Texte complet §1 §2 §3 §4 §5 §6 §7 §8 §9 §10 §11 §12 §13 §14 §15

Vérité et mensonge au sens extra-moral : §12

§12 C’est le langage, nous l’avons vu, qui travaille originellement à l’édification des concepts, et, plus tardivement, à la science. Comme l’abeille qui construit les cellules de sa ruche et les remplit aussitôt de miel, la science travaille sans relâche à ce grand columbarium des concepts, au cimetière des intuitions, construit sans arrêt de nouveaux étages plus élevés, étaye, nettoie et rénove les vieilles cellules et surtout s’efforce de remplir ce colombage surélevé jusqu’à la démesure, et d’y faire rentrer pour l’y ranger la totalité du monde empirique, c’est-à-dire le monde anthropomorphique. Tandis que l’homme d’action en vient à lier son existence à la raison et à ses concepts afin de ne pas être emporté et de ne pas se perdre lui-même, le chercheur construit sa hutte au pied de la tour de la science pour pouvoir aider à sa construction et trouver lui-même protection sous le bastion qui est déjà construit. Et il a en effet besoin de protection car il existe de redoutables puissances qui l’envahissent continuellement et qui opposent à la vérité scientifique des « vérités » d’un tout autre genre sous les enseignes les plus diverses.