COURS TEXTES CITATIONS LITTÉRATURE CINÉMA ART ACTUALITÉS AUDIO 

3. LA RAISON

1. DÉFINITION

Définition : La raison (au sens qui intéresse la théorie de la connaissance) est la faculté humaine qui permet de connaître le réel (raison théorique qui fait de nous un être rationnel) et d’agir sur le réel (raison pratique qui fait de nous un être raisonnable) selon des principes universels. Elle permet donc de porter des jugements de valeur (vrai/faux, bien/mal) objectifs.
Elle permet donc de bien juger, de discerner le vrai du faux et de combiner des idées.

> Étymologie :  du latin « ratio » (qui traduit le grec «?logos?») =  mesure, calcul, mais aussi faculté de compter ou de mettre en relation et par suite explication.

Rappels :

    • Faculté humaine = capacité spécifique à l’être humain.
    • Principes universels = principes qui peuvent valoir pour tout être humain.

Attention aux usages de la langue :

Il existe un 2e sens au mot «?raison?» (complémentaire de la notion de «?cause?») :

      • cause = ce qui, dans la réalité, produit, provoque un effet, ce par quoi quelque chose arrive ;
      • raison = ce qui, dans le discours, justifie un énoncé, ce qui permet de reconnaître le fait dcrit par cet énoncé comme légitime (conséquence d’une loi admise), comme fondé par rapport à une norme (Ex. : avoir une bonne raison d’agir, avoir des raisons de croire…).

Pascal mobilise ces deux sens du mot « raison » :
«?Le cœur a des raisons (= justifications) que la raison (faculté humaine) ignore.?»

> La raison comme moyen de la vérité :

Chez les Grecs, le discours rationnel (appelé logos) apparaît :

      • pour ordonner la représentation du monde (connaître le réel) : en expliquant les phénomènes naturels non plus par des mythes ou des légendes, mais en en cherchant les causes dans la nature elle-même?;
      • pour ordonner les affaires de la cité (agir sur le réel) : lors des débats démocratiques à Athènes, les décisions politiques sont soumises au jugement des citoyens. Pour convaincre, il faut donc argumenter de manière cohérente pour justifier les choix soumis au vote.

Dans les deux cas, il faut justifier ses affirmations par des arguments visant à l’objectivité, c’est-à-dire tels que tout le monde ne peut que les accepter, être convaincu. Cela passe par :

      • un accord sur les définitions des mots (notions) qu’on emploie,
      • des modes de raisonnement qui doivent être irréfutables (dialectiques, logiques), sur lesquels toutes les parties prenantes ne peuvent que s’accorder.

La dialectique (art du dialogue constructif), discours rationnel permettant de s’accorder sur la vérité d’un énoncé?:

La « dialectique?», argumentation rationnelle… … par oppposition à la «?rhétorique
—>  permet de partager des connaissances, —> permet d’imposer des opinions,
—> de convaincre par le raisonnement en produisant l’accord à chaque étape de son développement, —> de persuader par des artifices de langage, indépendamment de la réalité.
—> vise la vérité (ce qui correspond à la réalité) et donc l’universalité, —> ne vise que le vraisemblable (ce qui semble vrai),
—> toutes formes de connaissance, en particulier les sciences. —> plaidoirie d’un avocat, boniment d’un commerçant, d’un politicien…).


2. RAISON THÉORIQUE / RAISON PRATIQUE

Ce sont les deux sources complémentaires dont l’être humain dispose pour connaître le réel.  

2.1 Raison théorique

Appliquée aux faits et à leurs descriptions, la raison théorique permet de connaître ce qui est, c’est-à-dire d’avoir une représentation adéquate grâce le langage. Elle se veut descriptive puisqu’elle s’efforce de représenter les choses telles qu’elles sont. Mais elle est aussi prédictive puisque qu’elle s’intéresse aux régularités.

      • les sens qui captent une partie des informations présentes dans notre milieu ;
      • la raison théorique qui, à partir de ce qui est donné par nos sens et de ce que nous savons déjà, établit des relations qui ne sont pas données par les sens mais correspondent néanmoins à la réalité, la rendant prédictible.

Ex. : Nos sens nous montrent le soleil se lève à l’est et se couche à l’ouest après avoir décrit un demi-cercle au-dessus de nous. Il faut une réflexion prenant en compte toutes les données des mouvements des autres planètes et cherchant à en trouver la cohérence pour aboutir à l’idée d’un système solaire héliocentrique.

