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LE TEMPS

«Qu’est-ce donc que le temps ? Si personne ne me le demande, je le sais ; mais, si on me le demande, et que je veuille l’expliquer, je ne le sais plus.» (AUGUSTIN d’Hippone, vers 400)

Ce que nous nommons «temps» est une condition de notre existence : tout ce qui existe pour nous prend place dans le temps et dans l’espace qui sont donc les conditions de possibilité de notre existence. Mais ce temps, appréhendé subjectivement, peut aussi être mesuré objectivement et donc semble être indépendant de notre expérience.

NB : Distinction fondamentale : temps / durée

  • La durée : c’est le temps vécu, psychologique, appréhendé spontanément par l’intuition. La durée intègre dans le présent de la conscience des traces du passé (mémoire) et de l’anticipation de l’avenir (imagination), mais aussi des affects qui en modulent le cours (qui paraît plus ou moins long pour un même temps mesuré par une pendule) —> elles est continue, qualitative, subjective
  • Le temps mesuré : produit par l’intelligence, il est une représentation artificielle, théorique permettant d’ordonner, de classer les événements —> il est discontinu, quantifiable, divisible à l’infini, mais homogène (régulier), objectif.
    Il est une abstraction du temps vécu à des fins pratiques (satisfaction anticipée des besoins, organisation sociale à travers des rites…)

1. Le temps subjectif (psychologique) : le temps vécu, la durée

A. Temps et existence : subjectivité (apparente) de notre expérience du temps

    • Le temps nous semble durer plus ou moins longtemps, selon notre humeur (un film plaisant nous paraît «trop court», être passé «trop vite»; au contraire, un film qui nous ennuie nous semble «s’éterniser»).
    • Nous ne percevons rien que nous puissions considérer comme «le temps» en soi, objectif, concret.
    • Le désir chez l’enfant réclame toujours une satisfaction immédiate qui se traduit par un sentiment d’impatience. C’est l’éducation et l’expérience qui nous apprennent à différer la satisfaction de nos désirs en imaginant les moyens d’y parvenir, c’est-à-dire en nous projetant dans l’avenir.

B. L’expérience humaine du temps est d’abord celle d’un «passage»

Le temps «passe», on «perd» son temps. Les traces de ce passage s’inscrivent subjectivement dans notre mémoire et objectivement dans le vieillissement de notre corps.

«Nul homme ne se baigne jamais deux fois dans le même fleuve car, la seconde fois, ce n’est plus le même fleuve et ce n’est plus le même homme.» (HÉRACLITE, vers -500)

C . Mais c’est aussi l’expérience d’une continuité : la «durée»

La durée éprouvée par la conscience diffère du temps des horloges parce qu’elle est propre à l’individu, à un état d’esprit, à certaines circonstances, ou à une société.

«La durée réelle est ce que l’on a toujours appelé le temps, mais le temps perçu comme indivisible.» (BERGSON, La perception du changement, 1911)

Continuellement et irréversiblement, le présent devient le passé, de sorte que le temps apparaît comme une continuité indéfinie (ou le passé immédiat se continue et l’avenir immédiat s’anticipe), un milieu complémentaire de l’espace où se déroule la succession des phénomènes, les changements, mouvements, et leurs représentations conscientes.

D. Une seule expérience actuelle du temps : le présent

«Si rien ne passait, il n’y aurait pas de passé ; si rien n’advenait, il n’y aurait pas de futur; si rien n’était, il n’y aurait pas de présent. Mais ces deux temps – le passé et le futur –, comment peut-on dire qu’ils “sont”, puisque le passé n’est plus, et que le futur n’est pas encore ? Quant au présent, s’il restait toujours présent sans se transformer en passé, il cesserait d’être “temps” pour être “éternité”. Si donc le présent, pour être “temps”, doit se transformer en passé, comment pouvons-nous dire qu’il “est”, puisque son unique raison d’être, c’est de ne plus être – si bien que, en fait, nous ne pouvons parler de l’être du temps que parce qu’il s’achemine vers le non-être ?
En revanche, ce qui m’apparaît comme une évidence claire, c’est que ni le futur ni le passé ne sont. C’est donc une impropriété de dire : “Il y a trois temps : le passé, le présent et le futur”. Il serait sans doute plus correct de dire : “Il y a trois temps : le présent du passé, le présent du présent, le présent du futur”. En effet, il y a bien dans l’âme ces trois modalités du temps, et je ne les trouve pas ailleurs. Le présent du passé, c’est la mémoire ; le présent du présent, c’est la vision directe ; le présent du futur, c’est l’attente.» (AUGUSTIN d’Hippone, Confessions, vers 400)

