La Culture

1. DISTINCTIONS DE VOCABUAIRE

  1. l’Homme (en général) synonyme de « genre humain », (l’Homo sapiens des biologistes),
  2. l’homme en tant qu’individu (singulier), synonyme d’« être humain », qui fait partie du genre humain.
    NB : la convention des majuscules n’étant pas une règle, on peut soit la préciser quand on l’emploie, soit, par souci de clarté, utiliser « genre humain » plutôt que « Homme », « être humain » ou « individu », termes neutres, plutôt que « homme ».
  1. la Culture (en général) qu’on oppose à la Nature et qui est l’objet d’étude de l’anthropologie culturelle.
    Ex. : La Culture est le propre de l’Homme. Il est dans la nature humaine d’acquérir une culture.
  2. les cultures (particulières), ensemble de ce qui se transmet dans un groupe humain d’une génération à l’autre, objets d’étude de l’ethnologie et de la sociologie.
    Ex. : la culture occidentale, la culture des aborigènes d’Australie, la culture de la Grèce antique…

2.  LE(S) SENS DU MOT « CULTURE »

A. Un double-sens :

1/ Domaine de l’agriculture : « la culture du blé, cultiver une terre… » 

2/ Domaine des sciences humaines : « la culture grecque » —> ensemble des caractères transmis de génération en génération

3/ Lien entre 1/ et 2/ :  « Un champ, si fertile soit-il, ne peut être productif sans culture, et c’est la même chose pour l’âme sans enseignement. » (CICERON, 106 – 43 av. J.-C.)

Un champ cultivé permet de mettre en valeur la nature. La « nature humaine » est mise en valeur chez une personne «?cultivée?».
Pour les Latins, l’enfant naît tabula rasa, c’est-à-dire sans que rien ne soit déjà « écrit » en lui. Tout doit lui être appris. Pour pouvoir vivre dans la société où il est né, il doit acquérir la culture nécessaire que sa famille puis l’école doivent lui transmettre. (Cf. Texte de Kant, Traité de pédagogie, 1802)

Ex. 1 : Si l’on n’apprend pas à marcher à un bébé (ou s’il n’a pas un modèle dans son entourage), il ne marchera jamais (il faut entraîner les muscles de posture du dos pour pouvoir maintenir la station debout). (Ex. des «enfants sauvages»)
Ex. 2 : L’hygiène est une norme relative à une culture donnée. Dans les sociétés modernes, on apprend à rester propre, ou à manger proprement, ce qui pouvait n’avoir tout simplement aucun sens dans une autre culture…

B. Définitions de la culture

Définition la plus fondamentale : La culture est ce qui dans une collectivité humaine se transmet d’une génération à l’autre.

Bien distinguer la culture d’une civilisation (culture grecque, chinoise, occidentale…), de celle d’une collectivité humaine (culture professionnelle, religieuse, politique…) et de celle d’un individu (ensemble de ses connaissances).

a.  Pour une civilisation ou une société :  La culture est l’ensemble des connaissances, savoir-faire, traditions, valeurs mais aussi les objets techniques et artistiques accumulés au cours des siècles et caractérisant cette civilisation ou cette société.

Aucun individu vivant dans le cadre d’une société ou d’une civilisation moderne ne possède la totalité de cette culture (sciences, arts, techniques….). Chaque individu n’en possède qu’une petite partie.

b. Pour un groupe social :   La culture est l’ensemble des signes caractéristiques (langage, savoir-faire, attitudes, comportements, vêtements, etc.) qui appartiennent à ce groupe (métier, classe sociale…) dont une partie les différencie des autres individus de la même société.
L’être humain se définit lui-même par son appartenance à une pluralité de groupes sociaux (famille, associations, entreprise, commune, région, nation, religion, etc.) avec lesquels il partage certaines caractéristiques culturelles (goûts, activités, idées, opinions, valeurs, convictions, statut social etc.) et où, de ce fait, il est a priori accepté.

c. Pour un individu :  La culture d’une personne est l’ensemble des connaissances, savoir-faire, traditions, coutumes, valeurs, qu’il a acquis.
La culture personnelle peut intégrer des éléments culturels de collectivités humaines différentes (professionnels, artistiques, sportives, politiques…).  Dans une société complexe, chacun ne possède qu’une petite partie de la culture caractérisant cette société (aucun individu ne connaît toute la culture scientifique, technique, artistique de la société occidentale).