« Quand l’eau courbe le bâton, ma raison le redresse
La raison décide en maîtresse.

Mes yeux, moyennant ce recours
Ne me trompent jamais en me mentant toujours.

LAFONTAINE, Un animal dans la lune

2.2 Raison pratique 

Appliquée à nos actions, elle est prescriptive, c’est-à-dire qu’elle vise à définir ce qui doit être. 

> Deux sources complémentaires à nos actions sur le réel :

      • les motivations (besoins, désirs, envies…) : orientent l’action de l’individu vers un but donné ;
      • la raison pratique qui détermine le meilleur moyen de parvenir à une fin ou la priorité d’une fin par rapport à d’autres.
      • Complémentarité : connaître le réel (raison théorique) pour agir sur le réel (raison pratique).

Descartes : «?Et j’avais toujours un extrême désir d’apprendre à distinguer le vrai d’avec le faux, pour voir clair en mes actions, et marcher avec assurance en cette vie.

2.3 Relations entre raison théorique et raison pratique 

Recherche d’universalité (lois valant dans toutes les situations du même type)
—> économie de pensée (lois scientifiques, règles morales).

Recherche d’objectivité (lois valant pour tout être disposant de la raison)
—> univocité (pas d’ambiguïté), cohérence (pas de contradiction).

RAISON THÉORIQUE (être rationnel)

(vise à la rationalisation de la connaissance)

RAISON PRATIQUE (être raisonnable)

(vise à la rationalisation de l’action)

Conception cohérente et objective du RÉEL.

Valeur déterminante : le VRAI,
= ce qui dans le langage correspond au réel.

Conception cohérente et objective de l’ACTION.

Valeur déterminante : le BIEN,
= ce qu’il y a de plus désirable pour tout être raisonnable.

La raison théorique permet de discerner le vrai du faux.

La raison pratique permet de discerner le bien du mal.

Détermination de régularités, de lois
des phénomènes naturels.

Détermination de règles, de valeurs,
de normes des comportements humains.

Lois descriptives des phénomènes naturels.

Lois prescriptives des comportements humains.

Domaines : physique, chimie, biologie.

Domaines : morale, justice, politique.

Permet la maîtrise des forces de la nature.

Permet la maîtrise de soi-même.

—> Adaptation au milieu physique
rationalisation des interactions avec les objets.

—> Adaptation au milieu social
rationalisation des interactions avec autrui.

Syllogisme hypothétique : raisonnement
qui engendre nécessairement la vérité.
1/ Tous les hommes sont mortels (prémisse majeure)
2/ Socrate est un homme (prémisse mineure)
3/ Socrate est mortel (conclusion)

Syllogisme pratique : raisonnement
qui conclut nécessairement à l’action bonne.
1/ Les fruits sont bons pour la santé
2/ Je désire être en bonne santé
3/ Je mange des fruits.

 

Aristote : « Le syllogisme est un raisonnement où, certaines choses étant prouvées, une chose autre que celles qui ont été accordées se déduit nécessairement des choses qui ont été accordées. »

3. DESCARTES ET LA RAISON

A/ La raison est commune aux hommes, mais pas son usage

« Le bon sens est la chose du monde la mieux partagée : car chacun pense en être si bien pourvu, que ceux même qui sont les plus difficiles à contenter en toute autre chose, n’ont point coutume d’en désirer plus qu’ils en ont. En quoi il n’est pas vraisemblable que tous se trompent ; mais plutôt cela témoigne que la puissance de bien juger, et distinguer le vrai d’avec le faux, qui est proprement ce qu’on nomme le bon sens ou la raison, est naturellement égale en tous les hommes?; et ainsi que la diversité de nos opinions ne vient pas de ce que les uns sont plus raisonnables que les autres, mais seulement de ce que nous conduisons nos pensées par diverses voies, et ne considérons pas les mêmes choses. Car ce n’est pas assez d’avoir l’esprit bon, le principal est de l’appliquer bien. Les plus grandes âmes sont capables des plus grands vices, aussi bien que des plus grandes vertus?; et ceux qui ne marchent que fort lentement, peuvent avancer beaucoup davantage, s’ils suivent toujours le droit chemin, que ne font ceux qui courent, et qui s’en éloignent. »

René DESCARTES, Discours de la méthode (1637)

Thème : la raison et son usage d’un point de vue universaliste.

Thèse : la raison est une faculté partagée par tout homme, mais son usage est limité par notre culture : elle doit être éduquée pour pouvoir être appliquée à l’ensemble de l’expérience humaine.

