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L’inconscient : textes

I. Soupçons de déterminations inconscientes des contenus de la conscience

PLATON : Conflits entre les 2 parties de l’âme

« Parmi les plaisirs et les désirs qui ne sont pas nécessaires, il y en a qui me paraissent déréglés. Il semble bien qu’ils sont innés dans tous les hommes ; mais réprimés par les lois et les désirs meilleurs, ils peuvent avec l’aide de la raison être entièrement extirpés chez quelques hommes, ou rester amoindris en nombre et en force, tandis que chez les autres ils subsistent plus nombreux et plus forts.
— Mais enfin, demanda-t-il, quels sont ces désirs dont tu parles ?
— Ceux qui s’éveillent pendant le sommeil, répondis-je, quand la partie de l’âme qui est raisonnable, douce et faite pour commander à l’autre, est endormie, et que la partie bestiale et sauvage, gorgée d’aliments ou de boisson, se démène, et, repoussant le sommeil, cherche à se donner carrière et à satisfaire ses appétits. Tu sais qu’en cet état elle ose tout, comme si elle était détachée et débarrassée de toute pudeur et de toute raison?; elle n’hésite pas à essayer en pensée de violer sa mère ou tout autre, quel qu’il soit, homme, dieu, animal?; il n’est ni meurtre dont elle ne se souille, ni aliment dont elle s’abstienne?; bref, il n’est pas de folie ou d’impudeur qu’elle s’interdise.
— Très vrai, dit-il.
— Mais quand, je suppose, un homme est en bonne santé et sobre, et qu’il se livre au sommeil après avoir animé sa partie rationnelle et l’avoir entretenue avec de beaux mots et de belles pensées, et qu’il atteint un état de conscience très claire, et qu’il n’est ni affamé ni gorgé de nourriture, alors, il peut se laisser bercer dans le sommeil. »

PLATON (428-348), La République, IX.571b-e.

DESCARTES : l’inconscient peut déterminer nos affects

« Lorsque j’étais enfant, j’aimais une fille de mon âge, qui était un peu louche (= qui louchait) ; au moyen de quoi, l’impression qui se faisait par la vue en mon cerveau, quand je regardais ses yeux égarés, se joignait tellement à celle qui s’y faisait aussi pour émouvoir la passion de l’amour, que longtemps après, en voyant des personnes louches, je me sentais plus enclin à les aimer qu’à en aimer d’autres, pour cela seul qu’elles avaient ce défaut ; et je ne savais pas néanmoins que ce fût pour cela. »

DESCARTES, Lettre à Chanut, 6 juin 1647

LEIBNIZ : des perceptions sans conscience (non réfléchies)

« Il y a mille marques qui font juger qu’il y a à tout moment une infinité de perceptions en nous, mais sans aperception* et sans réflexion, c’est-à-dire des changements dans l’âme même dont nous ne nous apercevons pas, parce que les impressions sont ou trop petites ou en trop grand nombre ou trop unies, en sorte qu’elles n’ont rien d’assez distinguant à part, mais jointes à d’autres, elles ne laissent pas de faire leur effet et de se faire sentir au moins confusément dans l’assemblage. C’est ainsi que l’accoutumance fait que nous ne prenons pas garde au mouvement d’un moulin ou à une chute d’eau, quand nous avons habité tout auprès depuis quelque temps. Ce n’est pas que ce mouvement ne frappe toujours nos organes, et qu’il ne se passe encore quelque chose dans l’âme qui y réponde, à cause de l’harmonie de l’âme et du corps, mais ces impressions qui sont dans l’âme et dans le corps, destituées des attraits de la nouveauté, ne sont pas assez fortes pour s’attirer notre attention et notre mémoire, attachées à des objets plus occupants. Car toute attention demande de la mémoire, et souvent quand nous ne sommes plus admonestés pour ainsi dire et avertis de prendre garde, à quelques-unes de nos propres perceptions présentes, nous les laissons passer sans réflexion et même sans être remarquées ; mais si quelqu’un nous en avertit incontinent** après et nous fait remarquer par exemple, quelque bruit qu’on vient d’entendre, nous nous en souvenons et nous nous apercevons d’en avoir eu tantôt quelque sentiment. Ainsi, c’étaient des perceptions dont nous ne nous étions pas aperçu incontinent, l’aperception ne venant, dans ce cas, que de l’avertissement, après quelque intervalle, tout petit qu’il soit. »

Gottfried Wilhelm LEIBNITZ , Nouveaux Essais sur l’entendement humain (1704)

