensée qui devient consciente n’est qu’une infime partie, disons : la plus superficielle, la plus médiocre. » (NIETZSCHE, Le Gai Savoir, 1882, §354)
    • Le sujet comme «effet de langage» : «Une pensée ne vient que quand elle veut, et non pas lorsque c’est moi qui veux ; de sorte que c’est une altération des faits de prétendre que le sujet moi est la condition de l’attribut « je pense ». » (Nietzsche, Par-delà le bien et le mal, 1886, §17)