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3.2 LA DÉMONSTRATION

Qu’est-ce que démontrer ? –  Démonstration et logique – Limites de la démonstration

1. Qu’est-ce que démontrer ?

A. Définition : 

La démonstration est une procédure de langage qui partant d’énoncés posés comme vrais (prémisses) permet d’obtenir un énoncé nécessairement vrai (conclusion).

Sens commun : Démontrer = utiliser tout argument objectif (que toute personne raisonnable doit nécessairement accepter) pour convaincre de la vérité d’un énoncé.

Sens fort (celui des mathématiques) : Démontrer = produire de nouveaux théorèmes en appliquant des règles de déduction à des prémisses qui peuvent être soit les axiomes de la théorie (principes admis) soit des théorèmes déjà démontrés.

B. Démonstration et vérité

La démonstration permet de produire par le langage des énoncés vrais indépendamment de l’expérience sensible. Puisque «?la raison est la faculté de bien juger et de distinguer le vrai d’avec le faux » (DESCARTES), la démonstration est l’outil priviliégié de la raison.

Ex. : Inutile (et impossible) d’essayer de vérifier qu’il existe une infinité de nombres premiers mais on peut le démontrer (EUCLIDE).

La démonstration produit une «?vérité cohérence?» (est vrai un énoncé qui est non contradictoire avec les autres énoncés de la théorie considérée) ? «?vérité correspondance?» (est vrai un énoncé qui représente adéquatement la réalité) (cf. cours 3. La Raison et 3.1 La Vérité).

C. Démonstration et science

La démonstration est l’outil privilégié des théories scientifiques axiomatisées (mathématiques, physique, économie). Partant de principes et d’axiomes admis comme vrais, on peut construire par une suite de démonstrations une théorie qui représente un domaine d’objets dans le langage de manière cohérente, c’est-à-dire sans aucune contradiction interne.

Ex. : En mathématique depuis Euclide, en physique depuis Newton, en économie (cas problématique du fait de la complexité de son objet) depuis Von?Neuman, l’axiomatisation se présente comme la garantie de la scientificité d’une théorie. Après Newton, la  physique axiomatisée va servir de modèle (idéal) pour les autres sciences.

D. Autres usages de la démonstration 

La démonstration a une utilité pratique au-delà de la science.

Ex. : Pour démontrer la culpabilité d’un suspect, on peut se servir de preuves empiriques, c’est-à-dire d’objets, de traces physiques décrites par des énoncés qui vont servir de prémisses à une démonstration (« Puisqu’on a trouvé le numéro de téléphone du suspect dans l’agenda de la victime, alors la victime connaissait le suspect?», ou «?Si le suspect se trouvait à telle heure à tel endroit, il ne pouvait se trouver à tel autre donc… etc.)

La démonstration la plus rigoureuse, appliquant scrupuleusement les règles de déduction de la logique, n’aboutira à une conclusion vraie que si les prémisses sont vraies. La conclusion d’un raisonnement juste n’est pas nécessairement vraie.

Ex. : «?Tous les chats jouent du clairon, Garfield est un chat donc Garfeld jour du clairon.?» Ce raisonnement est «?valide?» car il suit les règle de déduction du syllogisme. Néanmoins sa conclusion est fausse puisque l’une des prémisses («?tous les chats jouent du clairon?») est fausse.

D’où l’importance du premier précepte de la méthode de Descartes : « Ne recevoir jamais aucune chose pour vraie que je ne connusse évidemment être telle?».

—> Dans la pratique, la démonstration n’a d’intérêt que si l’on possède déjà des «?vérités?» à partir desquelles les nouveaux énoncés que l’on déduit apportent de nouvelles connaissances.