NIETZSCHE : Valorisation de l’inconscient

« Aujourd’hui où tout au moins nous autres, les immoralistes, nous en venons à soupçonner que la valeur essentielle d’une action réside justement dans ce qu’elle a de non intentionnel et que son intention tout entière, ce qu’on peut en voir, en savoir, en connaître par la conscience, appartient encore à sa superficie et à son épiderme, lequel, comme tout épiderme, révèle quelque chose mais dissimule encore plus ? Bref, nous croyons que l’intention n’est qu’un signe et un symptôme, qui exige d’abord d’être interprété. »

Friedrich NIETZSCHE, Par-delà bien et mal, § 32 (1886)

II. L’inconscient de la psychanalyse

FREUD : L’hypothèse de l’inconscient est nécessaire

« On nous conteste de tous côtés le droit d’admettre un psychisme inconscient et de travailler scientifiquement avec cette hypothèse. Nous pouvons répondre à cela que l’hypothèse de l’inconscient est nécessaire et légitime, et que nous possédons de multiples preuves de l’existence de l’inconscient.
Elle est nécessaire, parce que les données de la conscience sont extrêmement lacunaires ; aussi bien chez l’homme sain que chez le malade, il se produit fréquemment des actes psychiques qui, pour être expliqués, présupposent d’autres actes qui, eux, ne bénéficient pas du témoignage de la conscience. Ces actes ne sont pas seulement les actes manqués et les rêves, chez l’homme sain, et tout ce qu’on appelle symptômes psychiques et phénomènes compulsionnels chez le malade ; notre expérience quotidienne la plus personnelle nous met en présence d’idées qui nous viennent sans que nous en connaissions l’origine et de résultats de pensée dont l’élaboration nous est demeurée cachée.
Tous ces actes conscients demeurent incohérents et incompréhensibles si nous nous obstinons à prétendre qu’il faut bien percevoir par la conscience tout ce qui se passe en nous en fait d’actes psychiques ; mais ils s’ordonnent dans un ensemble dont on peut montrer la cohérence, si nous interpolons les actes inconscients inférés. Or, nous trouvons dans ce gain de sens et de cohérence une raison, pleinement justifiée, d’aller au-delà de l’expérience immédiate.
Et s’il s’avère de plus que nous pouvons fonder sur l’hypothèse de l’inconscient une pratique couronnée de succès, par laquelle nous influençons, conformément à un but donné, le cours des processus conscients, nous aurons acquis, avec ce succès, une preuve incontestable de l’existence de ce dont nous avons fait l’hypothèse. L’on doit donc se ranger à l’avis que ce n’est qu’au prix d’une prétention intenable que l’on peut exiger que tout ce qui se produit dans le domaine psychique doive aussi être connu de la conscience. »

Sigmund FREUD (1856-1939), Métapsychologie, 1915

FREUD : comment connaître l’inconscient ? Le travail d’interprétation des symptômes

« Incapable de m’en sortir, je m’accrochai à un principe dont la légitimité scientifique a été démontrée plus tard […]. C’est celui du déterminisme psychique, en la rigueur duquel j’avais la foi la plus absolue. Je ne pouvais pas me figurer qu’une idée surgissant spontanément dans la conscience d’un malade, surtout une idée éveillée par la concentration de son attention, pût être tout à fait arbitraire et sans rapport avec la représentation oubliée que nous voulions retrouver. Qu’elle ne lui fût pas identique, cela s’expliquait par l’état psychologique supposé. Deux forces agissaient l’une contre l’autre dans le malade ; d’abord son effort réfléchi pour ramener à la conscience les choses oubliées, mais latentes dans son inconscient, d’autre part la résistance que je vous ai décrite et qui s’oppose au passage à la conscience des éléments refoulés. Si cette résistance est nulle ou très faible, la chose oubliée devient consciente sans se déformer ; on était donc autorisé à admettre que la déformation de l’objet recherché serait d’autant plus grande que l’opposition à son arrivée à la conscience serait plus forte. L’idée qui se présentait à l’esprit du malade à la place de celle qu’on cherchait à rappeler avait donc elle-même la valeur d’un symptôme. C’était un substitut nouveau, artificiel et éphémère de la chose refoulée et qui lui ressemblait d’autant moins que sa déformation, sous l’influence de la résistance, avait été plus grande. Pourtant, il devait y avoir une certaine similitude avec la chose recherchée, puisque c’était un symptôme et, si la résistance n’était pas trop intense, il devait être possible de deviner, au moyen des idées spontanées, l’inconnu qui se dérobait. L’idée surgissant dans l’esprit du malade est, par rapport à l’élément refoulé, comme une allusion, comme une traduction de celui-ci dans un autre langage. »

Sigmund FREUD, Cinq leçons sur la psychanalyse, 1909