TEXTE COMPLET PARAGRAPHE 1 PARAGRAPHE 2 PARAGRAPHE 3 PARAGRAPHE 4 PARAGRAPHE 5 PARAGRAPHE 6 PARAGRAPHE 7 PARAGRAPHE 8 PARAGRAPHE 9 VOCABULAIRE D’ÉPICURE

Lettre à Ménécée : paragraphe 1

La lettre à Ménécée est un texte d’Épicure, philosophe grec qui a vécu de -341 à -270. Il a fondé une école à Athènes, le « Jardin », qui présentait la spécificité d’accueillir parmi ses élèves des femmes et des esclaves.
Sa philosophie, que l’on peut qualifier de matérialiste (toute chose est composée de matière), comprend une physique atomiste (la nature est composée d’atomes et de vide), une théorie de la connaissance empiriste (une connaissance n’est vraie que si elle est validée par nos sens ) et une morale eudémoniste (la recherche du bonheur est le but ultime de la vie humaine) s’appuyant sur un hédonisme (le plaisir est le bien naturel de l’homme). Pour Épicure la recherche du plaisir est un moyen au service de la recherche du bonheur.
La lettre à Ménécée rappelle les principes de la morale d’Épicure, les conditions pour atteindre le bonheur, que l’on résume dans le « tétrapharmakon », le « quadruple remède » :

  • les dieux ne sont pas à craindre,
  • la mort n’est pas à craindre,
  • le bonheur est possible et facile à atteindre,
  • la souffrance est momentanée et peut être supportée.

[1] « Même jeune, on ne doit pas hésiter à philosopher. Ni, même au seuil de la vieillesse, se fatiguer de l’exercice philosophique. Il n’est jamais trop tôt, qui que l’on soit, ni trop tard pour travailler à la santé de son âme. Celui qui dit que l’heure de philosopher n’est pas venue ou qu’elle est déjà passée, ressemble à celui qui dirait que pour le bonheur, l’heure n’est pas venue ou qu’elle n’est plus. Sont donc appelés à philosopher le jeune comme le vieux. Le second pour rajeunir au contact du bien, en se remémorant les jours agréables du passé. Le premier pour que jeune, il soit déjà tranquille comme un ancien face à l’avenir. Par conséquent il faut méditer sur les causes qui peuvent produire le bonheur puisque, lorsqu’il est à nous, nous avons tout, et que, quand il nous manque, nous faisons tout pour l’avoir.
Ces conceptions, dont je t’ai constamment entretenu, garde-les en tête. Ne les perds pas de vue quand tu agis, en connaissant clairement qu’elles sont les principes de base du bien vivre. »

Dans l’introduction de la lettre, Épicure établit les liens qui selon lui existent entre d’une part l’activité philosophique, d’autre part la santé de l’âme, et enfin le bonheur : philosopher c’est « travailler à la santé de son âme », c’est-à-dire à son bonheur. Donc puisque le bonheur est le but ultime de la vie humaine, nous ne devons jamais cesser de philosopher. Philosopher nous permet en effet de déterminer les moyens d’être heureux. Au contraire, renoncer à philosopher, c’est renoncer à se donner les moyens d’être heureux.