2.   Démonstration et logique

2.1 La rôle de la logique dans la démonstration

Le caractère nécessaire de la conclusion d’une démonstration résulte de l’usage de la logique, c’est-à-dire de l’utilisation de règles de langage (règles de déduction) permettant de déterminer des formes de raisonnement valide. (Pour les probèmes liés à la logique, cf. cours sur la vérité. Ex. : « Je suis un menteur?» : conséquence, si je mens je dis la vérité, si je dis la vérité, je mens.)

NB : les règles sont formelles c’est-à-dire qu’elles ne concernent que la manière de construire les raisonnements (et non le contenu des énoncés), d’enchaîner les énoncés à l’aide de connecteurs logiques (conjonction «?et?», disjonction «?ou?», négation «?non?», implication…), en appliquant les règles d’inférence propres à chaque connecteur.

—>Inférer  = opération mentale consistant à tirer une conclusion à partir de données.

Exemples :

– Règle d’inférence de la conjonction (et) : si A est vraie et B est vraie, alors « A et B?» est vraie.
  Règle d’inférence de l’implication : si A implique B et que A est vraie, alors B est vraie.

 (La procédure de diagnostic en médecine s’appuie sur cette règle d’inférence).

—> Raisonner = passer de prémisses données aux conclusions légitimes (c’est-à-dire obéissant à des lois) par un ou plusieurs actes d’inférence.

2.2 La logique classique (aristotélicienne)

L’Organon d’Aristote est une première élaboration de la logique. Aristote y définit une forme de raisonnement particulière : le syllogisme.

A. Une forme de démonstration : le syllogisme

— > « Le syllogisme est un raisonnement où, certaines choses étant prouvées, une chose autre que celles qui ont été accordées se déduit nécessairement des choses qui ont été accordées. » (ARISTOTE)

Exemple :

Première prémisse (majeure) : Tous les hommes sont des mortels
Deuxième prémisse (mineure) : Or Socrate est un homme
Conclusion : Donc Socrate est un mortel

Si les prémisses sont vraies, ALORS la conclusion l’est aussi.

—> Mais ce n’est pas à la logique d’établir la vérité des prémisses.


B. Une vérité formelle est universelle

Aristote montre comment on obtient les formes de raisonnement valides universellement en substituant aux propositions données des variables (A, B, C…) (comme en algèbre on remplace des valeurs particulières par des lettres). On ne garde ainsi que la forme du raisonnement :

Cas du syllogisme :  Tous les A sont des B  /  Or C est un A   /  Donc C est un B.
Un tel schéma de raisonnement est qualifié de vérité formelle : il est vrai par sa forme, de manière universelle, c’est-à-dire quels que soient les énoncés A, B et C.

Il faut donc distinguer :

La vérité formelle (ou syntaxique) (on parle aussi de validité) : elle ne concerne que la forme du raisonnement, indépendamment du contenu (sens) des propositions qu’il contient. La vérité formelle d’un raisonnement est le fait que la conclusion découle nécessairement des prémisses (étant donné ces prémisses, on ne peut conclure autre chose).

La vérité matérielle (ou sémantique) : il s’agit de la vérité des propositions selon leur sens, selon leur rapport à la réalité («?vérité-correspondance?»).

2.3 Démonstration et rationalisme

«?Ces longues chaînes de raisons, toutes simples et faciles, dont les géomètres ont coutume de se servir pour parvenir à leurs plus difficiles démonstrations, m’avaient donné occasion de m’imaginer que toutes les choses, qui peuvent tomber sous la connaissance des hommes, s’entre-suivent en même façon.

DESCARTES, Discours de la méthode (1637)

—> Rationalisme : les relations de causes à effets dans la nature sont représentables par les relations de déduction (ou conséquence) dans le langage.

Si dans la nature les causes C1, C2, C3… ont pour effet E, alors les propositions P1, P2, P3… qui traduisent dans le langage les causes C1, C2, C3 (on parle d’«?énoncés observationnels?») ont pour conséquence logique la proposition qui dans le langage traduit l’effet E. Donc si l’effet E était inconnu empiriquement, on a pu néanmoins le prévoir par déduction grâce à la théorie.

