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2.2  L’ART

Définition (a minima)  : L’ART est l’ACTIVITÉ HUMAINE (de l’«artiste»)  consistant à créer des OBJETS («œuvres d’art») appréciés par un PUBLIC.

Questions concernant :

  • l’ARTISTE : talent, génie, créativité, inspiration, habileté, imagination, sensibilité…
  • le  PUBLIC : goût, sensibilité, culture, interprétation…
  • l’ŒUVRE D’ART : qualités, perfection, beauté, originalité, sublime, valeur, sens…

1. L’art et ses métamorphoses (différentes conceptions de l’art)

Si l’on trouve des formes d’expression artistique dans toutes les civilisations et sociétés connues, elles y prennent des formes différentes et ne remplissent pas nécessairement les mêmes fonctions sociales ou psychologiques.

1.1. Quelques exemples de conceptions de l’art dans les sociétés occidentales

« Tout art est une imitation de la nature. »  SÉNÈQUE (philosophe latin, -4 – 65)
—> Conception gréco-latine de l’art comme mimésis (imitation) : le cosmos est harmonie, régularité ; en imitant la nature, l’art donne une forme objective à cette harmonie.

« L’œuvre d’art est un moyen à l’aide duquel l’homme extériorise ce qu’il est. » HEGEL (philosophe, 1770-1831))
—> Conception de l’art comme objectivation (matérialisation par un objet) d’une subjectivité (de quelque chose de la vie intérieure de l’artiste).

« L’art est à l’homme ce que la nature est à Dieu ». Victor HUGO (écrivain, 1802-1885)
—> Conception romantique de l’art comme activité créatrice, démiurgique : l’art comme manière de créer des mondes possibles, vraisemblables.

« Nous avons l’art pour ne point mourir de la vérité. » NIETZSCHE (philosophe, 1844-1900)
—> Conception morale (paradoxale) de l’art comme mensonge utile pour supporter les limites désespérantes (la finitude) de notre vie.

« L’art lave notre âme de la poussière du quotidien. »  PICASSO (peintre, 1881-1973))
—> Conception de l’art comme remède contre les habitudes, les préjugés qui engourdissent notre vie contre le formatage du quotidien. Il permet d’échapper à la tyrannie du présent (au «?c’est comme ça et ça ne peut être autrement?»)en proposant d’autres expériences possibles que celles du quotidien.

« L’art, c’est le plus court chemin de l’homme à l’homme. »  Malraux (écrivain, 1901-1976)
—> L’art comme mode de communication humaine le plus direct et le plus universel puisqu’il s’adresse directement aux sens.

1.2. Pourquoi l’art ?

Constat : l’art existe dans toutes les sociétés, c’est un phénomène humain universel.

Explication ? Deux hypothèses (éventuellement complémentaires) peuvent expliquer ce fait :

1/ HYPOTHÈSE 1 : L’art est nécessaire à la constitution d’une société et/ou favorise son bon fonctionnement.

a/ Fonction axiologique (prescriptrice de valeurs) de l’art :

L’art comme vecteur des valeurs d’une société (lien avec la religion qu’il avait peut-être à l’origine).

– Toute civilisation naissante engendre un art positif qui exalte les valeurs fondamentales qui assurent sa cohésion.

Ex :  valeurs morales athéniennes dans le statuaire ou l’architecture, chrétiennes dans l’art des cathédrales, aristocratiques dans les châteaux de la Renaissance, etc.

– L’art véhicule alors les valeurs morales en vigueur dans la société, est prescripteur de comportements socialement valorisés. Il permet de solidariser les formes de sensibilité d’une collectivité, renforçant ainsi sa cohésion.

Exemple :

              • modèle physique : corps des statues grecques, héros bodybuildé ou héroïne mannequin du cinéma…
              • modèle moral : saints de l’art chrétien, fables de La Fontaine, shérif des westerns, policier incorruptible, héros..

Au contraire, l’art comme critique sociale ou historique (contestation, remise en cause) des valeurs d’une société.

Lorsque le fonctionnement d’une société ne répond plus à l’attente d’une partie de sa population, l’art prend alors une fonction critique, éveille, dénonce, stimule la révolte.

Ex. : romans de Hugo ou de Zola dénonçant la misère sociale, de Balzac dénonçant l’immoralité bourgeoise, œuvres de Warhol critiquant la société de consommation…

Cas particulier :  la transgression, la provocation. L’artiste pousse le public à une réaction de dégoût, de colère, de violence en remettant en cause les limites de ce que la sensibilité humaine accepte.

b/ Fonction historique de l’art : en tant qu’objet concret (temple hindou, cathédrale gothique, pyramide ou sarcophage égyptiens, pyramide ou masque inca…), l’œuvre d’art perdure au-delà des vies individuelles (mais aussi des civilisations), témoignant pour les génrations (ou les civilisations suivantes) de formes de sensibilité disparues. Elle élargit la collectivité sociale en donnant à percevoir et penser la culture des générations passées. L’art définit le patrimoine culturel d’une société et de l’humanité tout entière.

c/ L’art comme sublimation des instincts (psychanalyse) : La création puise sa force dans l’investissement de la pulsion sexuelle (libido) dans des activités socialement valorisées (arts, sciences). L’énergie et le plaisir sont détournés de leur objet « naturel » et investis dans des objets « culturels ». (Les artistes disent parfois considérés leurs œuvres comme leurs « enfants ».)