      • Le passé et le futur ne sont pas, n’ont pas d’existence objective. Seul le présent est «réel» : le passé est ce que notre mémoire projette dans notre conscience présente, le futur est ce que l’imagination y anticipe.
      • Le passé est ce que, à un instant donné, nous nous remémorons. Nous n’avons aucun moyen de vérifier objectivement que la représentation que nous en avons est vraie (nous devons faire confiance à notre mémoire, à notre interprétation du présent, aux historiens, aux témoignages…)
      • L’avenir est le produit de notre imagination ou de nos calculs : c’est une «prévision». Elle s’avérera vraie ou fausse lorsque ce «futur au présent» sera devenu le présent.

E. Attitudes psychologiques devant la «fuite du temps»

Le temps a une direction  qui fait que ce qui a été présent (et ne l’est plus) est définitivement anéanti : il y a donc asymétrie entre passé et futur, le passé déterminant le futur.

1/ D’un point de vue psychologique, l’irréversibilité du temps induit, dans le présent, toute une gamme de sentiments.
Si subjectivement nous distinguons clairement l’avant, le maintenant et l’après, c’est parce qu’ils correspondent à des activités mentales différentes (l’activité de se souvenir est différente de celle d’imaginer), et qu’à ces activités sont liés des sentiments qui déterminent éventuellement des comportements particuliers.

2/ Sentiments en lien avec le passé (avec des contenus de la mémoire)

      • Nostalgie : tendance à idéaliser le passé, donc à recomposer sa mémoire, à n’en garder que le positif pour en faire une source de plaisir. (On se «réfugie» dans un passé idéalisé pour échapper aux contraintes du présent.)
      • Regret : insatisfaction causée par une perte, la non-réalisation d’un désir, l’erreur d’un choix, d’une action.
      • Remord : sentiment persistant de culpabilité lié à un acte dont le souvenir est obsessionnel, qu’on voudrait ne pas avoir commis, avec le sentiment d’impuissance, d’irréparable.
      • Honte : sentiment lié à un décalage entre l’image qu’on a de soi et un souvenir.

3/ Sentiments en lien avec l’avenir (avec des représentations imaginaires)

      • Pessimisme : le devenir considéré comme destructeur. Les objets s’usent, notre corps vieillira, nos capacités physiques et intellectuelles s’amoindriront avec le temps. Le devenir est pour l’homme une malédiction qui fait de lui un animal comme les autres, soumis aux lois de la vie et condamné à mourir.
        Ex. : Crainte (appréhension d’un danger, d’une douleur, d’un mal à venir).
      • Optimisme : le devenir est source d’expérience, de maturation, d’apprentissage, de réalisation de projets. Le devenir est pour l’homme la condition de possibilité de l’actualisation de ses potentiels, sa dimension proprement humaine puisque les autres animaux ne semblent pas disposer de la capacité de représentation de l’avenir.
        Ex. :  Espérance (sentiment de confiance en l’avenir pour la réalisation de nos désirs).

4/ D’autres sentiments en lien avec l’expérience du temps existent comme l’impatience, la hâte (insatisfaction liée à l’impossibilité d’agir immédiatement).

2. Le temps objectif (physique) : le temps mesurable

Si lorsque nous nous endormons, le temps s’arrête pour nous (temps subjectif) et ne reprend qu’à notre réveil, néanmoins les horloges ont continué à tourner (temps objectif) et nous pouvons nous informer des événements qui ont eu lieu en notre «absence».  (De la même façon, le temps préexistait à notre existence, nous pouvons légitimement supposer qu’il se poursuivra après notre mort.)