Ex. :  En 1844, l’astronome Le Verrier déduit des observations d’anomalies dans les mouvements de la planète Uranus les caractéristiques de la planète Neptune (alors inobservable) en s’appuyant sur la mécanique newtonienne. Quand cette hypothétique planète fut observé (1846), le physicien Arago pourra dire : « M. Le Verrier vit le nouvel astre au bout de sa plume ».


3.  Limites de la démonstration

3.1. Problèmes sceptiques : insuffisance de la preuve démonstrative

La démonstration rend nécessaire la conclusion sous réserve que la vérité des prémisses soit elle-même assurée. Donc :

      • ou bien les prémisses sont démontrées mais alors elles dépendent d’autres prémisses qu’il faudra démonter (on ne fait que repousser le problème)?;
      • ou bien elles ne sont pas démontrées (cas des axiomes en mathématique) auquel cas comment peuvent-elles être vraies??

Or toutes les prémisses ne peuvent être démontrées sinon on aboutirait :

      • soit à une régression à l’infini (il faut une preuve de la preuve de la preuve…) ;
      • soit à une circularité (A sert à démontrer B et B sert à démontrer A).
        Ex : La Bible prouve l’existence de dieu puisqu’elle est inspirée par Dieu.

—> Les principes de la démonstration ne sont pas démontrables (par eux-mêmes).


A. Problème général du fondement d’une théorie : sur quoi fonder les fondements ?

Fondement : ce sur quoi un édifice repose, qui rend possible la stabilité de cet édifice. Par analogie, dans un domaine du savoir rationnel (considéré comme un édifice logique), les fondements constituent, pré-existe à l’édifice théorique et permet d’assurer sa cohérence.

Ex. :   La philosophie s’intéresse aux fondements de la science ou de la morale, c’est-à-dire aux principes qui les justifient, les légitiment.

 À la fin du XIXe siècle, les mathématiciens, obtenant des résultats contradictoires, ont dû s’interroger sur les fondements de leur discipline (crise des fondements) et ont développé la théorie des ensembles pour donner une assise unique à tous les domaines des mathématiques.

Principe : c’est ce qui, à la base d’une théorie, est premier logiquement, ce sur quoi s’appuie tout ce qui suit.

Ex. :  Euclide, inventeur (probable) de l’axiomatisation, a recours à 3 types de principes :  des «?notions ordinaires?», («?Deux choses égales à une troisième sont aussi égales entre elles.?»), des postulats («?Un segment de droite peut être tracé en joignant deux points quelconques.?») et des définitions («?Le point est ce dont la partie est nulle.?»).

A la fin du XIXe siècle, les mathématiciens s’aperçoivent qu’on peut créer d’autres géométries que celle d’Euclide et tout aussi cohérentes (c’est-à-dire logiquement valides) — qu’on appellera «?géométries non-euclidiennes?». On comprend en effet qu’Euclide avait construit ses principes sur la base de la perception humaine (espace à 3 dimensions, continu, infini, homogène) et que ce n’est qu’un cas particulier. Il suffit donc de changer un des axiomes posés par Euclide pour créer une nouvelle géométrie.
[Mais la géométrie sphérique créée par Riemann vers 1850 — qui modifie le 5e postulat d’Euclide en posant que par 2 points passent une infinité de parallèles et paraît pour ses contemporains un simple jeu de l’esprit — va s’avérer l’outil nécessaire à la relativité générale pour décrire l’espace courbé par une masse, donc pour décrire la réalité de phénomènes physiques.]

B. Problème général du fondement de la logique :

Dans la mesure où toute théorie scientifique utilise la logique pour organiser l’ensemble de ses énoncés, les principes de la logique constituent un problème crucial.

