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LA RELIGION : TEXTES

Baruch SPINOZA, Traité théologico-politique (1663)

« Si les hommes avaient le pouvoir d’organiser les circonstances de leur vie au gré de leurs intentions, ou si le hasard leur était toujours favorable, ils ne seraient pas en proie à la superstition.  Mais on les voit souvent acculés à une situation si difficile, qu’ils ne savent plus quelle résolution prendre; en outre, comme leur désir immodéré des faveurs capricieuses du sort les ballotte misérablement entre l’espoir et la crainte, ils sont en général très enclins à la crédulité. Si, par exemple, pendant que la frayeur les domine, un incident quelconque leur appelle un bon ou mauvais souvenir, ils y voient le signe d’une issue heureuse ou malheureuse; pour cette raison et bien que l’expérience leur en ait donné cent fois le démenti, ils parlent d’un présage soit heureux, soit funeste.  Enfin, si un spectacle insolite les frappe d’étonnement, ils croient être témoins d’un prodige manifestant la colère ou des Dieux, ou de la souveraine Déité ; dès lors, à leurs yeux d’hommes superstitieux et irréligieux, ils seraient perdus s’ils ne conjuraient le destin par des sacrifices et des vœux solennels.  Ayant forgé ainsi d’innombrables fictions, ils interprètent la nature en termes extravagants, comme si elle délirait avec eux. »

Henri BERGSON, Les Deux Sources de la Morale et de la Religion, 1932

  « Qui ne voit que la cohésion sociale est due, en grande partie, à la nécessité pour une société de se défendre contre d’autres, et que c’est d’abord contre tous les autres hommes qu’on aime les hommes avec lesquels on vit ? Tel est l’instinct primitif. Il est encore là, heureusement dissimulé sous les apports de la civilisation : mais aujourd’hui encore nous aimons naturellement et directement nos parents et nos concitoyens, tandis que l’amour de l’humanité est indirect et acquis. A ceux là nous allons tout droit, à celle-ci nous ne venons que par un détour : car c’est seulement à travers Dieu, en Dieu, que la religion convie l’homme à aimer le genre humain : comme aussi c’est seulement à travers la Raison, dans la Raison par où nous communions tous, que les philosophes nous font regarder l’humanité pour nous montrer l’éminente dignité de la personne humaine, le droit de tous au respect. Ni dans un cas ni dans l’autre nous n’arrivons à l’humanité par étapes, en traversant la famille et la nation. Il faut que, d’un bond, nous nous soyons transportés plus loin qu’elle et que nous l’ayons atteinte sans l’avoir prise pour la fin, en la dépassant. Qu’on parle d’ailleurs le langage de la religion ou celui de la philosophie, qu’il s’agisse d’amour ou de respect, c’est une autre morale, c’est un autre genre d’obligation ».

Bertrand RUSSELL, Science et religion

Un credo religieux diffère d’une théorie scientifique en ce qu’il prétend exprimer la vérité éternelle et absolument certaine, tandis que la science garde un caractère provisoire : elle s’attend à ce que des modifications de ses théories actuelles deviennent tôt ou tard nécessaires, et se rend compte que sa méthode est logiquement incapable d’arriver à une démonstration complète et définitive. Mais, dans une science évoluée, les changements nécessaires ne servent généralement qu’à obtenir une exactitude légèrement plus grande ; les vieilles théories restent utilisables quand il s’agit d’approximations grossières, mais ne suffisent plus quand une observation plus minutieuse devient possible. En outre, les inventions techniques issues des vieilles théories continuent à témoigner que celles-ci possédaient un certain degré de vérité? pratique, si l’on peut dire. La science nous incite donc à abandonner la recherche de la vérité absolue, et à y substituer ce qu’on peut appeler la vérité?technique, qui est le propre de toute théorie permettant de faire des inventions ou de prévoir l’avenir. La vérité technique est une affaire de degré : une théorie est d’autant plus vraie qu’elle donne naissance à un plus grand nombre d’inventions utiles et de prévisions exactes. La connaissance cesse d’être un miroir mental de l’univers, pour devenir un simple instrument à manipuler la matière.