A. Objectivité de notre expérience du temps :

    • Nous subissons le passage du temps, nous ne décidons pas de la durée d’un phénomène : il échappe à notre volonté, est indépendant de nous.
    • Nous pouvons nous accorder avec autrui sur ce qui est présent, passé et avenir (le passé désigne ce qui n’est plus, le futur ce qui n’est pas encore, le présent la limite fuyante entre passé et futur) et sur l’ordre (dans le temps) des événements que nous vivons en commun.
    • Régularité du temps : nous avons l’expérience de régularités dans les phénomènes naturels  (cycles des journées, des saisons, du mouvement des planètes ou des marées…)
    • Le temps peut être mesuré par comparaison avec un phénomène physique supposé régulier (mouvement des planètes, oscillations d’un pendule…). Or le fait de pouvoir être mesuré caractérise, dans la rationalité occidentale, la réalité d’un objet. On peut mesurer un cycle par un autre cycle plus court (ex : journées pour mesurer l’année, heures pour mesurer la journée, etc.) C’est le principe de toute «mesure du temps» :  mesure des heures de la journée à l’aide d’un cadran solaire (c’est-à-dire du cycle naturel de la rotation de la Terre sur elle même en une journée).
      Les cycles (ou rythmes) naturels sont progressivement remplacés par des cycles artificiels, fabriqués par l’Homme, comme les oscillations d’un pendule, les vibrations du quartz…
    • Tout phénomène physique se déploie dans un ordre (une succession d’états ; un début, un milieu et une fin) nécessaire, prévisible, selon des lois causales objectives (indépendantes de la subjectivité de l’observateur).

B. Représentation du temps (datation, chronologie)

Depuis l’invention de la numération, la succession des évènements de l’Histoire (de l’Univers, de la nature, de l’humanité, d’une nation ou d’une famille…) s’appuie sur une indexation du temps : l’ordre des phénomènes correspond à celui de leur date et heure associées. Dans ce cadre général tout s’insère en terme de succession et de simultanéité.

C. Irréversibilité du temps et entropie

En physique, le second principe de la thermodynamique pose l’irréversibilité des phénomènes physiques, définissant la «flèche du temps». L’entropie est la grandeur physique, toujours positive qui caractérise l’accroissement du désordre dans un système physique et donc l’impossibilité d’un « retour à un état antérieur». (La transformation d’un système implique une perte d’énergie qui serait nécessaire pour revenir à l’état antérieur.)

La physique a longtemps postulé un temps absolu et uniforme (Newton) avant de concevoir un temps relatif (Einstein) : deux horloges qui se déplacent à deux vitesses différentes mesureront un temps différent pour un même phénomène. (Paradoxe des jumeaux :  si un des jumeaux voyage en fusée, donc à grande vitesse, alors que l’autre reste sur Terre, celui qui aura voyagé  sera plus jeune à son retour que celui qui est resté sur Terre.)

D. L’avenir irréversiblement déterminé par le passé

Un événement est nécessairement précédé par ses causes et suivi par ses conséquences (ou principe de causalité) : tout évènement est effet d’événements qui l’ont précédé, ses causes, sans lequel il n’aurait pas eu lieu. Donc la cause précède nécessairement l’effet, ce qui permet d’ordonner dans le temps tous les événements et détermine objectivement le temps (chronologie).

Du point de vue empirique (la sensibilité est à l’origine de toute connaissance), le principe de causalité est le fondement de toute connaissance : nous apprenons empiriquement (par habitude) à associer l’apparition d’un type d’événement à d’autres qui le précèdent toujours. C’est ainsi que nous pouvons déduire l’ordre d’une chaîne d’événements : pour qu’il puisse avoir eu lieu, il a fallu que tel(s) autre(s) le précède(nt) qui eux-mêmes ont dû être précédés par… etc.

«Une intelligence qui, à un instant donné, connaîtrait toutes les forces dont la nature est animée et la situation respective des êtres qui la composent, si d’ailleurs elle était suffisamment vaste pour soumettre ces données à l’analyse, embrasserait dans la même formule les mouvements des plus grands corps de l’univers et ceux du plus léger atome ; rien ne serait incertain pour elle, et l’avenir, comme le passé, serait présent à ses yeux.» (LAPLACE, Essai philosophique sur les probabilités, 1814)

La notion de « déterminisme » : théorie selon laquelle la succession des événements et des phénomènes dans le temps est due au principe de causalité. Sa description par une loi mathématique a un caractère prédictif. On peut prévoir la position exacte d’une planète ou d’une fusée, la consommation d’un moteur ou le produit d’une réaction chimique).
Notre incapacité à prévoir la totalité de l’avenir est liée à l’insuffisance de nos capacités à intégrer la quantité d’informations et à produire le nombre de calculs nécessaires.