Exemples : 

        • principe de non-contradiction : « Aucun énoncé ne peut être à la fois vrai et faux. »
        • principe du tiers exclu : « Tout énoncé est soit vrai, soit faux. »

Les principes logiques sont-ils démontrables ?

        • Si oui, alors on a besoin de la logique pour prouver la vérité des principes de la logique : cercle vicieux.
        • Si non, on ne peut pas les démontrer donc «?ils ne sont pas vrais?» du point de vue logique elle-même. Ils sont des conventions et pourraient donc être remplacés par d’autres principes a priori aussi valables.

Au XXe siècle, les logiciens procéderont à la même révolution que les mathématiciens en modifiant les principes de la logique pour développer d’autres logiques qui s’avèreront fécondes dans différents domaines de l’ingéniérie (en particulier en informatique).

Ex. : Logiques trivalentes ou floues (qui ne respectent pas le principe du tiers exclu), logique linéaire…

—> Toutes les théories axiomatiques sont donc conventionnelles : elles résultent d’un choix d’axiomes dont la valeur se mesure à leur fécondité, c’est-à-dire au domaine théorique qu’ils permettent de créer. Elles sont donc une création de l’esprit humain et non la traduction d’une réalité pré-existante (même si elles peuvent s’inspirer de cette réalité comme dans le cas d’Euclide).

3.2. Nécessité de l’intuition pour rendre possible la démonstration (en lui fournissant des principes)

> Les principes logiques seraient connus de nous sans être démontrables (puisqu’il faudrait les utiliser pour les démontrer). D’où viennent-ils??

—> Nos connaissances ne peuvent avoir que 2 origines :

      • soit intuitives : c’est-à-dire données immédiatement à la conscience sans que celle-ci les ait construites?;
      • soit rationnelles (ou a priori) : c’est-à-dire produites par la raison, par l’intermédiaire du langage, des concepts. Elle peuvent être générales. On parle aussi de connaissances discursives.

—> Les connaissances intuitives peuvent avoir à leur tour 2 origines :

      • intuition empirique : donnée par les sens ;
      • intuition intellectuelle : certaines propositions sont évidentes, leur vérité se manifesterait d’elle-même. Elles ne nécessitent donc pas de démonstration.

> Pour Descartes, les notions d’étendue (les dimensions de l’espace), de figure (forme), de cause, le mouvement, etc., sont des «?vérités premières?» : «?en voulant les éclaircir, on ne peut que les obscurcir d’avantage?». Ces idées seraient en quelque sorte innées, universelles, partagées naturellement par tout être humain et seraient les «?semences?» des autres vérités.

Pascal reprend cette idée  («?Le cœur des raisons que la raison ignore.?»)

NB : Le cœur chez Pascal désigne ce qui produit les sentiments, intuitions, désirs, dont l’évidence est immédiate et pré-rationnelle.

«?La connaissance des premiers principes, comme qu’il y a espace, temps, mouvement, nombres, est aussi ferme qu’aucune de celles que nos raisonnements nous donnent. Et c’est sur ces connaissances du cœur et de l’instinct qu’il faut que la raison s’appuie, et qu’elle y fonde tout son discours. Le cœur sent qu’il y a trois dimensions dans l’espace et que les nombres sont infinis ; et la raison démontre ensuite qu’il n’y a point deux nombres carrés dont l’un soit le double de l’autre.
Les principes se sentent, les propositions se concluent ; et le tout avec certitude, quoique par différentes voies. Et il est aussi ridicule et inutile que la raison demande au cœur des preuves de ses premiers principes, pour vouloir y consentir, qu’il serait ridicule que le cœur demandât à la raison un sentiment de toutes les propositions qu’elle démontre, pour vouloir les recevoir. […] La dernière démarche de la raison est de reconnaître qu’il y a une infinité de choses qui la surpassent. Elle n’est que faible si elle ne va jusqu’à connaître cela. […] Deux excès : exclure la raison, n’admettre que la raison. Il n’y a rien de si conforme à la raison que ce désaveu de la raison. »                                   

Blaise PASCAL, Pensées (1670)

Kant va plus loin en posant que l’espace et le temps sont des formes a priori de la sensibilité humaine dans lesquelles les données sensibles viennent s’organiser, produisant, avec le travail de l’entendement, notre perception.

