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La Justice

1.  LA NOTION DE JUSTICE

La notion de justice possède trois sens, déterminés chacun par un principe différent :

  • Selon un principe moral : la justice est une vertu, une qualité morale. Est juste celui qui agit conformément à des valeurs morales (une personne ou ses actions peuvent être qualifiées de justes ou d’injustes). Elle détermine des « obligations morales » et fonde la notion de « légitimité ».
  • Selon un principe de pouvoir : la justice est une institution politique qui dispose du pouvoir judiciaire, pouvoir de légiférer (produire des lois) et de « rendre justice » (faire appliquer les lois). Est juste ce qui est conforme aux lois. Exercé par l’État, concrétisé par les institutions judiciaires (ministère, tribunaux…) et des fonctions (juges, avocats…), ce pouvoir détermine des contraintes civiles et fonde la notion de « légalité« .
  • Selon un principe de distribution : la justice est alors la capacité de rétribuer chacun équitablement. Est juste celui qui « rend à chacun son dû » (Aristote) (impartialité, partage équitable, justice sociale, redistribution des richesses par l’impôt…). Fonde la notion d’ »équité ». [NB : pour Aristote, la question de l’équité est intégrée à la question morale]

A) Du sentiment d’injustice à l’idéal de justice

L’injustice est un sentiment, une souffrance (proche de la jalousie ou de l’envie) qui peut devenir intolérable à celui qui la ressent.

La justice est un idéal, une idée construite par la raison et transmise par la culture. Dans la République, Platon s’appuie sur ce constat : l’injustice permet à chacun de prendre conscience de son aspiration à l’idéal de justice.

« Qu’une maison soit grande ou  petite, tant que les maisons d’alentour ont la même taille, elle satisfait à tout ce que, socialement, on demande à une habitation…  Mais qu’un palais vienne s’élever à côté d’elle, et voilà que la petite maison se recroqueville pour n’être  plus qu’une hutte. »    

Karl MARX, Travail salarié et Capital, 1847

Le sentiment d’injustice est au fondement du besoin de justice.
Ce sentiment d’injustice apparaît dès l’enfance : l’enfant est jaloux de son frère ou sa sœur qui a reçu une plus grosse part de gâteau, ou le cadeau dont lui rêvait pour Noël…
Le sentiment d’injustice devenu insoutenable peut induire une réaction de révolte et de violence équivalente à celle reçue. Nous voulons compenser le mal reçu par autrui par un mal équivalent qui lui serait infligé. Ce faisant, nous mettons en péril la stabilité de la société : d’où la nécessité d’institutionnaliser la justice.

La notion d’équivalence (= de même valeur) caractérise la notion objectivée de « juste » (= équitable) :

      • punition pour le criminel : le criminel est puni. Une « juste punition » doit être proportionnelle au mal fait.
      • compensation pour la victime : le tort qui lui a été fait est compensé. La victime reçoit une « juste compensation » (indemnisation), proportionnelle au mal subi.

B) La justice (institution culturelle) comme dépassement de la vengeance (réaction «naturelle»)

La vengeance : se faire justice en punissant soi-même celui qui a commis une injustice. Problème : la vengeance appelle à son tour une vengeance ouvrant un cercle de violence. (Cf. l’Orestie, cycle de 3 tragédies d’Eschyle)

Loi du talion (du latin talis = tel, même) : réciprocité exacte du crime et de la peine. «?Œil pour œil, dent pour dent?» prononcé par un tiers (juge qui fait appliquer la loi). Cette forme primitive de justice se trouve énoncée dans la Bible et dans le Coran.
Critique : « Œil pour œil et le monde finira aveugle » (Gandhi).
Pratiquée institutionnellement par une société, la loi du talion est considérée comme une forme primitive de rejet de l’arbitraire de la vengeance, d’une volonté de poser un principe objectif de punition. Mais c’est un principe mécanique de punition : tel crime implique telle peine. 

La rationalisation progressive de la justice sous forme d’un droit écrit, construit (et non hérité de puissances extérieures à la société) sur la base de principes lui assurant une cohérence, apparaît dans la Grèce antique avec l’idée de «constitution» que l’on retrouve dans la plupart des cités grecques et leurs colonies méditerranéennes. Elle fixe les principes organisant la cité et garantit les droits des citoyens. Toute nouvelle loi doit être en accord avec les principes constitutionnels.