3. Le temps comme forme a priori de la perception (Kant)

Kant propose une hypothèse permettant de relier entre eux temps objectif et subjectif : c’est le fonctionnement même de l’esprit qui fournit les formes du temps et de l’espace préexistant à tous les contenus qui peuvent y prendre place (l’intuition) qu’elles mettent en ordre à partir des données des sens et du travail de l’entendement.

Les phénomènes tels qu’ils nous apparaissent dépendent donc de ces « formes a priori de la perception » que sont le temps et l’espace.

« a) Le temps n’est pas quelque chose qui existe en soi, ou qui soit inhérent aux choses comme une détermination objective […] Le temps n’est que la condition subjective sous laquelle peuvent trouver place en nous toutes les intuitions. […] b) Le temps n’est autre chose que la forme du sens interne, c’est-à-dire de l’intuition de nous-mêmes et de notre état intérieur. En effet, le temps ne peut pas être une détermination des phénomènes extérieurs, il n’appartient ni à une figure, ni à une position, etc. ; au contraire, il détermine le rapport des représentations dans notre état interne. Et, précisément parce que cette intuition intérieure ne fournit aucune figure, nous cherchons à suppléer à ce défaut par des analogies et nous représentons la suite du temps par une ligne qui se prolonge à l’infini et dont les diverses parties constituent une série qui n’a qu’une dimension, et nous concluons des propriétés de cette ligne à toutes les propriétés du temps […].
c) Le temps est la condition formelle a priori de tous les phénomènes en général. L’espace, en tant que forme pure de l’intuition extérieure, est limité, comme condition a priori, simplement aux phénomènes externes. […] Le temps est une condition a priori de tous les phénomènes intérieurs (de notre âme), et, par là même, la condition médiate des phénomènes extérieurs. » (KANT, Critique de la Raison Pure, 1781)

 

4. Le temps de l’humanité (historique) : le temps «raconté»

Nous ne connaissons le passé que par les traces qu’il laisse inscrites dans notre présent :

  • dans notre mémoire où sont consignés les faits marquants que nous avons vécus et que nous pouvons actualiser en nous les remémorant, c’est-à-dire en les ramenant à notre conscience présente ;
  • sur des supports physiques extérieurs (livres, films, photos…) où sont racontés des événements (qui peuvent être très anciens) que nous pouvons «?revivre?» artificiellement (au présent) en consultant ces supports ;
  • dans les objets eux-mêmes présents autour de nous : les lois de transformation qui s’appliquent à eux nous permettent d’extrapoler (au présent) leur histoire (fabrication ou naissance, modifications, âge, etc.).

A. Définitions

1/ Histoire : dans la langue française, le mot a 2 significations (que l’on peut distinguer par l’utilisation d’une majuscule)

      • L’Histoire comme l’ensemble des événements passés (qu’on en ait connaissance ou pas).
      • L’histoire comme domaine de connaissances (l’histoire a pour but la connaissance de l’Histoire).

Étymologie : du Grec hystorie = «?enquête?». Il y a donc idée d’une recherche d’indices, de preuves, de témoignages permettant de reconstituer ce qui a eu lieu dans un temps passé, d’en produire une représentation théorique.

NB : L’histoire comme discipline ne concerne la connaissance du passé qu’à partir du moment où l’on dispose de traces écrites des civilisations ou peuples concernés. Le domaine de recherche de l’historien ne concerne que la période de l’Histoire qui commence avec l’écriture. La Préhistoire désigne la période qui précède l’apparition de l’écriture dans une civilisation : c’est le domaine de la paléontologie.

2/ Événement : changement d’un état de choses (qu’on peut décrire à un moment particulier du passé) déterminant pour la suite de l’Histoire (ou considéré comme «important» par une communauté en fonction de critères culturels spécifiques et de son histoire propre).