3.3. Critique de la notion d’intuition :

Les Eléments d’Euclide est l’ouvrage déterminant de la rationalité scientifique occidentale. En 13 livres, à partir de définitions, de postulats et d’axiomes (nous ne faisons plus cette distinction euclidienne entre axiomes et postulats), Euclide  démontre 470 théorèmes.

Sa méthode, déductive, qui a servi de modèle aux scientifiques durant plus de deux millénaires, a néanmoins révélé certaines limites.

> Exemple 1: le 5e postulat du Livre 1 des Eléments

Ex. : Les 5 postulats du Livre I sont les suivants :

1/ Un segment de droite peut être tracé en joignant deux points quelconques.

2/ Un segment de droite peut être prolongé indéfiniment en une ligne droite.

3/ Étant donné un segment de droite quelconque, un cercle peut être tracé en prenant ce segment comme rayon et l’une de ses extrémités comme centre.

4/ Tous les angles droits sont congruents.

5/ Par un point situé en-dehors d’une droite donnée dans un plan, on ne peut tracer qu’une parallèle à cette droite dans ce plan. (NB. : ce n’est pas exactement dans ces termes qu’Euclide le donne, mais c’est équivalent.)

Ce 5e postulat a posé des problèmes aux mathématiciens jusqu’au XIXe siècle. Euclide lui-même ne s’en sert qu’une fois, comme s’il avait un doute.

On a supposé que c’était plutôt un théorème et qu’il pouvait donc être démontré à partir des autres postulats et axiomes. Néanmoins personne n’est parvenu à le démontrer.

—> Problème : en tentant une démonstration du 5e postulat par l’absurde, on n’aboutit à aucune contradiction.

—> Solution : en gardant les autres postulats et on modifiant le 5e, on peut créer des nouvelles géométries qu’on appelle non-euclidiennes.

Exemple de théorème dérivable v

Euclide une seule parallèle Somme des angles du triangle = ?

Lobatchevski une infinité de parallèles Somme des angles du triangle ? ?

Riemann aucune parallèle Somme des angles du triangle ? ?

Le postulat choisi par Euclide est intuitif : il correspond aux données de notre perception.  Mais un autre choix, une autre convention, est tout aussi possible et donne une théorie tout aussi cohérente (même s’il ne correspond plus à notre expérience sensible).

—> Les axiomes mathématiques ne sont pas des intuitions (ils ne l’étaient dans le cas de la géométrie euclidienne que par «?accident?») : ce sont des conventions, des règles du jeu choisies par le mathématicien pour leur fécondité et leur cohérence.

—> Si ces géométries non-euclidiennes ne correspondent pas à notre expérience sensible (notre espace perçu est bien de type euclidien), la physique s’en est saisie pour décrire certains phénomènes. Ex. : la relativité générale pour décrire un espace-temps courbe.

> Exemple 2 : l’axiome « Le tout est plus grand que la partie »

Cet axiome semble intuitivement indiscutable. A la fois du point de vue de l’intuition sensible (une partie d’un objet est toujours plus petite que l’objet dont elle est la partie), et du point de vue de l’intuition intellectuelle : c’est une idée qui découle immédiatement des notions mêmes de tout et de partie.
Cependant, à la fin du XIXe siècle, les mathématiciens ont dû s’en débarrasser pour pouvoir définir de manière cohérente un ensemble infini.
Déjà Galilée ou Leibniz se posaient la question (cf. figure 1) : les projections de chaque point du segment [AB] vers E coupent le segment [CD] en un point déterminé et différent : donc il y a nécessairement autant de points sur les segments [AB] et [CD] alors que le segment [AB] est 2 fois plus long que le segment [CD].
De même, dans un ensemble infini, on peut établir une bijection de chaque élément de l’ensemble avec un élément d’un sous-ensemble.