Épicure commence par rappeler que l’activité philosophique n’est pas un privilège de l’adulte : « Même jeune, on ne doit pas hésiter à philosopher. Ni, même au seuil de la vieillesse, se fatiguer de l’exercice philosophique ». Puisque le bonheur, état de bien-être durable, est le but ultime de toute vie humaine et que l’activité philosophique permet de déterminer des conditions rendant possible le bonheur (par exemple en se conformant aux quatre préceptes du tétrapharmakon), alors nous sommes tous « appelés à philosopher ». Et ceci n’est pas une simple déclaration de principe pour Épicure puisque cela se concrétisait dans son école, le Jardin, par l’accueil non seulement des hommes de tous âges mais aussi des femmes et des esclaves.
Pour une personne jeune, philosopher permet en effet d’envisager l’avenir sereinement, à être comme le dit Épicure « tranquille comme un ancien face à l’avenir », autrement dit à éviter les angoisses inutiles comme la crainte des dieux ou de la mort qui rendraient impossible le bonheur. Ces deux deniers points constituent précisément les deux premiers remèdes du tétrapharmakon.
Pour une personne âgée, continuer de philosopher permet de rester « au contact du bien », c’est-à-dire de continuer à mener une vie heureuse puisque, comme dans toute morale eudémoniste, le bien moral définit tout ce qui permet d’atteindre et de conserver le bonheur. Et pour cela, même si  la santé du corps, qui est une condition du bonheur, s’est amoindrie, il reste la santé de l’âme dans la mesure où le bonheur passé demeure en quelque sorte présent grâce à la mémoire, de telle sorte que l’on peut « rajeunir au contact du bien, en se remémorant les jours agréables du passé ». Pour le dire simplement : le souvenir du bonheur, c’est encore du bonheur.
Remarquons qu’aussi bien chez le vieillard que chez la personne jeune, le bonheur est lié à l’ataraxie, c’est-à-dire à l’absence de trouble de l’âme. Chez l’un comme chez l’autre c’est avant tout l’angoisse de l’avenir qui apparaît comme principale cause de souffrance morale, et c’est précisément ce contre quoi les deux premiers préceptes du tétrapharmakon visent à nous prémunir.

Pour Épicure, philosopher consiste à « travailler à la santé de son âme ». Et puisque pour un philosophe matérialiste, l’âme, la psyché, est une émanation de l’activité du corps, la santé du corps est une condition de celle de l’âme. D’où l’importance donnée à la gestion rationnelle des plaisirs, l’excès pouvant être source de souffrances. L’équivalence entre l’activité philosophique et la recherche et la conservation du bonheur est telle que « celui qui dit que l’heure de philosopher n’est pas venue ou qu’elle est déjà passée, ressemble à celui qui dirait que pour le bonheur, l’heure n’est pas venue ou qu’elle n’est plus. »  Sans activité philosophique tournée vers les questions pratiques, autrement dit destinée à déterminer les comportements et les actions favorables à notre bonheur, ce dernier ne pourrait être que le fruit des hasards de la vie ou prédéterminé par un destin dont nous ne serions que le jouet. Nous ne pourrions donc qu’être passifs et nous contenter d’attendre.

Philosopher va donc consister à « méditer sur les causes qui peuvent produire le bonheur ». Chacun est responsable de son propre bonheur mais ne pourra l’atteindre et le conserver qu’à condition d’y réfléchir en usant de sa raison. Comme Épicure le précisera par la suite, le bonheur n’est pas à attendre des dieux, du hasard ou des lois de la nature. Chacun de nous peut travailler à le produire lui-même et cela est même facile, comme l’affirme le troisième précepte du tétrapharmakon tel qu’il est énoncé à la fin de la lettre : « le souverain bien est facile à atteindre ». Épicure précise plus loin dans la lettre que cela passe par l’usage de la vertu suprême qu’est la « prudence », c’est-à-dire de la sagesse pratique, la « raison vigilante » capable de déterminer en toute circonstance les raisons de nos actions. Elle permet de faire le meilleur choix possible, d’aller au-delà du principe de plaisir qui, parce qu’il est naturellement à court terme, peut être source de souffrance à moyen ou long terme. La raison nous permet, par un « calcul des plaisirs », de comparer les avantages et les inconvénients du plaisir et de la souffrance, de faire alors un choix que l’on peut justifier prenant en compte l’avenir.

Pour conclure ce paragraphe, Épicure rappelle le fondement de sa morale eudémoniste : le bonheur est plénitude (« quand nous l’avons nous avons tout ») et il est le but de la vie humaine (« quand il nous manque, nous faisons tout pour l’avoir »).

La première partie de la lettre se termine par un conseil : les conceptions morales rappelées par Épicure ne sont pas abstraites. Les principes du tétrapharmakon  ont un but pratique, à savoir nous aider à choisir au mieux nos actions afin qu’elles nous aident à être heureux ou au moins qu’elles soient compatibles avec notre bonheur. Ces « principes de base du bien vivre » peuvent être justifiés rationnellement : c’est précisément ce qu’Épicure va faire dans la suite de la lettre. On peut donc avoir, selon Épicure, une connaissance claire, rationnelle, de principes moraux dont l’application permet d’être heureux.