L’importance du doute : « J’apprenais à ne rien croire trop fermement de ce qui ne m’avait été persuadé que par l’exemple et par la coutume : et ainsi je me délivrais peu à peu de beaucoup d’erreurs qui peuvent offusquer notre lumière naturelle, et nous rendre moins capables d’entendre raison. »  Descartes, Discours de la méthode (1637)

(A rapprocher du principe socratique : «?Je sais que je ne sais rien », condition de l’ouverture d’esprit nécessaire à la rechrhce de la vérité, donc à l’examen de la réalité telle qu’elle est, indépendamment de nos préjugés.)

B/ La méthode est nécessaire à l’usage de la raison

« Au lieu de ce grand nombre de préceptes dont la logique est composée, je crus que j’aurais assez des quatre suivants, pourvu que je prisse une ferme et constante résolution de ne manquer pas une seule fois de les observer.
Le premier était de ne recevoir jamais aucune chose pour vraie que je ne la connusse évidemment être telle?; c’est-à-dire d’éviter soigneusement la précipitation et la prévention ; et de ne comprendre rien de plus en mes jugements que ce qui se présenterait si clairement et si distinctement à mon esprit, que je n’eusse aucune occasion de le mettre en doute.
Le second, de diviser chacune des difficultés que j’examinerais, en autant de parcelles qu’il se pourrait et qu’il serait requis pour les mieux résoudre.
Le troisième, de conduire par ordre mes pensées, en commençant par les objets les plus simples et les plus aisés à connaître, pour monter peu à peu, comme par degrés, jusques à la connaissance des plus composés?; et supposant même de l’ordre entre ceux qui ne se précèdent point naturellement les uns les autres.
Et le dernier, de faire partout des dénombrements si entiers, et des revues si générales, que je fusse assuré de ne rien omettre.
Ces longues chaînes de raisons, toutes simples et faciles, dont les géomètres ont coutume de se servir, pour parvenir à leurs plus difficiles démonstrations, m’avaient donné occasion de m’imaginer que toutes les choses, qui peuvent tomber sous la connaissance des hommes, s’entre-suivent en même façon et que, pourvu seulement qu’on s’abstienne d’en recevoir aucune pour vraie qui ne le soit, et qu’on garde toujours l’ordre qu’il faut pour les déduire les unes des autres, il n’y en peut avoir de si éloignées auxquelles enfin on ne parvienne, ni de si cachées qu’on ne découvre.?»

René DESCARTES, Discours de la méthode (1637)

—> Règle 1 (de l’évidence) : Ne raisonner que sur la base de certitude c’est-à-dire sur des énoncés dont on doit avoir expérimenter l’évidence.

—> Règle 2 (de l’analyse) : Analyser les questions complexes, c’est-à-dire les diviser en questions plus simples.

—> Règle 3 (de la synthèse) : Ordonner ses pensée c’est-à-dire connaître les objets les plus complexes à l’aide des objets les plus simples.

—> Règle 4 (de la vérification) : Vérifier que la «?chaîne de raisons?» est solide au niveau de chacun de ses anneaux et des liens entre eux.

4.  ÉPICURE ET LA MISE EN ŒUVRE DE LA RAISON PRATIQUE

A. Le problème de la mort au crible de la raison pratique

«?Habitue-toi à penser que la mort n’est rien pour nous. Car tout bien et tout mal résident dans la sensation or la mort est privation de toute sensibilité. Par conséquent, la connaissance de cette vérité que la mort n’est rien pour nous, nous rend capables de jouir de cette vie mortelle, non pas en y ajoutant la perspective d’une éternité, mais en nous enlevant le désir de l’immortalité. Car il ne reste plus rien à redouter dans la vie, pour qui a vraiment compris que hors de la vie il n’y a rien de redoutable. On prononce donc de vaines paroles quand on soutient que la mort est à craindre non pas parce qu’elle sera douloureuse une fois réalisée, mais parce qu’il est douloureux de l’attendre. Ce serait en effet une crainte vaine et sans objet que celle qui serait produite par l’attente d’une chose dont la présence ne cause aucun trouble.
Ainsi le plus terrifiant de tous les maux, la mort, n’est rien pour nous, puisque, tant que nous sommes, la mort n’est pas, et que, quand la mort est là, nous ne sommes plus. Donc la  mort n’existe ni pour les vivants ni pour les morts, puisqu’elle n’a rien à faire avec les premiers, et que les seconds ne sont plus.