Ex. : entre les nombres entiers naturels et les nombres entiers pairs.

Et donc « La partie est aussi grande que le tout » définit précisément les ensemble infinis.

—> La notion d’intuition intellectuelle est donc peu fiable.

4. EMPIRISME VS. RATIONALISME

4.1 Empirisme :

—> Hume (XVIIIe) établit une distinction intéressante entre de deux genres de vérités :

      • Les vérités de raison sont connues par démonstration, déduites d’autres vérités (les prémisses). Leur négation implique contradiction (d’où l’intérêt de la démonstration par l’absurde).
      • Les vérités de fait sont connues par l’expérience et ne peuvent être démontrées. Ce sont les traductions dans le langages, de phénomènes naturels (ex. : relations de cause à effet).

—> Les lois physique sont déterminées par induction = généralisation de cas particuliers.

Ce n’est pas une déduction qui nous permet de prévoir le mouvement d’une boule de billard mais l’«?habitude?» que nous avons prise de ses trajectoires, habitude qui nous permet de prévoir comment le boule se conduira. C’est cette habitude que nous traduisons dans le langage mathématique en lois inductives.

—> Empirisme : c’est à partir de l’expérience que nous pouvons connaître les lois de la nature et sortir de la régression à l’infini ou du cercle vicieux de l’idéal démonstratif des rationalistes.

«?Tous les raisonnements sur les faits paraissent se fonder sur la relation de la cause à l’effet. C’est au moyen de cette seule relation que nous dépassons l’évidence de notre mémoire et de nos sens. […] J’oserai affirmer, comme une proposition générale qui n’admet pas d’exception, que la connaissance de cette relation ne s’obtient, en aucun cas, par des raisonnements a priori ; mais qu’elle naît entièrement de l’expérience quand nous trouvons que des objets particuliers sont en conjonction constante l’un avec l’autre. Qu’on présente un objet à un homme dont la raison et les aptitudes soient, par nature, aussi fortes que possible ; si cet objet lui est entièrement nouveau, il sera incapable, à examiner avec la plus grande précision ses qualités sensibles, de découvrir l’une de ses causes ou l’un de ses effets. »

HUME, Enquête sur l’entendement humain (1748)

4.2 Rationalisme

Cette idée s’oppose au rationalisme de Descartes : «?Ces longues chaînes de raisons, toutes simples et faciles, dont les géomètres ont coutume de se servir pour parvenir à leurs plus difficiles démonstrations, m’avaient donné occasion de m’imaginer que toutes les choses, qui peuvent tomber sous la connaissance des hommes, s’entre-suivent en même façon.?»

—> Rationalisme : il existe un lien entre relations de causes à effets dans la nature et relations d’inférence dans le langage.
Si dans la nature les causes C1, C2, C3… ont pour effet E, alors les propositions P1, P2, P3… qui traduisent dans le langage les causes C1, C2, C3 ont logiquement pour conclusion la proposition qui dans le langage traduit l’effet E.

4.3 Rationalisme et empirisme

On pourrait donc distinguer dans la construction des connaissances scientifiques, 2 étapes nécessaires et complémentaires :

      • dans le contexte de la recherche, la science est empiriste et doit procéder par induction?; la production des lois d’une science s’appuie uniquement sur l’expérience.
      • dans le contexte de la justification (la construction théorique), la science est rationaliste et doit procéder par déduction ; la production d’une théorie s’appuie sur la déduction à partir de principes. (NB : les principes sont aux sciences expérimentales ce que les axiomes sont aux mathématiques.)

Mais théorie et expérience se fécondent l’une et l’autre.

