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La Science en littérature

Frankenstein, de Mary SHELLEY (1831)

« Depuis près de deux ans, j’avais travaillé sans relâche dans le seul but de communiquer la vie à un corps inanimé. Je m’étais privé de repos et d’hygiène. Mon désir avait été d’une ardeur immodérée, et maintenant qu’il se trouvait réalisé, la beauté du rêve s’évanouissait, une horreur et un dégoût sans bornes m’emplissaient l’âme. Incapable de supporter la vue de l’être que j’avais créé, je me précipitai hors de la pièce, et restai longtemps dans le même état d’esprit dans ma chambre, sans pouvoir goûter de sommeil. La lassitude finit par succéder à l’agitation dont j’avais auparavant souffert, et je me précipitai tout habillé sur mon lit, essayant de trouver un instant d’oubli. Mais ce fut en vain : je dormis, il est vrai, mais d’un sommeil troublé par les rêves les plus terribles. Je croyais voir Elizabeth, dans la fleur de sa santé, passer dans les rues d’Ingolstadt. Délicieusement surpris, je l’embrassais ; mais à mon premier baiser sur ses lèvres, elles revêtaient la lividité de la mort ; ses traits paraissaient changer, et il me semblait tenir en mes bras le corps de ma mère morte ; un linceul l’enveloppait, et je vis les vers du tombeau ramper dans les plis du linceul. Je tressaillis et m’éveillai dans l’horreur ; une sueur froide me couvrait le front, mes dents claquaient, tous mes membres étaient convulsés : c’est alors qu’à la lumière incertaine et jaunâtre de la lune traversant les persiennes de ma fenêtre, j’aperçus le malheureux, le misérable monstre que j’avais créé. Il soulevait le rideau du lit ; et ses yeux, s’il est permis de les appeler ainsi, étaient fixés sur moi. Ses mâchoires s’ouvraient, et il marmottait des sons inarticulés, en même temps qu’une grimace ridait ses joues. Peut-être parla-t-il, mais je n’entendis rien ; l’une de ses mains était tendue, apparemment pour me retenir, mais je m’échappai et me précipitai en bas. Je me réfugiai dans la cour de la maison que j’habitais, et j’y restai tout le reste de la nuit, faisant les cent pas dans l’agitation la plus grande, écoutant attentivement, guettant et craignant chaque son, comme s’il devait m’annoncer l’approche du cadavre démoniaque à qui j’avais donné la vie de façon si misérable. »

William Shakespeare, de Victor HUGO (1864)

« La poésie comme la science a une racine abstraite ; la science sort de là chef-d’œuvre de métal, de bois, de feu ou d’air, machine, navire, locomotive, aéroscaphe ; la poésie sort de là chef-d’œuvre de chair et d’os, IliadeCantique des CantiquesRomanceroDivine ComédieMacbeth. Rien n’éveille et ne prolonge le saisissement du songeur comme ces exfoliations mystérieuses de l’abstraction en réalités dans la double région, l’une exacte, l’autre infinie, de la pensée humaine. Région double, et une pourtant ; l’infini est une exactitude. Le profond mot Nombre est à la base de la pensée de l’homme ; il est, pour notre intelligence, élément ; il signifie harmonie aussi bien que mathématique. Le nombre se révèle à l’art par le rythme, qui est le battement du cœur de l’infini. Dans le rythme, loi de l’ordre, on sent Dieu. Un vers est nombreux comme une foule ; ses pieds marchent du pas cadencé d’une légion. Sans le nombre, pas de science ; sans le nombre, pas de poésie. La strophe, l’épopée, le drame, la palpitation tumultueuse de l’homme, l’explosion de l’amour, l’irradiation de l’imagination, toute cette nuée avec ses éclairs, la passion, le mystérieux mot Nombre régit tout cela, ainsi que la géométrie et l’arithmétique. En même temps que les sections coniques et le calcul différentiel et intégral, Ajax, Hector, Hécube, les Sept Chefs devant Thèbes, Œdipe, Ugolin, Messaline, Lear et Priam, Roméo, Desdemona, Richard III, Pantagruel, le Cid, Alceste, lui appartiennent ; il part de Deux et Deux font Quatre, et il monte jusqu’au lieu des foudres.
Pourtant, entre l’Art et la Science, signalons une différence radicale. La science est perfectible ; l’art, non.