2. LA NOTION DE DROIT 

Le Droit est l’ensemble des règles et lois qui régissent les rapports entre les hommes au sein d’une société. Il constitue la condition et la forme de la justice institutionnalisée.

Recours à un système judiciaire supposé impartial et désintéressé qui dit le droit en accord avec les lois. 

La justice institutionnalisée comme sortie de l’arbitraire

    • instauration des mêmes règles pour tous (= « isonomie » du Droit)
    • souci de la proportionnalité de la punition, condition de la cohérence du Droit.

• Le droit concrétise un accord sur des règles communes (les lois)

La justice est inséparable de lois (« justus » en latin = conforme au Droit) préétablies.
C’est la « double universalité » du Droit (Rousseau), qui garantit la justice :

    • universalité de l’objet : la loi ne fait pas référence aux hommes comme individus singuliers mais comme citoyens ou personnes abstraites (pas de loi ad hominem = visant spécifiquement une personne ou un groupe particulier de personnes) ;
    • universalité de la volonté car l’instauration des règles juridiques doit émaner de la volonté générale.

Le droit rationnel se caractérise par son impartialité (théorique) : cela suppose l’introduction d’un tiers (le juge non concerné directement) dans les règlements des conflits.

    • Principe d’isonomie du Droit : le Droit s’applique de la même façon à tous, sans exception.
    • Principe de publicité des lois : les lois doivent pouvoir être connues de tous (Nul n’est censé ignorer la loi).

3. LÉGITIMITÉ / LÉGALITÉ : MORALE ET DROIT

A) La distinction « légitimité/légalité » renvoie à deux principes de justice :

1/ Le légitime : ce qui est conforme à un idéal de justice. Le légitime définit la juste selon un principe moral (donc précédant la loi). Il renvoie donc à un idéal de justice, à une exigence morale.

2/ Le légal : ce qui est conforme à la loi.  Le légal définit donc le juste comme réalité sociale instituée (sous la forme des lois et donc du droit conçu comme système de lois). Il caractérise l’ensemble formé par les lois d’un État, qui définit ce que le citoyen a le droit de faire.

Il peut être intéressant d’ajouter la notion de licité. Est licite ce qui n’est pas interdit par la loi. On peut alors distinguer le légal (ce qui est conforme à la loi) du licite (ce qui n’est pas interdit par la loi, dont la loi ne dit rien, qui peut être légitime ou non).

B) Les formes de la légitimité (Max Weber)

Lorsqu’elle s’applique à une personne ou à une institution, la légitimité lui confère une autorité morale, qui n’a pas besoins de la contrainte physique pour s’imposer.  De ce point de  vue, la légitimité peut être analysée. Ainsi le philosophe, sociologue et politologue Max Weber (1864-1920) distingue :

1/ La légitimité charismatique issue du prestige attribué à un individu.
Exemples : héros, demi-dieu, prophète, grand tribun.

2/ La légitimité traditionnelle fondée sur une tradition considérée comme immémoriale et incontestable.
Exemples : dynastie monarchique ou féodale, patriarches.

3/ La légitimité rationnelle-légale qui s’appuie sur des règles impersonnelles et universelles. Dans ce cas, l’autorité qui est reconnue est liée à la fonction et non à la personne qui la représente.
Exemples : gendarme, contrôleur SNCF, préfet, etc.

 

4. LES FONDEMENTS DU DROIT : DROIT NATUREL / DROIT POSITIF

La variabilité des lois selon le lieu et les époques peut conduire à adopter un point de vue relativiste : « L’homme est la mesure de toutes choses » (Protagoras) ou « Vérité en deçà des Pyrénées, mensonge au-delà » (Pascal). La question du scepticisme moral se prolonge dans le domaine du Droit et peut déboucher sur un relativisme juridique. En effet, si le droit positif échappe à tout principe, alors la légalité de l’esclavage, de l’inégalité femmes/hommes, etc. devrait être tolérée au nom du respect des cultures ou des traditions.

Les sociétés humaines ont donc cherché à fonder leur droit sur des valeurs «?transcendantes?», c’est-à-dire données a priori et donc indiscutables : droit divin et droit naturel.