3.  LA CULTURE : ÉMANCIPATION OU ALIÉNATION ?

A. La culture d’un individu peut se retrouver en conflit avec la culture de la société où il vit :

    • la culture de l’individu est ce qui le détermine « de l’intérieur » : ce qu’il a acquis et qu’il assume comme son identité (« la culture est une seconde nature ») ;
    • la culture de la société y ajoute des déterminations « de l’extérieur » : les institutions politiques, judiciaires, les comportements majoritaires et la stigmatisation des comportements déviants, tout ce qui, de la civilisation, est matérialisé ou se matérialise et contraint les comportements dans la sphère publique.

Les sociologues appellent « habitus » l’ensemble des déterminations (habitudes) d’origine sociale intériorisées par l’individu.

B.  Autonomie / Hétéronomie :

    • Lautonomie est la capacité supposée de l’homme à produire lui-même les lois qu’il s’applique (indépendamment de tout pouvoir qui les lui dicterait, qu’il soit politique ou religieux).
    • L’hétéronomie définit la situation de celui qui, au contraire, est entièrement soumis à des déterminations extérieures.

C. Aliénation/Émancipation :

    •   Aliénation : pour l’individu, perte de son autonomie, de la maîtrise de ses forces propres au profit d’un individu, d’un groupe ou d’une société.
      Une culture peut être vécue comme aliénante par ceux qui souffrent de certaines contraintes ou certains interdits imposés par cette culture.
      La transgression des interdits culturels apparaît alors comme une condition d’émancipation de l’individu.
      .
    • Émancipation : pour l’individu, acquisition de son autonomie, de la maîtrise de son existence.
      La culture et les capacités qu’elles nous permet de développer, nous donne un contrôle sur notre existence.
      La culture rationnelle, pour les Lumières, permet d’échapper aux préjugés, aux superstitions, à l’arbitraire des pouvoirs…

Le projet des Lumières :  la raison est une disposition naturelle de l’homme. S’émanciper, c’est échapper grâce à sa raison aux déterminations irrationnelles imposées par des pouvoirs qui exploitent les préjugés et l’obscurantisme pour asservir les foules. L’infantilisation des hommes sert l’intérêt de ceux qui détiennent le pouvoir. Au contraire, l’émancipation des individus est ce qui leur permet d’acquérir une autonomie intellectuelle et morale. Elle passe par la culture, par la connaissance, par une libération de tout ce qui maintient l’humanité « sous tutelle ».

« Accéder aux Lumières consiste pour l’homme à sortir de la minorité où il se trouve par sa propre faute. Être mineur, c’est être incapable de se servir de son propre entendement. […]  Aie le courage de te servir de ton propre entendement !  Telle est la devise des Lumières. » (KANT, Qu’est-ce que les Lumières ?, 1776)

4. LA CULTURE EST-ELLE LE PROPRE DE L’HOMME ? 

 Les grands singes sont capables de transmettre de génération en génération des techniques particulières. (Ex. : « la pêche aux insectes » chez les chimpanzés à l’aide de brindilles, les macaques de l’île de Koshima (Japon) qui nettoient leurs patates douces dans l’eau de mer…). Il y a transmission d’un acquis, ce qui est la définition de la culture.
Si l’on pose a priori que la culture est le propre de l’Homme, on le sépare du reste de la nature dont il peut faire libre usage (pollution, destruction des autres espèces vivantes, etc.). Or l’Homme fait objectivement partie de la Nature, il est un produit de l’évolution générale de la vie sur Terre.