2/ HYPOTHÈSE 2 : L’art répond à un besoin naturel, inné, présent en chaque être humain, que ce soit du côté de l’artiste ou du côté du public. Chaque société doit donc l’intégrer au sein de sa culture et de ses valeurs.

L’art est une réponse à un besoin fondamental (naturel) de chaque être humain.

Son « efficacité » s’appuie en effet sur la libido sentiendi (= désir de « ressentir ») dont la satisfaction est liée à un plaisir :

        • Soit des sens (couleurs, sons…) — ce qui fait qu’on peut parler d’arts culinaires (gastronomie). De nombreuses formes d’art nous offrent l’expérience de perceptions différentes de celles de la vie quotidienne.
        • Soit des sentiments ou émotions qu’on ne pourrait ressentir dans une vie quotidienne parfaitement réglée (empathie, peur, héroïsme…)

Mais au-delà, il satisfait aussi la « libido cognosciendi (= désir de connaître) entraînant une satisfaction intellectuelle — ce qui est évident dans les formes d’art explorant des «?mondes possibles » (fantastique, science-fiction).

        • Soit l’artiste nous propose de partager la vie des habitants d’autres galaxies, d’un monde de sorciers, ou d’une « Terre-du-Milieu » en créant des mondes avec d’autres lois physiques ou morales ce qui nous permettent de relativiser le sens de notre «réalité » quotidienne.
        • Soit l’artiste extrapole à partir de notre monde présent  des avenirs possibles, positifs (utopies) ou négatifs (dystopies), pour nous engager à une réflexion morale ou politique sur notre monde actueL

• Ce que Hegel résume : « “Rien de ce qui est humain ne m’est étranger” : telle est la devise qu’on peut appliquer à l’art. »

> Hegel : en permettant l’extériorisation de la subjectivité, l’art permet d’élargir la conscience de soi

« Cette conscience de lui-même, l’homme l’acquiert de deux manières : théoriquement, en prenant conscience de ce qu’il est intérieurement, de tous les mouvements de son âme, de toutes les nuances de ses sentiments, en cherchant à se représenter à lui-même, tel qu’il se découvre par la pensée, et à se reconnaître dans cette représentation qu’il offre à ses propres yeux. Mais l’homme est également engagé dans des rapports pratiques avec le monde extérieur, et de ces rapports naît également le besoin de transformer ce monde, comme lui-même, dans la mesure où il en fait partie, en lui imprimant son cachet personnel. Et il le fait pour encore se reconnaître lui-même dans la forme des choses, pour jouir de lui-même comme d’une réalité extérieure. On saisit déjà cette tendance dans les premières impulsions de l’enfant : il veut voir des choses dont il est lui-même l’auteur, et s’il lance des pierres dans l’eau, c’est pour voir ces cercles qui se forment et qui sont son œuvre dans laquelle il retrouve comme un reflet de lui-même. Ceci s’observe dans de multiples occasions et sous les formes les plus diverses, jusqu’à cette sorte de reproduction de soi-même qu’est une œuvre d’art. »    

HEGEL, Esthétique, 1835

Les hypothèses récentes des neurosciences : (J.-P. CHANGEUX, La Beauté dans le cerveau, 2016)

Du côté de l’artiste :

          • Le cerveau dispose d’un « générateur de diversité » (combinatoire en temps réel) qui lui permet d’explorer spontanément diverses versions possibles d’une représentation.
          • Le cerveau de l’artiste imagine donc à chaque étape de son travail un grand nombre de voies possibles pour la suite, des variantes parmi lesquelles il est capable de choisir intuitivement au mieux.
          • Ce processus exploratoire est sous le contrôle du « système de la récompense », donc lié à un plaisir : il sélectionne la possibilité la plus satisfaisante pour l’artiste.

  Du côté du public :

          • L’œuvre d’art provoque dans le cerveau un «?embrasement?» simultané de multiples aires en mobilisant leurs fonctions respectives (sensibilité, mémoire, signification…) et en établissant des connexions nouvelles entre elles et avec les circuits de la récompense (plaisir).
          • Cette mobilisation massive de différentes aires cérébrales multiplie les sources de plaisir possible et donc la puissance de l’émotion ressentie.