A) Le droit divin (fondement théologique)

Dieu est l’origine de la justice et du droit (commandements divins). La Justice divine est représentée par les religions comme un modèle et un fondement pour la justice imparfaite des hommes.
À partir du XVIIe et surtout  XVIIIe siècles, les philosophes critiquent ce fondement divin de la justice —> rationalisme des Lumières (Rousseau, Hume, Diderot, Kant…).

B) Le droit naturel (fondement moral, définissant le légitime)

NB : à l’origine l’idée de « droit naturel » correspond à celle du « droit du plus fort » — idée s’appuyant sur la fait observé chez les animaux et dans une partie des sociétés humaines que celui qui a la force impose « son droit ». Elle va évoluer lentement à partir de la Renaissance pour produire des fondements universalisables du droit (Droits de l’Homme)
Dès lors que l’on considère (avec Les Lumières) qu’une même nature  est  partagée par tous les êtres humains, alors la force d’un individu ou d’un groupe n’est qu’un « accident » qui ne peut donc pas entrer en compte dans une définition à vocation universelle. L’idée d’une nature humaine, commune à tous les individus aboutit à l’idée de droits naturels universalisables : les hommes naissent égaux en droit, avec les mêmes besoins et les mêmes finalités fondamentales.

L’individu possède des droits inaliénables (= qu’on ne peut lui enlever, qui fondent la dignité commune à chaque individu), qui doivent jouer le rôle de fondement du droit positif : droit de conservation (sécurité de la personne et de ses biens), liberté, éducation, travail, etc.

L’homme naît libre mais sa liberté s’arrête où commence celle des autres, ce que le droit doit garantir. La Déclaration universelle des Droits de l’Homme (1948) vise à fournir un fondement naturel au Droit : des valeurs morales précèdent et légitiment les lois qui doivent lui être conformes.

Article premier :  Tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en droits. Ils sont doués de raison et de conscience et doivent agir les uns envers les autres dans un esprit de fraternité.

Article 2 : 1. Chacun peut se prévaloir de tous les droits et de toutes les libertés proclamés dans la présente Déclaration, sans distinction aucune, notamment de race, de couleur, de sexe, de langue, de religion, d’opinion politique ou de toute autre opinion, d’origine nationale ou sociale, de fortune, de naissance ou de toute autre situation.
2. De plus, il ne sera fait aucune distinction fondée sur le statut politique, juridique ou international du pays ou du territoire dont une personne est ressortissante, que ce pays ou territoire soit indépendant, sous tutelle, non autonome ou soumis à une limitation quelconque de souveraineté.

Article 3 : Tout individu a droit à la vie, à la liberté et à la sûreté de sa personne.

Article 4 : Nul ne sera tenu en esclavage ni en servitude; l’esclavage et la traite des esclaves sont interdits sous toutes leurs formes.

Article 5 : Nul ne sera soumis à la torture, ni à des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants.

C) Le droit positif (fondement politique, définissant le légal)

Considérant le droit naturel comme trop « idéal », trop éloigné des problèmes pratiques de la Justice, les théoriciens du droit positif fondent les lois sur les besoins concrets de la société.
Pour le positivisme juridique, le droit n’a d’autre fondement que lui-même : le positivisme juridique soutient qu’il n’y a pas de justice précédant la définition précise des droits dans les textes de loi. La justice se réduit au droit institué par la société, selon ses besoins. Conséquence : tout ce qui n’est pas interdit par la loi est alors par définition autorisé.

D) Un droit positif régulé par un droit naturel

Le droit dans les démocraties modernes : un droit positif (les besoins de la société déterminent les lois, s’appuyant sur les principes d’une constitution), mais régulé par un droit naturel (Déclaration universelle des Droits de l’Homme). Ex. : dans la C.E.E., recours possible à la Cour Européenne des Droits de l’Homme (CEDH) en cas de non-conformité d’une loi nationale aux Droits de l’Homme.

