TEXTE COMPLET PARAGRAPHE 1 PARAGRAPHE 2 PARAGRAPHE 3 PARAGRAPHE 4 PARAGRAPHE 5 PARAGRAPHE 6 PARAGRAPHE 7 PARAGRAPHE 8 PARAGRAPHE 9 VOCABULAIRE D’ÉPICURE

Lettre à Ménécée : paragraphe 3

La lettre à Ménécée est un texte d’Épicure, philosophe grec qui a vécu de -341 à -270. Il a fondé une école à Athènes, le « Jardin », qui présentait la spécificité d’accueillir parmi ses élèves des femmes et des esclaves.
Sa philosophie, que l’on peut qualifier de matérialiste (toute chose est composée de matière), comprend une physique atomiste (la nature est composée d’atomes et de vide), une théorie de la connaissance empiriste (une connaissance n’est vraie que si elle est validée par nos sens ) et une morale eudémoniste (la recherche du bonheur est le but ultime de la vie humaine) s’appuyant sur un hédonisme (le plaisir est le bien naturel de l’homme). Pour Épicure la recherche du plaisir est un moyen au service de la recherche du bonheur.
La lettre à Ménécée rappelle les principes de la morale d’Épicure, les conditions pour atteindre le bonheur, que l’on résume dans le « tétrapharmakon », le « quadruple remède » :

  • les dieux ne sont pas à craindre,
  • la mort n’est pas à craindre,
  • le bonheur est possible et facile à atteindre,
  • la souffrance est momentanée et peut être supportée.

[3] « Prends l’habitude de penser que la mort n’est rien pour nous. Car tout bien et tout mal résident dans la sensation : or la mort est privation de toute sensibilité. Par conséquent, la connaissance de cette vérité que la mort n’est rien pour nous, nous rend capables de jouir de cette vie mortelle, non pas en y ajoutant la perspective d’une durée infinie, mais en nous débarrassant du vain désir d’immortalité. Car il ne reste plus rien à redouter dans la vie, pour qui a vraiment compris que hors de la vie il n’y a rien de redoutable.  On prononce donc de vaines paroles quand on soutient que la mort est à craindre, non pas parce qu’elle sera douloureuse étant réalisée, mais parce qu’il est douloureux de l’attendre. Ce serait en effet une crainte vaine et sans objet que celle qui serait produite par l’attente d’une chose qui ne cause aucun trouble lorsqu’elle est là.
Ainsi, le plus effrayant des maux, la mort, n’est donc rien pour nous puisque quand nous sommes, la mort n’est pas là, et quand la mort est là, c’est nous qui ne sommes plus ! Elle ne concerne donc ni les vivants ni les morts, étant donné que pour les uns, elle n’est point, et que les autres ne sont plus. »

Dans l’introduction de la lettre, Épicure a établi les liens qui selon lui existent entre d’une part l’activité philosophique, d’autre part la santé de l’âme, et enfin le bonheur : philosopher c’est « travailler à la santé de son âme », c’est-à-dire à son bonheur. Dans le deuxième paragraphe, Épicure a justifié le premier précepte de son tétrapharmakon, à savoir que « les dieux ne sont pas à craindre ». Dans ce paragraphe (et dans le suivant), il va s’employer à justifier le second précepte : « la mort n’est pas à craindre ».

Comme les dieux, la mort constitue en effet une source d’angoisse qui nuit à la « santé de l’âme » et rend impossible cet état stable de bien-être qu’est l’ataraxie, c’est-à-dire l’absence de trouble de l’âme nécessaire au bonheur. Comme les autres préceptes du tétrapharmakon, ce précepte doit être intériorisé (« Prends l’habitude de penser que la mort n’est rien pour nous… ») pour devenir un principe auquel nous pourrons nous référer constamment pour choisir les idées et les actions qui favorisent notre bonheur.

L’argument d’Épicure est simple :

  • Première prémisse : « tout bien et tout mal résident dans la sensation ». En effet, d’une part le plaisir est pour lui le « bien primitif conforme à notre nature ». Et la souffrance est par nature le mal.
  • Deuxième prémisse : « Or la mort est privation de toute sensibilité ». En effet, la physique matérialiste (l’atomisme) considère d’une part que le corps humain est constitué d’atomes qui se dispersent après la mort et d’autre part que l’âme n’est que le principe vital e ce corps. Par ailleurs la théorie empiriste de la connaissance d’Épicure considère les sens comme source principale de connaissance du monde. Avec le corps disparaît donc d’une part toute possibilité de plaisir ou de souffrance, et toute connaissance du monde.
  • La conclusion s’impose : puisqu’il ne peut plus y avoir ni plaisir ni souffrance, ni connaissance du monde dans la mort, il n’y a rien a en craindre.

Épicure tire alors les conséquences de cette vérité : la question du bonheur se limite à notre vie, et le bonheur devient possible dès lors que l’on ne le projette pas dans une vie éternelle après la mort – consolation imaginaire dont le seul but est de nous aider à supporter les malheurs de notre vie actuelle.

En effet, cette certitude qu’il n’y a rien après la mort nous débarrasse de ce qu’Épicure appelle plus loin dans sa lettre un « désir vain », c’est-à-dire un désir dont l’objet est inexistant, ou au moins douteux, et qui suscite des angoisses pour rien. En nous débarrassant de ce « vain désir d’immortalité », nous nous débarrassons d’une source inutile de « troubles de l’âme ». Les seules conséquences des actes dont nous sommes responsables sont celles qui sont concrètes, qui ont lieu dans cette vie (et non après). Et puisque « hors de la vie il n’y a rien de redoutable », pas de menaces cachées, pas de souffrances éternelles, il n’y a « rien à redouter dans la vie » du fait que l’on doive mourir.

Etre angoissé par la mort constitue en soi une souffrance qui n’a pas lieu d’être. Car cette souffrance est due à la peur de quelque chose, la mort, qui n’est pas elle-même cause de souffrance (puisque lorsque notre corps meut il se décompose et perd toute possibilité de souffrir). C’est donc une « crainte vaine et sans objet » qui gâche inutilement la vie de ceux qui s’y soumettent.

Épicure conclut par un résumé du raisonnement qui lui permet de conclure que « la mort n’est rien pour nous » : vie et mort sont deux domaines qui s’excluent l’un l’autre :  « quand nous sommes, la mort n’est pas là, et quand la mort est là, c’est nous qui ne sommes plus. »

Dans le paragraphe suivant, Épicure va opposer l’attitude positive du sage face à la mort aux différentes attitudes négatives du commun des mortels dictées par l’angoisse de la mort. En rendant l’âme « inquiète », le pessimisme interdit l’ataraxie, cette absence de trouble de l’âme qui détermine le bonheur.