Idéalement (du point de vue de l’historien), un état de choses (à un instant ou une date donnée) dans un domaine d’objets (politique, économique, social…) serait capté objectivement par la description à un instant donné des objets de ce domaine (personnes, statuts, classes sociales, institutions…) et de leurs relations. Un fait serait donc déterminé par un changement de cet état de choses. Ce fait devient un événement dès lors qu’il s’avère avoir des conséquences importantes pour une époque ou du point de vue d’une communauté humaine. Un événement constitue donc un marqueur temporel pour une communauté humaine (société, civilisation), la suite des événements sélectionnés constituant son histoire.

N.B. : Un fait peut être un événement dans l’histoire de la politique et aucune dans le domaine de l’histoire des mœurs, des techniques ou des arts.

B. Des histoires différentes selon le type d’objet (Distinction «Histoire naturelle» / «Histoire civile»)

«La connaissance des faits […] n’est rien d’autre que la sensation et la mémoire, et c’est une connaissance absolue, comme quand nous voyons qu’un fait a lieu ou que nous nous souvenons qu’il a eu lieu?; c’est la connaissance que l’on requiert d’un témoin.  […] Le recueil de la connaissance des faits est appelé histoire ; il y en a deux sortes : l’une est appelée histoire naturelle, qui est l’histoire des faits ou effets de la nature qui ne dépendent pas de la volonté humaine, comme les histoires des métaux, de la faune, de la flore des régions et ainsi de suite. L’autre est l’histoire civile, qui est l’histoire des actions volontaires des hommes dans les Etats.» (Thomas HOBBES, Léviathan, 1651)

      • Il y a une histoire de la nature dans laquelle prend place l’histoire des hommes, de leurs nations et de leurs civilisations (qui naissent, vivent et meurent).
      • Depuis quelques décennies, on considère que l’histoire de la nature et l’histoire de l’Homme sont devenues indissociables : l’être humain transforme la nature de manière déterminante (destruction d’espèces naturelles, assèchement de mers intérieures, réchauffement climatique, déboisement, etc.) : la période actuelle de l’histoire de la Terre est nommée anthropocène pour tenir compte de ce fait.

C. Des histoires différentes selon les échelles de temps

1/L’histoire de l’Homme comme accident dans l’histoire de l’Univers et dans celle de la nature

Homo sapiens est apparu comme espèce (il y a environ 350 000 ans selon les paléontologues) et disparaîtra… un jour. Il fait partie de la nature qui a elle-même une histoire : le big bang déclenchant la formation de notre univers est daté de 14,9 milliards d’années, la formation de la Terre en tant que planète de 4,5 milliards d’années, la vie y apparaît il y a 3,7 milliards d’années, le premier ancêtre de l’espèce Homo, (homo rudolfensis), il y a 2,4 millions d’années, Homo sapiens il y a 300 000 ans… Puis les civilisations humaines se succèdent, caractérisées par des éléments culturels techniques, artistiques, politiques, etc.

2/ L’histoire des civilisations (culture avec normes, valeurs, croyances, connaissances…)

De nombreuses civilisations humaines sont nées, ont duré de quelques siècles à quelques millénaires (mais jamais plus) avant de disparaître avec leur culture (civilisations mésopotamienne, égyptienne, de l’Indus, grecque, romaine, celte, arabe médiévale, maya, aztèque, inca…).
Certaines ont laissé des traces qui nous permettent d’essayer de les connaître, de comprendre ce qui leur a permis de naître, de se développer, de durer et ce qui les a détruites : c’est le travail des historiens.

Mais Homo sapiens produit des cultures qui, si elles naissent et disparaissent à l’échelle des siècles et quelquefois des millénaires, semblent néanmoins, en prenant un «recul historique», progresser (idée de «sens de l’histoire») :

        • Les évolutions techniques sont évidentes : aucun de nos ancêtres du XIXe siècle n’aurait pu concevoir les  développements récents de l’informatique, de l’aérospatiale ou de la biologie.
        • Les évolutions morales se généralisent progressivement  (disparition progressive de l’esclavage, de la peine de mort, du patriarcat, apparition de l’idée d’égalité de droits, etc.