5. LES FINS (= buts recherchés) DE LA JUSTICE

A) La vertu de justice 

Pour les Grecs de l’Antiquité, la justice est désirable en elle-même, car elle conduit au bien humain suprême, à l’harmonie des hommes entre eux. La justice est donc un moyen de la morale, l’objectivation sociale des principes moraux.

a/ Dans la République, Platon établit une analogie entre l’harmonie des parties de l’âme et l’harmonie de la cité juste : la justice garantit le bon fonctionnement de la cité.

b/ Pour Aristote, une cité juste engendre des hommes justes : un homme élevé sous de bonnes lois finira par développer une disposition à vouloir les actions que les lois prescrivent (alors qu’il se révolterait contre des mauvaises lois).

B) Sécurité, propriété et liberté 

Pour la pensée moderne (à partir du XVIIe siècle), les institutions n’ont pas à rendre les citoyens vertueux mais à rendre concrètement possible la coexistence durable des individus, l’injustice étant susceptible de déclencher des révoltes et des guerres civiles.

a/ Pour Hobbes (Le Léviathan, 1650), les lois permettent d’échapper à la violence de l’état de nature : sans elles, les hommes, poursuivant chacun leur intérêt personne, ce serait « la guerre de tous contre tous », puisque par nature « l’homme est un loup pour l’homme ».
Le but de toute société civile est l’instauration de la justice, selon les trois pouvoirs qui se régulent les uns les autres?: législatif, exécutif et judiciaire, et qui ont pour objectif d’assurer la protection des biens et des personnes.

b/ John Stuart Mill (1806-1873) résume le but de la justice dans la garantie de la liberté individuelle : chacun doit profiter de la plus grande liberté possible, tant qu’il ne commet aucun tort envers autrui. Si ce premier principe est institué, alors la justice est nécessairement mise en œuvre. « La liberté de chacun commence où s’arrête celle des autres » : principe fondant la conception libérale de l’État.

C) La question de l’égalité

a/ Reconnaissance de l’égalité des droits

Déclaration Universelle des Droits de l’Homme de 1948. « Tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en droits. Ils sont doués de raison et de conscience et doivent agir les uns envers les autres dans un esprit de fraternité. »

b/ Problème : l’égalité de droit n’empêche pas les inégalités de fait

Critique des Droits de l’Homme par Karl Marx : les véritables droits humains sont absents de la Déclaration des droits de l’Homme de 1789 puisque cette dernière ne tient pas compte de ceux qui n’ont pas les moyens nécessaires pour profiter de ces droits. Le sujet du Droit ainsi conçu est donc « fictif » (La question juive, Marx, 1843). L’égalité préconisée est purement « formelle » (théorique) tant qu’on n’ajoute pas des droits sociaux permettant de la concrétiser.

c/ Équilibre entre égalité et liberté

Existe-t-il des principes permettant d’organiser une société juste, c’est-à-dire que chacun, quel que soit son statut social, puisse admettre les lois ?

John RAWLS (1921-2002) propose de déterminer ces principes à l’aide d’une expérience de pensée (le « voile d’ignorance« ) : ceux qui choisissent les principes fondamentaux d’une société dans laquelle ils auront à vivre doivent le faire en ignorant le statut qu’ils y auront — ce qui garantit leur impartialité, leur « position originelle ».

« Les principes de justice, sont ceux que des individus libres et rationnels, désireux de favoriser leurs propres intérêts et placés dans une situation initiale d’égalité, accepteraient et définiraient comme les termes fondamentaux de leur association. »                             

John RAWLS, Théorie de la justice (1971)

Selon Rawls, cette expérience de pensée conduira à définir nécessairement 2 principes :

« Le premier exige l’égalité d’attribution des droits et des devoirs de base. Le second, lui, pose que les inégalités socio-économiques […] sont justes si et seulement si elles produisent, en compensation, des avantages pour chacun et, en particulier, pour les membres les plus désavantagés de la société. » 

John RAWLS, Théorie de la justice (1971)

Le premier principe est un principe d’égalité des droits (à la naissance). Le second principe est un principe d’équité : chacun, y compris les plus défavorisés, doit pouvoir tirer un profit des inégalités de fait (c’est « gagnant-gagnant »).