4.1  « Nature » vs. « Culture » (ou « inné » vs. « acquis »)

A. L’opposition « Nature / Culture » permettrait de classer les comportements humains

Comportements innés  (instinctifs, naturels) vs. comportements acquis (culturels)
Ex. : l’agressivité déclencherait des comportements innés, en général réprimés par la culture mais qui s’expriment dans des circonstances extrêmes qui font  craquer le « vernis de la  culture » . (Cf. texte Freud)

Qu’est-ce qui est inné chez l’Homme ?
Un caractère est dit inné lorsqu’il est déterminé dès la naissance de l’individu. Pour qu’un comportement humain puisse être considéré comme inné, il faut qu’on le retrouve chez tous les êtres humains, indépendamment de leur culture. Ex. : actes réflexes, besoins organiques, instincts sexuel, agressivité…
Mais les traits instinctifs du comportement humain sont toujours modelés, mis en forme par la culture. Par exemple par les règles de politesse :

« La culture nous permet de maîtriser nos instincts », (E. KANT, 1724 – 1804)

Les instincts déterminent des comportements rigides et rudimentaires, destinés à la satisfaction rapide d’un besoin. Ils sont mal adaptés à la complexité de la vie sociale. À mesure que se développe le système nerveux et les capacités intellectuelles de l’enfant, en particulier l’acquisition du langage, la part de comportements innés, instinctifs, décroît au profit des comportements acquis.
Les comportements instinctifs, trop rigides
, ne sont plus nécessaires à la survie en société et sont même contre-productifs dans un environnement social.
Ex. : l’agressivité, utile à l’homme pour sa survie dans la nature, le conduira en prison dans une société policée.

B. La Culture dans la continuité de la Nature

La nature humaine, les capacités innées de l’être humain, ne peuvent se développer que si l’individu acquiert une culture :

« On ne naît pas homme, on le devient. » ERASME (1466-1536).

L’être humain n’est pas définitivement fixé dans une «essence», dans un ensemble de déterminismes biologiques rigides. Sa culture et son expérience (son «vécu»). À sa naissance, la vie de l’être humain est totalement dépendante de son milieu. Toute sa vie, il demeurera fondamentalement inachevé, son « identité » (physique, intellectuelle et morale) se transformera. Seule la culture lui permet d’accéder à la maturité :

« L’homme est perfectible » (J.-J. ROUSSEAU, 1712-1778)

Pour résumer : Acquérir une culture fait partie de la nature humaine.

C. Distinction potentiel / actuel (ou en puissance / en acte)

      • Est en puissance, ce qui n’est pas encore réalisé mais pourrait l’être, ce qui n’est encore qu’une virtualité.
        Ex. : un bébé (sain) est en puissance un être cultivé, un sportif, un intellectuel, un artiste...
      • Est en acte ce qui est un fait, ce qui est réalisé, ce qui est actualisé.
        Ex. : un adulte (bien éduqué) est en acte, concrètement, un être cultivé.

« L’homme est perfectible » (J.-J. ROUSSEAU) : L’être humain peut constamment élargir sa culture, se « perfectionner », acquérir de nouvelles compétences, de nouveaux talents. Il n’est pas prisonnier d’une Nature, comme la plupart des animaux dont les comportements sont instinctifs) et d’un destin, mais dispose au contraire de degrés de liberté lui permettant d’actualiser ses potentiels. (Cf. Texte Kant)

Le corps humain ne peut actualiser ses potentialités que par acquisition d’une culture :

        • Le cerveau : tabula rasa (en latin : « tablette vide ») à la naissance. C’est un contenant qui ne se développe qu’en fonction du contenu qu’il acquiert. Les limites de sa polyvalence adaptative sont inconnues.
          Les neurologues pensent néanmoins qu’il existe des « pré-cablages » qui déterminent a priori certaines aptitudes.
        • La bouche : mâchoire étroite, peu puissante. Ce qui impose de préparer les aliments, de les cuisiner, selon des techniques et des règles culturelles.  L’usage de la bouche peut être alors optimisé pour la parole.
        • La nudité : l’être humain naît sans aucune protection (pelage, carapace…). Ce qui lui impose de fabriquer des vêtements et un habitat pour se protéger de ses prédateurs et du froid. Il doit alors développer et transmettre les techniques nécessaires.
        • La main : Particularité du pouce opposable aux quatre autres doigts?; permet de saisir et de manipuler facilement les objets. Production d’outil, développement d’une habileté facilitant l’enchaînement de mouvements complexes.
        • La sexualité : maturité tardive. Permet une longue période d’éducation, de transmission de la culture, de « sublimation » des pulsions dans des activités sociales valorisées.
        • La bipédie : temps d’apprentissage long. Nécessité d’un milieu social protecteur.

