LES POUVOIRS DE LA PAROLE

1. La notion de pouvoir

Définition : Le pouvoir est l’aptitude à produire des effets.

Distinction importante : le pouvoir peut définir

    • soit une possibilité d’agir (propre à celui qui en dispose)
      Ex. : avoir un remarquable pouvoir d’adaptation, avoir un pouvoir de séduction…
    • soit une autorité pour agir (de droit ou de fait, conférée par un statut social)
      Ex. : le maire d’une commune dispose d’un pouvoir de police, l’Assemblée nationale a le pouvoir de voter les lois…

Considéré comme la capacité à agir propre d’un individu (limité par le fonctionnement du corps et de l’esprit, les lois de la physique) le pouvoir peut s’exercer sur les autres mais aussi sur soi-même :

« Celui qui dirige les autres est peut-être puissant,  mais celui qui s’est maîtrisé lui-même a encore plus de pouvoir. » (LAO TSEU)

Considéré comme autorité, puissance de droit ou de fait, le pouvoir désigne ceux qui gouvernent, dirigent, exercent des prérogatives liées à un statut, à une place dans une hiérarchie, en général limité par des règlements ou les lois. Dans une communauté humaine, le pouvoir suprême est le pouvoir politique, celui à qui l’on attribue ou qui s’attribue les moyens d’organiser cette communauté à travers les lois qu’il promulgue et fait appliquer.

« Nous entendrons par politique l’ensemble des efforts que l’on fait en vue de participer au pouvoir ou d’influencer la répartition du pouvoir, soit entre les États, soit entre les divers groupes à l’intérieur d’un même État. » (Max WEBER)

« Le pouvoir correspond à l’aptitude à agir de façon concertée. » (Hannah ARENDT)

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2. La notion de parole (rappels)

Définition : la parole désigne l’utilisation concrète de la faculté humaine de langage (capacité naturelle d’utiliser un système de signes) grâce à une langue (système de signes particulier, culturel) pour concevoir une pensée, l’exprimer une et ainsi interagir avec autrui.

La parole intérieure, adressée à soi-même, est appelée pensée.  Ainsi, selon Platon, « La pensée est le dialogue de l’âme avec elle-même. »

Lorsque l’on ne précise pas, la parole est supposée adressée par un locuteur (celui qui prend la parole) à un interlocuteur (ou destinataire) à qui elle est adressée et qui la reçoit.

NB : On peut considérer l’écriture, le texte, comme une « parole écrite ». Les gestes, les mimiques, sourires, attitudes, constituent le vocabulaire d’un langage du corps qui permet d’expriment lui aussi des états intérieurs (émotions, sentiments), mais de manière plus simple que la parole.

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3. Pouvoirs fondamentaux de la parole : décrire, prescrire

a/ Définitions

    • Décrire : dire les choses telles qu’elle sont (discours scientifiques).
    • Prescrire : dire les choses telles qu’elles doivent être (discours moraux ou politiques).

« L’homme est organisé pour la cité comme la fourmi pour la fourmilière, avec cette différence pourtant que la fourmi possède les moyens tout faits d’atteindre le but, tandis que nous apportons ce qu’il faut pour les réinventer et par conséquent pour en varier la forme. Chaque mot de notre langue a donc beau être conventionnel, le langage n’est pas une convention, et il est aussi naturel à l’homme de parler que de marcher. Or, quelle est la fonction primitive du langage ? C’est d’établir une communication en vue d’une coopération. Le langage transmet des ordres ou des avertissements. Il prescrit ou il décrit. Dans le premier cas, c’est l’appel à l’action immédiate ; dans le second, c’est le signalement de la chose ou de quelqu’une de ses propriétés, en vue de l’action future. » (BERGSON, La pensée et le mouvant, 1934)

Décrire et prescrire constituent donc bien les deux pouvoirs fondamentaux de la parole.

b/ Décrire permet à l’être humain de disposer d’une représentation du monde qui vient s’ajouter à celle que lui fournit sa perception. A chaque objet il peut faire correspondre un nom (nom commun pour un type d’objet, nom propre pour une personne), à chaque objet il peut associer une qualité grâce à un adjectif, à chaque action ou état il peut associer un verbe, etc. Grâce à la parole, l’être humain peut donc communiquer avec autrui, partager ses représentations de manière rapide et simple (le dessin implique un support et un outil pour y fixer les représentations à communiquer), éventuellement les corriger par le dialogue, et tout cela indépendamment de la perception ou de l’expérience que l’on peut avoir ou non de ce dont il est question.
Qui plus est, le langage permet à l’être humain de réfléchir, d’organiser sa pensée en la verbalisant, de construire des discours et au-delà, des théories qui, par leur adéquation au réel, lui permettent de maîtriser ce réel, de s’y projeter, d’envisager l’avenir, de développer des techniques, bref, lui donne un pouvoir sur le monde.

« Les limites de mon langage signifient les limites de mon monde. » (Ludwig WITTGENSTEIN, Tractatus logico-philosophicus, 1921)

« Savoir pour prévoir, prévoir pour agir. » (Auguste COMTE, Cours de philosophie positive, 1849)


c/ Prescrire
permet à l’être humain de faire agir. D’abord soi-même (« Je dois faire ceci… »), mais aussi les autres, soit pour coordonner ses actions avec celles d’autrui pour agir solidairement (« Nous devons faire ceci… »), soit pour faire agir autrui (« Vous devez faire ceci… »). Si le « je » et le « nous » ouvrent des questions morales, le « vous » ouvre la question du pouvoir politique, celle de la hiérarchie, de l’autorité qui confère un droit de parole différent aux membres d’une même communauté humaine, les uns ayant pouvoir de commandement, les autres devoir d’obéissance.
En se faisant loi, la parole peut produire soit des obligations dès lors qu’elle dispose d’une légitimité reconnue par la communauté à laquelle ces lois s’appliquent, soit des contraintes lorsqu’elle ne dispose pas de cette légitimité et qu’elle ne peut donc tenir son efficacité qu’accompagnée de menace ou de violence.
De ce point de vue, par un type de discours « efficace », propre à influencer ou à déterminer directement l’action, la parole est un outil de pouvoir sur autrui.

« La rhétorique est ouvrière de la persuasion. » (PLATON, Gorgias)

« Tout discours est vain s’il n’incite à l’action. » (DÉMOSTHÈNE, orateur et homme politique grec)

« Les mots justes, trouvés au bon moment, sont de l’action. » (Hannah ARENDT, Essai sur la révolution, 1965)

«  Il n’y a pas d’exercice du pouvoir sans une certaine économie des discours de vérité fonctionnant dans, à partir de et à travers ce pouvoir. » (Michel FOUCAULT, Cours, 1976)

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4. Pouvoirs pratiques de la parole

a/ L’art de la parole : la rhétorique

b/ L’autorité de la parole

c/ Les séductions de la parole