6. LES MOYENS DE LA JUSTICE

A) La justice et la force

« CALLICLÈS : Pour effrayer les hommes les plus forts et les plus capables d’avoir une plus grosse part, de peur qu’ils n’aient effectivement une plus grosse part qu’eux, ils disent que chercher à avoir plus est laid et injuste, et que c’est cela agir injustement, chercher à avoir plus que les autres ; c’est qu’ils se satisfont quant à eux, me semble-t-il, d’avoir part égale alors qu’ils sont inférieurs. » 

PLATON, Gorgias

Apologie du droit du plus fort : les lois humaines sont contre nature puisqu’elles s’opposent au droit naturel, celui du plus fort, l’empêchant de s’exercer librement. Toute autre forme de législation est l’œuvre des faibles pour défendre leurs intérêts et est contraire aux lois de la nature (idée reprise à la fin du XIXe siècle sous la forme du « darwinisme social »).

« La justice est sujette à dispute. La force est très reconnaissable et sans dispute. Aussi on n’a pas pu donner la force à la justice, parce que la force a contredit la justice et a dit qu’elle était injuste, et a dit que c’était elle qui était juste. Et ainsi, ne pouvant faire que ce qui est juste fût fort, on a fait que ce qui est fort fût juste. […] La justice sans la force est impuissante. La force sans la justice est tyrannique. »

Blaise PASCAL, Pensées (1669)

La justice sans la force est inefficace : elle ne se fait pas respecter. Dans les faits, c’est toujours la force qui s’impose au détriment de la justice. De sorte que la justice doit être confiée à des institutions fortes.

« Le plus fort n’est jamais assez fort pour être toujours le maître, s’il ne transforme sa force en droit, et l’obéissance en devoir. »   

ROUSSEAU, Du contrat social (1762)

La force ne peut constituer un droit puisque ce droit ne peut être durablement garanti?: le plus fort n’est jamais assez fort pour le rester durablement. On peut toujours rencontrer plus fort (ou plus nombreux que soi). L’âge même nous affaiblit naturellement.


« Un Etat est une communauté humaine qui revendique le monopole de l’usage légitime de la force physique sur un territoire donné. » 

Max WEBER, Le Savant et le Politique (1919)

Seul l’État est habilité à utiliser la violence : cela fait partie des prérogatives qui lui sont confiées par « la volonté générale ». Chaque citoyen délègue à l’État (police, armée) l’usage de la violence en échange de la garantie que l’État l’emploiera pour faire valoir le droit de chacun.

B) La sanction juridique

Pour faire appliquer le droit, l’État peut appliquer des sanctions. Mais quel est le but de la sanction juridique ? Le but final de cette contrainte est la protection du citoyen.

a/ Les moyens : une infraction envers la loi a ainsi deux conséquences majeures :

      • La punition de celui qui enfreint le droit (justice pénale).
      • La réparation envers celui qui est lésé (justice civile).

b/ Les effets visés par la sanction juridique

      • La prévention par l’intimidation, dans le but de faire respecter les règles. La sanction sert à marquer les esprits, à créer la peur. (Ex. : exécutions publiques en France jusqu’en 1939).
      • La protection de la société : enfermer c’est empêcher le délinquant de récidiver durant la période d’enfermement.
      • L’amélioration de l’individu qui a fauté (idéalement). Généralement, la justice entend faire respecter les règles mais aussi ramener dans le droit chemin celui qui a fauté. Cependant, ces deux pôles sont souvent contradictoires.

7.   LE DROIT ET L’ÉTAT

A) Le droit doit imposer des limites à l’État

La justice et le droit sont donc appliqués par l’État. Mais ce pouvoir doit lui-même être contrôlé, sans quoi l’État serait au-dessus des lois : la Constitution d’un État, qui détermine les fondements d’un régime politique, est un ensemble de lois premières que les lois du Droit ne peuvent transgresser.Lorsque les intérêts de l’État sont en jeu (guerre), la raison d’État est considérée comme supérieure au droit ordinaire : notion de raison d’État.
Ex. : En 1940, l’Assemblée nationale, au nom de l’intérêt supérieur de la Nation, confie les pleins pouvoirs au Maréchal Pétain qui va gouverner en s’appuyant sur la raison d’État.