D. Distinction universel / particulier

• Est naturel chez l’homme tout ce qui est universel, c’est-à-dire partagé par tous les êtres humains.
Si un fait de culture appartient à toutes les sociétés connues, il répond à un besoin commun à tous les individus ou est une condition nécessaire au regroupement de ces individus.

• Est culturel tout ce qui est particulier à certaines cultures, qui relève donc de la règle, de la convention.

E. La Culture en rupture avec la sélection naturelle

La Culture peut sembler en rupture avec la Nature en s’opposant à ce qui est par ailleurs une loi universelle (la sélection naturelle)?: 

« Nous autres hommes civilisés, au contraire, faisons tout notre possible pour mettre un frein au processus de l’élimination des plus faibles?; nous construisons des asiles pour les idiots, les estropiés et les malades ; nous instituons des lois sur les pauvres… »  DARWIN, La Descendance de l’Homme (1871)

La notion d’« instinct social » chez Darwin

L’« instinct social » serait un résultat adaptatif : les êtres humains les plus bienveillants à l’égard d’autrui, dotés d’un plus grand sens de la convivialité, étant plus adaptés à la vie en société se seraient reproduits plus largement que les autres. Le caractère d’empathie aurait donc diffusé progressivement dans l’humanité. (Ex. :
prendre soin des enfants,  des malades, des vieillards…)
Il semble évident que les individus violents, les plus associaux, se retrouvant en prison ou en marge de la société une partie de leur vie, ont moins de chance de se reproduire que leurs congénères plus doux, plus sociaux.

F. Entre Nature et  Culture : y a-t-il des traits communs à toutes les cultures ?

      1. La Religion (cours à venir) : Mythes racontant la naissance du monde et des hommes,  règles sociales imposées par un ordre extérieur (divin), rites de mariage et d’enterrement des mort…
      2. L’art (cours à venir) : Toutes les sociétés humaines possèdent une ou des formes d’art, ceci depuis au moins 20 000 ans.
      3. Un interdit universel : la prohibition de l’inceste
        Dans toutes les sociétés, un homme ne peut pas épouser n’importe quelle femme. Celles qui lui sont proches parentes lui sont interdites (règle d’exogamie).La prohibition de l’inceste contraint les familles à s’associer :  elle favorise l’établissement d’une société.
        La prohibition de l’inceste introduit  une première règle dans un groupe humain :  passage de l’état de nature à celui de culture.

5. UNIVERSALISME / RELATIVISME

5.1 UNIVERSALISME CULTUREL

A. Universalisme : doctrine à prétention universelle c’est-à-dire qui s’applique à tous, indépendamment de la culture, de la « race », du sexe, de la religion, de la nationalité, de l’orientation sexuelle ou tout autre élément distinctif.
Ex. : Doits de l’Homme (tous les êtres humains naissent égaux en droits)…

La notion d’universalisme a partie liée avec celle de nature humaine. S’il existe une nature humaine, alors certains traits culturels qui répondent à des besoins naturels devraient être partagés par toutes les cultures : ils sont universels.

      • Philosophie humaniste de la Renaissance : La quête du savoir est inscrite dans la nature humaine. L’individu, correctement instruit, devient libre et responsable de ses actes (autonome). Les notions de liberté ou libre arbitre, de tolérance, d’indépendance, d’ouverture et de curiosité sont indissociables de la théorie humaniste classique.
      • Philosophie universaliste des Lumières (XVIIIe siècle : Kant, Rousseau, Hume, Montesquieu, Diderot, d’Alembert, Smith, Voltaire… ) : par l’ignorance, la superstition ou par l’intérêt de certains pouvoirs (aristocratie, clergé), les êtres humains ont été maintenus dans l’obscurantisme, infantilisés. La philosophie des Lumières, appuyée sur la science, se fixe pour but de faire accéder l’humanité tout entière à l’âge adulte grâce à la mise en œuvre, dans tous les domaines, de son aptitude à la raison.