3/ Trois échelles de temps pour l’historien (Fernand BRAUDEL, La Méditerranée,1949)

• L’histoire de «longue durée» : «La première met en cause une histoire quasi immobile, celle de l’homme dans ses rapports avec le milieu qui l’entoure ; une histoire lente à couler, à se transformer.»
Ex : la transformation de la nature par l’Homme… (NB : cette échelle tend à se réduire ; cf. la notion d’«anthrocpocène»)

L’histoire des sociétés (qui prend place dans la précédente) : «Une histoire sociale, celle des groupes et des groupements.  […] La guerre, nous le savons, n’est pas un pur domaine de responsabilités individuelles.»
Ex : l’évolution des arts, des sciences, des techniques, des valeurs morales mais aussi les conflits, révolutions…

L’histoire événementielle (qui prend place dans la précédente) : «Troisième partie enfin, celle de l’histoire traditionnelle, si l’on veut de l’histoire à la dimension […] de l’individu, l’histoire événementielle.»
Ex : anecdotes de la vie des «grands hommes», mais aussi des individus anonymes, faits divers …

4/ L’Homme comme être historique

Inscription de soi dans l’Histoire : notre «situation»

Notre présent est pris dans la trame de faits qui nous échappent : Chaque individu naît, vit et meurt dans un contexte historique qu’il ne choisit pas. Sartre nomme ce contexte une situation : l’homme est un «être en situation», et nous n’avons pas le choix :  «Nous sommes embarqués».

NB : S’il y a un « sens de l’Histoire » ou même des «lois de l’histoire» (Kant, Hegel, Marx…), alors les individus n’ont aucune prise sur les déterminismes historiques dont ils ne sont que les jouets.

Inscription de l’Histoire (ou plutôt d’une histoire) en soi : la mémoire

Nous sommes culturellement des «héritiers». Notre culture nous transmet l’histoire des diverses communautés auxquelles nous appartenons : l’humanité, notre pays, classe sociale, famille… En fonction de l’ordre de priorité accordé à l’un de ces niveaux de communauté, nous serons plutôt universalistes ou au contraire nationalistes, ou communautaristes.

La mémoire comme refuge face aux incertitudes du présent (et donc de l’avenir) : à l’intérieur d’une civilisation, d’une nation, d’une société, et en s’appuyant sur un passé (plus ou moins lointain et plus ou moins idéalisé), des communautés s’organisent autour d’intérêts communs (raciaux, religieux, sexuels…) et font valoir leurs intérêts particuliers en s’appuyant sur l’histoire (colonialisme, répressions…), indépendamment de l’«intérêt général» (notion de « communautarisme »). On peut l’expliquer par la désagrégation des valeurs communes des sociétés soumises aux incertitudes économiques et à la rapidité des évolutions techniques et morales que les individus ont de plus en plus de mal à assumer — choisissant alors de se réfugier dans un passé plus ou moins idéalisé qui déterminerait un «enracinement» ou une «identité» vécue comme une essence, un déterminisme fondamental et indépassable, bref une stabilité rassurante.

Gérer l’histoire (ce que l’on retient du passé) : importance de l’oubli

Pour Nietzsche, la «plasticité» des individus, des collectivités et de leurs cultures, est nécessaire à leur dynamique. Or la sacralisation du passé enferme l’individu comme la société dans une identité rigide, limite l’ouverture au devenir, à la nouveauté, à l’enrichissement culturel, à l’originalité. La mémoire doit être gérée dans l’intérêt de l’individu, du peuple ou de la civilisation. Se laisser contraindre par les déterminismes historiques (sacralisation du passé, des valeurs morales traditionnelles, rites, conformismes, préjugés…) c’est s’enfermer dans une forme de nihilisme : c’est se fermer au devenir et donc arrêter la dynamique du temps historique.

«Toute action exige l’oubli, de même que toute vie organique exige non seulement la lumière, mais aussi l’obscurité. […] Il y a un degré d’insomnie, de rumination, de sens historique qui nuit au vivant et qui finit par le détruire, qu’il s’agisse d’un homme, d’un peuple ou d’une civilisation. Pour déterminer ce degré et par là la limite à partir de laquelle le passé doit être oublié si l’on ne veut pas qu’il devienne le fossoyeur du présent, il faudrait savoir précisément quelle est la force plastique de l’individu, du peuple, de la civilisation en question. Je veux parler de cette force qui permet à quelqu’un de se développer de manière originale et indépendante, de transformer et d’assimiler les choses passées ou étrangères, de guérir ses blessures, de réparer ses pertes, de reconstituer sur son propre fonds les formes brisées. […] C’est seulement quand il est assez fort pour utiliser le passé au bénéfice de la vie et pour refaire de l’histoire avec des évènements anciens, que l’homme devient homme : trop d’histoire en revanche, tue l’homme, et sans cette enveloppe de non-historicité, jamais il n’aurait commencé ni osé commencer à être. L’élément historique et l’élément non historique sont également nécessaire à la santé d’un individu, d’un peuple ou d’une civilisation.» Friedrich NIETZSCHE, Considérations inactuelles (1876)