Une loi d’exception est une loi établie en dérogation du droit commun, que l’on doit à des circonstances exceptionnelles ou momentanées.
Ex. : La loi du 31 décembre 1970 est une loi d’exception toujours en vigueur. Le texte de loi, en sanctionnant d’une peine de prison le simple usage d’un produit stupéfiants y compris au sein de la sphère privée entre en conflit avec les droits fondamentaux du citoyen, garantis par la constitution.(La loi devait être temporaire : l’éradication rapide du cannabis ne faisait alors aucun doute parmi les députés).

L’état d’urgence ou d’exception désigne, de façon générale, des situations où le droit commun est suspendu : en France, un état d’urgence a été décrété par le gouvernement suite aux attentats de 2015 pour 3 mois (assignations à résidence, écoutes téléphoniques de particuliers…)… Il dure toujours.

« Un esprit sage ne condamnera jamais quelqu’un pour avoir usé d’un moyen hors des règles ordinaires pour régler une monarchie ou fonder une république. Ce qui est à désirer, c’est que si le fait l’accuse, le résultat l’excuse ; si le résultat est bon, il est acquitté. »

MACHIAVEL, Discours sur la première décade de Tite-Live (1531)

Conception pragmatique du gouvernement : il n’y a pas de mauvaises causes en politique, mais seulement de bons ou de mauvais résultats. « Qui veut la fin veut les moyens » : seuls comptent les résultats de l’action, non les moyens.

B) Le droit doit imposer des limites à l’État

a/ La Constitution d’une nation (ensemble de textes juridiques qui définit les différentes institutions de l’État et organise leurs relations) constitue un premier garde-fou contre les éventuels abus de pouvoir.

b/ Les institutions de droit international peuvent être un recours contre l’illégitimité de lois nationales.
Ex. : Pour les citoyens des pays de la CEE, la Cour Européenne des Droits de l’Homme peut être saisie après épuisement des recours légaux nationaux.

C) La désobéissance à la loi peut être légitime

Si l’État ne vise plus le bien commun, ne fait plus passer en premier l’intérêt général, alors la désobéissance civile devient légitime (même si elle est illégale, contraire à la loi).
Désobéir n’est plus alors un acte de délinquance, mais à un acte de désobéissance :

      • Dans la délinquance, un individu enfreint la loi uniquement pour satisfaire son intérêt personnel.
      • Dans la désobéissance civile, l’individu enfreint la loi au nom de l’intérêt collectif.

Pour justifier sa désobéissance aux lois, l’individu doit s’appuyer sur des principes supérieurs de justice (le légitime passe avant le légal). Pour les premiers théoriciens du contrat social, si l’État dépasse ses prérogatives, les citoyens ont un devoir de désobéissance civile.

« Chaque fois que les législateurs tentent de saisir et de détruire les biens du peuple, ou de le réduire à l’esclavage d’un pouvoir arbitraire, ils entrent en guerre contre lui ; dès lors, il est dispensé d’obéir […]. Aussi, dès que le pouvoir législatif transgresse cette règle fondamentale de la société, dès que l’ambition, la peur, la folie, ou la corruption l’incitent à essayer, soit de saisir lui-même une puissance qui le rende absolument maître de la vie des sujets, de leurs libertés et de leurs patrimoines, soit de placer une telle puissance entre les mains d’un tiers, cet abus de confiance le fait déchoir des fonctions d’autorité dont le peuple l’avait chargé à des fins absolument opposées ; le pouvoir fait retour au peuple, qui a le droit de reprendre sa liberté originelle et d’établir telle législature nouvelle que bon lui semble pour assurer sa sûreté et sa sécurité, qui sont la fin qu’il poursuit dans l’état social. »

John LOCKE, Second traité du gouvernement civil (1690)

« Le respect de la loi vient après celui de la justice. La seule obligation que j’ai le droit d’adopter, c’est d’agir à tout moment selon ce qui me paraît juste. »              

Henry David THOREAU, La Désobéissance civile (1849)

Le légitime doit toujours être considéré comme premier par rapport au légal. L’État ne doit donc jamais être considéré comme une fin en soi mais comme un moyen de la justice au service de l’intérêt général. Il peut donc être légitime de désobéir à la loi, dès lors que celle-ci s’oppose à la justice (considérée du point de vue de la légitimité, posé comme supérieur à celui des lois et auquel les loi devraient nécessairement se référer).