B. Les risques de la prétention d’une culture à l’universalisme :

      • Universalisme religieux : idée qu’une religion se fait de son destin à être partagée par (imposée à) l’ensemble de l’humanité
        (? universalisme philosophique qui s’appuie sur l’aptitude rationnelle commune à tous les êtres humains).
      • Colonialisme : imposer sa culture à une autre civilisation.
      • Impérialisme : imposer son système politique ou économique à une autre civilisation.

C. Un biais cognitif : l’ethnocentrisme

Biais cognitif : mécanisme de la pensée faussant le jugement. (Ex. : conformisme, soumission à l’autorité, préjugé culturel…)

Ethnocentrisme : valorisation des croyances et comportements propres à la société à laquelle on appartient, à la culture que l’on a.

« Chacun appelle barbarie ce qui n’est pas de son usage ; comme de vrai, il semble que nous n’avons autre mire de la vérité et dela raison que l’exemple et idée desopinions et usances du pays où nous sommes. Là est toujoursla parfaite religion, la parfaite police, parfait et accompli usage de toutes choses. » (MONTAIGNE, 1533-1592, Les Essais)

5.2 RELATIVISME CULTUREL

Relativisme : thèse selon laquelle le sens et la valeur des croyances et des comportements humains n’ont pas de références absolues. Les valeurs morales et les lois sont des conventions (propres à une culture mais qui n’ont pas de valeur absolue) :

« Vérité en-deçà des Pyrénées, mensonge au-delà. » PASCAL (1623-1662)

Les dangers du relativisme :

Impossibilité de valeurs morales partagées dans une humanité pourtant « mondialisée ». Renoncement à l’humanisme, à l’idée d’une humanité qui partagerait les mêmes valeurs morales, par exemple à l’idéal des Droits de l’Homme.

—> Le scepticisme moral : toute valeur morale est relative à une culture et ne peut donc être critiquée que d’un point de vue ethnocentrique. L’excision, l’esclavage, la polygamie contrainte, etc. devraient donc être respectés en tant qu’éléments de cultures…

Problème : Un État qui garantit dans son droit l’expression des religions peut-il condamner l’individu dont les valeurs prescrivent un comportement en conflit avec ce droit ? Solution : distinction entre sphère publique (où tout citoyen doit suivre les lois communes) et sphère privée (où il peut suivre les règles propres à ses convictions.

• La sensibilité humaine dépend-elle de la culture ?

« Un jour viendra où l’idée que, pour se nourrir, les hommes du passé élevaient et massacraient des êtres vivants et exposaient complaisamment leur chair en lambeaux dans des vitrines inspirera sans doute la même répulsion qu’aux voyageurs du XVIe ou du XVIIe siècle les repas cannibales des sauvages américains, océaniens ou africains. » Cl. LEVI-STRAUSS (1908-2009)


• La sensibilité humaine diffère selon les lieux et les époques.
De ce point de vue, on peut donc la tenir pour une conséquence de la culture. (On ne supporterait probablement pas le spectacle qui était infligé aux condamnés à mort en place publique tel que le supplice de la roue ou d’assister à des spectacles de gladiateurs s’entretuant).

3 hypothèses peuvent rendre compte de ce fait :

1/  L’être humain naît sans aucune sensibilité ni empathie a priori : c’est sa culture qui la lui construit progressivement.
Ex : selon qu’une religion affirme « aimez-vous les uns les autres » ou « les mécréants prenez-les où qu’ils se trouvent et tuez-les », la sensibilité de ses croyants sera probablement différente. (Notre sensibilité moderne supporterait-elle les exécutions publiques, les jeux du cirque romains, qui ont pourtant fait partie de la vie sociale « normale » à d’autres époques etc.)