« Avant-Propos » de La Comédie humaine, de BALZAC (1842)

« L’idée première de la Comédie humaine fut d’abord chez moi comme un rêve, comme un de ces projets impossibles que l’on caresse et qu’on laisse s’envoler ; une chimère qui sourit, qui montre son visage de femme et qui déploie aussitôt ses ailes en remontant dans un ciel fantastique. Mais la chimère, comme beaucoup de chimères, se change en réalité, elle a ses commandements et sa tyrannie auxquels il faut céder. Cette idée vint d’une comparaison entre l’Humanité et l’Animalité. […] je vis que, sous ce rapport, la Société ressemblait à la Nature. La Société ne fait-elle pas de l’homme, suivant les milieux où son action se déploie, autant d’hommes différents qu’il y a de variétés en zoologie ? Les différences entre un soldat, un ouvrier, un administrateur, un avocat, un oisif, un savant, un homme d’état, un commerçant, un marin, un poëte, un pauvre, un prêtre, sont, quoique plus difficiles à saisir, aussi considérables que celles qui distinguent le loup, le lion, l’âne, le corbeau, le requin, le veau marin, la brebis, etc. Il a donc existé, il existera donc de tout temps des Espèces Sociales comme il y a des Espèces Zoologiques. […] L’Etat Social a des hasards que ne se permet pas la Nature, car il est la Nature plus la Société. La description des Espèces Sociales était donc au moins double de celle des Espèces Animales, à ne considérer que les deux sexes. Enfin, entre les animaux, il y a peu de drames, la confusion ne s’y met guère ; ils courent sus les uns aux autres, voilà tout. Les hommes courent bien aussi les uns sur les autres ; mais leur plus ou moins d’intelligence rend le combat autrement compliqué. Si quelques savants n’admettent pas encore que l’Animalité se transborde dans l’Humanité par un immense courant de vie, l’épicier devient certainement pair de France, et le noble descend parfois au dernier rang social. Puis, Buffon a trouvé la vie excessivement simple chez les animaux. L’animal a peu de mobilier, il n’a ni arts ni sciences ; tandis que l’homme, par une loi qui est à rechercher, tend à représenter ses mœurs, sa pensée et sa vie dans tout ce qu’il approprie à ses besoins. »

La Vie de Galilée, de Berthold BRECHT (1943)

Madame Sarti entre. – Que fais-tu là ?
Virginia. – La peste.
Madame Sarti. – Mon Dieu ! Il faut plier bagages.
Elle s’assied.
Galilée. – N’emportez rien. Emmenez Virginia et Andrea ! Je vais chercher les relevés de mes observations.
Il revient rapidement à sa table et rassemble à la hâte ses papiers. Madame Sarti met un manteau à Andrea qui est accouru et va chercher quelques draps et des vivres. Entre un laquais du grand-duc.
Le Laquais. – En raison de la maladie qui sévit, Son Altesse a quitté la ville en direction de Bologne. Elle a cependant insisté pour que soit donnée à monsieur Galilée la possibilité de se mettre également en sûreté. La voiture sera devant la porte dans deux minutes.
Madame Sarti, à Virginia et Andrea. – Vous, allez-y tout de suite. Tenez, prenez ça.
Andrea. – Mais pourquoi ? Si tu ne me dis pas pourquoi, je n’y vais pas.
Madame Sarti. – C’est la peste, mon enfant.
Virginia. – Nous attendons mon père.
Madame Sarti. – Monsieur Galilée, êtes-vous prêt ?
Galilée, enveloppant la lunette dans la nappe. – Faites asseoir Virginia et Andrea dans la voiture. J’arrive tout de suite.
Virginia. – Non, nous ne partons pas sans toi. Tu n’en finiras jamais si tu commences à ranger tes livres.
Madame Sarti. – La voiture est là.
Galilée. – Sois raisonnable Virginia, si vous n’allez pas vous y asseoir, le cocher partira. La peste, ce n’est pas rien.
Virginia, protestant, alors que madame Sarti les entraîne au dehors, elle et Andrea. – Aidez-le avec les livres, ou il ne viendra pas.
Madame Sarti l’appelle depuis la porte d’entrée. – Monsieur Galilée ! Le cocher refuse d’attendre.
Galilée. – Madame Sarti, je ne crois pas qu’il soit bon que je parte. Tout est là, en désordre, vous savez, trois mois d’observations, des notes bonnes à jeter si je n’y consacre pas encore une nuit ou deux. Et puis cette épidémie est partout.
Madame Sarti. – Monsieur Galilée ! Viens avec nous, immédiatement ! Tu es fou.
Galilée. – Partez avec Virginia et Andrea. Je vous rejoindrai.
Madame Sarti. – Dans une heure, personne ne pourra plus partir d’ici. Viens ! Elle tend l’oreille. Il part ! Il faut que je l’en empêche. Elle sort.
Galilée arpente la pièce. Madame Sarti revient, très pâle, sans son baluchon.
Galilée. – Que faites-vous plantée là ? La voiture avec les enfants finira par s’en aller sans vous.
Madame Sarti. – Ils sont partis. Ils ont dû retenir Virginia de force. A Bologne, on s’occupera des enfants. Mais ici, qui vous aurait servi votre repas ?
Galilée. – Tu es folle. Rester dans cette ville pour cause de cuisine !… Il saisit ses notes. Ne pensez pas de moi, madame Sarti, que je suis fou. Je ne peux pas abandonner mes observations. J’ai des ennemis puissants et je dois amasser des preuves pour soutenir certaines affirmations.
Madame Sarti. – Vous n’avez pas à vous excuser. Mais raisonnable, vous ne l’êtes pas.