ÉPICURE, Lettre à Ménécée (300 av. JC)

—> La raison est utilisée ici pour éliminer un faux problème (celui de la mort) susceptible de nous empêcher de profiter de la vie.

—> Pour Epicure, la peur de la mort naît d’une confusion entre le réel à venir et ce qu’on en imagine sur la base de notre expérience de la souffrance et de l’imaginaire religieux : elle naît donc d’un mauvais usage de la raison. Par ailleurs, celui qui craint la mort a plus peur de la souffrance que de la mort elle-même. Or, la peur de la souffrance est elle-même une souffrance, mais qui est sans objet : là encore, elle naît d’un manque de rationalité.

—> Raisonnement pratique : la mort se caractérisant par la perte de toute sensibilité  (plaisir, douleur), il n’y a aucune raison de la craindre (seule la souffrance éventuelle serait à craindre) et en particulier de craindre ce qui viendrait après la vie (enfer) : La mort n’est qu’une idée (nocive) qui ne nous concerne jamais réellement, ni de notre vivant (la mort n’est pas là), ni lorsque nous serons morts (c’est nous qui ne seront plus là).

B. Le problème du désir au crible de la raison pratique

« Précisément parce que le plaisir est le bien primitif et conforme à notre nature, nous ne recherchons pas tout plaisir, et il y a des cas où nous passons par-dessus beaucoup de plaisirs, savoir lorsqu’ils doivent avoir pour suite des peines qui les surpassent ; et, d’autre part, il y a des douleurs que nous estimons valoir mieux que des plaisirs, savoir lorsque, après avoir longtemps supporté les douleurs, il doit résulter de là pour nous un plaisir qui les surpasse. Tout plaisir, pris en lui-même et dans sa nature propre, est donc un bien, et cependant tout plaisir n’est pas à rechercher ; pareillement, toute douleur est un mal, et pourtant toute douleur ne doit pas être évitée. En tout cas, chaque plaisir et chaque douleur doivent être appréciés par une comparaison des avantages et des inconvénients à attendre. Car le plaisir est toujours le bien, et la douleur le mal ; seulement il y a des cas où nous traitons le bien comme un mal, et le mal, à son tour, comme un bien. »     

ÉPICURE, Lettre à Ménécée (300 av. JC)

—> La recherche du plaisir déterminant les désirs (puisque le plaisir est la conséquence de la satisfaction des désirs), il faut donc gérer les plaisirs de manière rationnelle (comme on gère les désirs).

—> A cette fin, il faut effectuer une juste estimation et mesure des plaisirs et des peines, en tenant compte de leurs conséquences au-delà de la satisfaction immédiate.

—> C’est cette nécessaire mesure des plaisirs et des peines, effectuée par la raison (qui compare en fonction  des conséquences), qui détermine le bien et le mal et fonde donc rationnellement l’éthique épicurienne.

5. LA RAISON S’APPUIE SUR DES CROYANCES

« La science n’est pas une collection de lois, un catalogue de faits non reliés entre eux. Elle est une création de l’esprit humain au moyen d’idées et de concepts librement inventés. Les théories physiques essaient de former une image de la réalité et de la rattacher au vaste monde des impressions sensibles. Ainsi, nos constructions mentales se justifient seulement si, et de quelle façon, nos théories forment un tel lien. […]
À l’aide des théories physiques nous cherchons à trouver notre chemin à travers le labyrinthe des faits observés, d’ordonner et de comprendre le monde de nos impressions sensibles. Nous désirons que les faits observés suivent logiquement de notre concept de réalité. Sans la croyance qu’il est possible de saisir la réalité avec nos constructions théoriques, sans la croyance en l’harmonie interne de notre monde, il ne pourrait pas y avoir de science. Cette croyance est et restera toujours le motif fondamental de toute création scientifique. À travers tous nos efforts, dans chaque lutte dramatique entre les conceptions anciennes et les conceptions nouvelles, nous reconnaissons l’éternelle aspiration à comprendre, la croyance toujours ferme en l’harmonie de notre monde, continuellement raffermie par les obstacles qui s’opposent à notre compréhension. »

Albert EINSTEIN et Léopold INFELD, L’Évolution des idées en physique (1938)

Thèse :  A la base de toute démarche scientifique, il y a une croyance en «?l’harmonie du monde?», un ordre qui n’est pas donné par les sens mais que la raison peut reconstruire pour nous en donner une représentation.