Ex. : En 1839, pour expliquer des anomalies des mouvements de la planète Uranus, l’astronome Le Verrier déduit par calculs l’existence d’une planète (Neptune) alors inobservable. C’est une hypothèse explicative déduite de la théorie de Newton. Neptune est effectivement observée en 1846  —> la théorie a donc ici précédé l’expérience.

«?Déjà l’observation a besoin d’un corps de précautions qui conduisent à réfléchir avant de regarder, qui réforment du moins la première vision, de sorte que ce n’est jamais la première observation qui est la bonne. L’observation scientifique est toujours une observation polémique, elle confirme ou infirme une thèse antérieure, un schéma préalable, un plan d’observation ; elle montre en démontrant ; elle hiérarchise les apparences ; elle transcende l’immédiat ; elle reconstruit le réel après avoir reconstruit ses schémas.
Naturellement, dès qu’on passe de l’observation à l’expérimentation, le caractère polémique de la connaissance devient plus net encore. Alors il faut que le phénomène soit trié, filtré, épuré, coulé dans le moule des instruments, produit sur le plan des instruments. Or les instruments ne sont que des théories matérialisées. Il en sort des phénomènes qui portent de toutes parts la marque théorique.?»

BACHELARD, Le nouvel esprit scientifique (1938).

5.  LA POSITION SCEPTIQUE

Pour Nietzsche, les principes de la logique ne sont que des moyens d’adaptation, de palier des faiblesses constitutives de l’être humain dans son rapport à son milieu.

Dans le texte suivant, il dresse une généalogie possible du principe d’identité (qui nous permet de classer les objets de l’expérience en genres et espèces) en lien avec la sélection naturelle. Tel qu’il le conçoit, ce principe d’identité naît de notre faiblesse, de notre incapacité à percevoir la complexité de la nature.

La logique est donc une interprétation biaisée, une grille de lecture simplificatrice nécessaire à la survie de l’espèce, une falsification du réel visant à l’optimisation de notre comportement.

«?Origine de la logique. – D’où la logique est-elle née dans la tête des hommes ? Certainement de l’illogisme dont le domaine a dû être immense à l’origine. Mais d’innombrables êtres, qui concluaient autrement que nous ne le faisons maintenant, dépérirent : il se pourrait que ce fût encore plus vrai qu’on ne pense ! Qui, par exemple, ne savait discerner assez souvent l’«?identique », quant à la nourriture ou quant aux animaux dangereux pour lui ; qui par conséquent était trop lent à classer, trop circonspect dans le classement, avait moins de chances de survivre que celui qui tombait immédiatement sur l’identique parmi tous les semblables. Mais la tendance prédominante à considérer le semblable comme l’identique — tendance illogique, car il n’y a rien d’identique en soi — cette tendance a créé le fondement même de la logique. Il fallait de même, pour que pût se développer le concept de substance qui est indispensable à la logique — encore que rien de réel ne lui corresponde au sens le plus rigoureux —, que durant fort longtemps la mutabilité des choses restât inaperçue et ne fût pas appréhendée ; les êtres ne voyant pas suffisamment avaient une avance sur ceux qui percevaient toutes choses «?dans un flux ». Toute extrême circonspection à conclure, toute tendance sceptique constituent à elles seules un grand danger pour la vie. Nul être vivant ne se serait conservé, si la tendance contraire à affirmer plutôt qu’à suspendre le jugement, à errer et à imaginer plutôt qu’à attendre, à approuver plutôt qu’à nier, à juger plutôt qu’à être juste, n’avait été stimulée de façon extraordinairement forte. Le cours des pensées et des conclusions logiques dans notre cerveau actuel répond à un processus et à une lutte d’impulsions qui par elles-mêmes sont toutes fort illogiques et injustes : l’antique mécanisme se déroule à présent en nous de façon si rapide et si dissimulée que nous ne nous apercevons jamais que du résultat de la lutte. »

NIETZSCHE, Le Gai Savoir, §111 (1882)