5. Le temps des sociétés (social)  : le temps organisé d’une collectivité

A. L’organisation de la vie sociale impose des temporalités différenciées

Toute vie sociale, depuis la naissance d’un individu jusqu’à sa mort, s’inscrit dans une temporalité propre à la culture de la société. Chaque année, chaque semaine et chaque jour sont régulés par un temps déterminé socialement.
La vie sociale s’est d’abord organisée selon des rythmes imposés par la nature : rythmes circadiens (jour/nuit), rythme lunaire, rythme des saisons… Les fêtes religieuses ont établi leurs principaux rites (cérémonies, fêtes…) sur la base de ces rythmes naturels, organisant ainsi la vie sociale.
À mesure que les sociétés se sont complexifiées, ces fondements naturels ont été recouverts par des représentations conventionnelles, propres à chaque société, en lien avec ses nécessités propres (cas du travail de nuit qui apparaît avec l’industrialisation), ou destinés au partages de représentations historiques (commémorations).

NB : en Amazonie, la langue des Pirahãs ne possède ni passé, ni futur (ni nombres), ce qui détermine un mode de vie social original, sans « temps historique ». Cela est rendu possible par le fait qu’ils vivent dans une zone équatoriale, donc sans saisons, de sorte que d’une part la nourriture leur est disponible sans interruption, et d’autre part il n’ont pas à se préoccuper des variations du climat (Cf. la «théorie des climats» de Montesquieu).

B. Différentes échelles de temps social :

    • Déterminations d’une journée (horaires) : temps des repas, du travail, des loisirs, du sommeil…
    • Déterminations d’une année (calendrier) : travail, loisirs (week-ends, vacances, jours fériés…), fêtes, anniversaires…
    • Déterminations d’une vie individuelle : naissance (considérée comme une fête, baptême…), éducation, études, travail, fonction parentale, retraite, décès…
    • Déterminations de la « vie de la société » (échelle supérieure à celle d’une vie individuelle) : commémorations…

6. Le temps et l’action (éthique) : le temps source de valeurs

L’humanité a longtemps légitimé ses valeurs morales par une source située dans le passé (traditions ancestrales, commandements divins…). Ce n’est que récemment que l’humanité a commencé a cherché à déterminer la moralité des actions par leurs effets sur l’avenir.

A. Le présent comme condition du bonheur

«Que chacun examine ses pensées, il les trouvera toutes occupées au passé et à l’avenir. Nous ne pensons presque point au présent ; et, si nous y pensons, ce n’est que pour en prendre la lumière pour disposer de l’avenir. Le présent n’est jamais notre fin : le passé et le présent sont nos moyens ; le seul avenir est notre fin. Ainsi nous ne vivons jamais, mais nous espérons de vivre ; et, nous disposant toujours à être heureux, il est inévitable que nous ne le soyons jamais.» (PASCAL, Pensées, 1670)

B.  Le présent comme «bon usage» du passé pour se projeter dans l’avenir

«La signification du passé est étroitement dépendante de mon projet présent. Cela ne signifie nullement que je puis faire varier au gré de mes caprices le sens de mes actes antérieurs ; mais, bien au contraire, que le projet fondamental que je suis décide absolument de la signification que peut avoir pour moi et pour les autres le passé que j’ai à être. Moi seul en effet peux décider à chaque moment de la portée du passé : non pas en discutant, en délibérant et en appréciant en chaque cas l’importance de tel ou tel événement antérieur, mais en me projetant vers mes buts, je sauve le passé avec moi et je décide par l’action de sa signification.»  (SARTRE, L’Être et le Néant, 1943)

C.  Le futur comme mesure de nos actions

«Nous n’héritons pas de la terre de nos ancêtres, nous l’empruntons à nos enfants». (ST-EXUPÉRY, Terre des Hommes, 1939)