2/  L’être humain naît agressif, violent et le demeure toute sa vie :  sa violence n’est contenue que par les interdits intériorisés et la contrainte concrète de l’ordre social (la « peur du gendarme »).
Ex : (Cf. Texte Freud) : « L’homme est un loup pour l’homme » (PLAUTE, 254-184 av. J.-C., puis HOBBES)

3/  L’être humain naît avec une sensibilité et une empathie naturelles, mais son éducation (déterminations sociologiques) et son histoire personnelle (déterminations psychologiques) les transforment entièrement (plasticité neuronale). Tout le monde peut devenir assassin ou tortionnaire (éventuellement même y prendre du plaisir) et l’intégrer comme faisant partie de son identité. C’est une question de circonstances. :

« L’homme naît bon, c’est la société qui le corrompt » (Jean-Jacques ROUSSEAU, 1712-1778)

• Le système des neurones miroirs, un fondement objectif pour l’universalisme moral ?

Le système des « neurones miroir » : catégorie de neurones qui présentent une activité lorsque l’individu observe un autre individu exécuter une action. Il permet l’apprentissage par imitation. Ce système des?neurones miroir? jouerait un rôle important dans l’empathie, c’est-à-dire dans la capacité à percevoir, reconnaître et éventuellement ressentir les émotions d’autrui. (Comme celui qui bâille nous fait bâiller et celui qui rit nous met de bonne humeur, celui qui souffre nous met mal à l’aise : en l’aidant, nous apaisons sa souffrance et donc notre propre malaise…)

6. PROBLÈME DE LA MONDIALISATION CULTURELLE

C’est un fait : nous mangeons des pizzas italiennes, des kébabs turcs, des couscous marocains, des hamburgers américains, nous lisons des livres traduits du monde entier…  Notre culture moderne, est tissée d’emprunts à d’autres cultures.

a. Théorie du « diffusionisme » culturel

Une culture importe spontanément les aspects des cultures étrangères positifs pour elle. Une culture se développe et se transforme par le biais d’emprunts auprès des groupes humains avoisinants, de migrations de population, de processus d’imitation ou d’acculturation.

b. Une culture mondialisée est-elle souhaitable ?

Thèse : C’est un facteur d’intégration de l’humanité. Une culture partagée permet une meilleure compréhension des êtres humains entre eux.
C’est un facteur de paix : il réduit les risques de guerres sur la base de conceptions politiques, économiques ou religieuses divergentes.
C’est un enrichissement mutuel des différentes cultures (Ex. : sciences, arts, sports, cuisines…)

Antithèse : Contrairement au rêve universaliste des Lumières, cette culture mondialisée ne s’appuie pas sur la raison, mais sur la satisfaction de pulsions et sur la consommation. Elle n’est pas nécessairement positive.
Disparition de langues, de coutumes, de formes d’art…
Nivellement par le bas : on ne partage que ce qui est facile d’accès, superficiel (cinéma commercial, modes…). (Mais contre-exemple :  les sciences…)
Cela se fait au seul avantage des leaders économiques qui ont les moyens d’imposer leurs conceptions du monde.

« L’humanité s’installe dans la mono-culture ; elle s’apprête  à produire la civilisation en masse, comme de la betterave. Son ordinaire ne comportera plus que ce plat. » (Cl. LEVI-STRAUSS, Triste Tropiques)

Le développement des outils de communication et d’une industrie culturelle paraît rendre inévitable la diffusion d’une culture commune à l’ensemble de l’humanité.

c. La mondialisation culturelle est-elle réelle ou apparente ?

« L’idée selon laquelle la diffusion de la culture de masse et des biens de consommation dans le monde entier représente le triomphe de la civilisation occidentale repose sur une vision affadie de la culture occidentale. L’essence de la culture occidentale, c’est le droit, pas le MacDo. Le fait que les non-Occidentaux puissent opter pour le second [le MacDo] n’implique pas qu’ils acceptent le premier [le Droit]. » (Samuel HUTTINGTON, Le choc des civilisations, 1996)

On peut adopter des formes culturelles étrangères “bénignes” sans rien changer aux fondements de sa propre culture. (Ex. On peut boire du Coca dans un pays où on applique la Charia.)