1.3. Origines, transformations, histoire (fonctions de l’art)

A.  Quelles sont les plus anciens témoignages connus d’une activité artistique ?

Méthode généalogique (Hobbes, Rousseau, Kant, Foucault): vise à comprendre comment est née et s’est développée une institution, une valeur, une activité humaine. Comprendre l’origine d’un phénomène (sa cause première), c’est en comprendre la nécessité (pourquoi il ne peut pas ne pas exister.

L’art pariétal, à partir de -30 000 (grotte Chauvet, Lascaux, Altamira). C’est bien un art selon les définitions données plus haut. C’est un art de représentation (imitation du réel tel qu’il est perçu). Objets le plus souvent représentés : scène de chasse, bestiaire, mains…

Hypothèses sur les fonctions de l’art pour les populations préhistoriques, selon les paléontologues :

1/ Constitution d’une « mémoire collective » ? Représentation de grands événements collectifs déterminant une Histoire du groupe, une culture.

2/ « Planches pédagogiques » ? Comment chasser l’aurochs…

3/ Art pour l’art ? Créations collectives durant l’hiversolidarisant le groupe autour d’un travail commun…

4/ Fonction religieuse ou chamanique ? C’est, selon les anthropologues, l’hypothèse la plus plausible.
En effet, la plupart des peintures pariétales ornent des parois situées dans des grottes profondes. Elles ne pouvaient être réalisées et vues qu’à la lumière de torches, ce qui suppose que leur accès était limité. D’où l’hypothèse de leur aspect sacré…

B.  Les conceptions grecques de l’art

Chez les Grecs (puis chez les Latins) le même mot (technè en grec, ars en latin) désigne tout savoir-faire (ensemble de règles) permettant de produire des objets conçu selon une idée (quel que soit leur usage).
(Artefact =  objet produit par le travail des êtres humains. Une œuvre d’art, un vase ou un ordinateur sont des artefacts.)

1/ L’art comme mimésis (imitation de la nature) : le cosmos est harmonie, régularité ; en imitant la nature, l’art donne capture quelque chose de cette harmonie.

Platon, critique de la mimésis :

Platon hiérarchise trois types d’être :

          • Les idées : le monde des idées contient l’« essence des choses », leur vérité. (Ex. : idée de ce qu’est «la» chaussure, dont toute chaussure réelle est une instanciation)
          • Les choses, qui sont fabriquées d’après ce monde des idées par les artisans et dont nous avons une connaissance sensible et pratique. (Ex. : la chaussure)
          • La représentation des choses produite par les poètes ou les peintres. (Ex. : la peinture d’une chaussure)

Conclusion : puisque la vérité de la chose (son intelligibilité) est donnée dans l’idée de cette chose, « l’art est éloigné de la vérité de deux degrés. » L’art qui imite ment. Il empêche de connaître l’essence des choses : il nous emprisonne dans les apparences. Etant l’ennemi du vrai, il est l’ennemi de la rationalité.

2/ Aristote et la catharsis (l’art comme soin de l’âme)

Pour Aristote, la catharsis est l’action de « nettoyer, purifier, purger » les émotions. C’est le rôle de la tragédie ou de la musique.

« Nous voyons ces mêmes personnes, quand elles ont eu recours aux mélodies qui transportent l’âme hors d’elle-même, remises d’aplomb comme si elles avaient pris un remède et une purgation. C’est à ce même traitement, dès lors, que doivent être nécessairement soumis à la fois ceux qui sont enclins à la pitié et ceux qui sont enclins à la terreur, et tous les autres qui, d’une façon générale, sont sous l’empire d’une émotion quelconque pour autant qu’il y a en chacun d’eux tendance à de telles émotions, et pour tous il se produit une certaine purgation et un allègement accompagné de plaisir. Or, c’est de la même façon aussi que les mélodies purgatrices procurent à l’homme une joie inoffensive. »

  ARISTOTE, La Politique

« La tragédie (…) est une imitation faite par des personnages en action et non par le moyen de la narration, et qui par l’entremise de la pitié et de la crainte, accomplit la purgation des émotions de ce genre. »  

ARISTOTE, Poétique

Pour que cette catharsis soit possible, il faut que les spectateurs ressentent les passions de personnages auxquels ils s’identifient. Il y a donc imitation (mimésis) des passions humaines d’abord par les acteurs (qui imitent des personnages), puis par les spectateurs (par identification aux personnages).

Cette identification aux personnages :

          • permet au spectateur de ressentir les conséquences pour le héros (« par l’entremise de la pitié et de la crainte?») de ses actions (bonnes ou mauvaises)?;
          • renforce la moralité du spectateur en le purgeant de ses «?passions coupables?».

Ex : peinture, cinéma, théâtre et littérature montrent le destin tragique de ceux qui ont cédé à des pulsions négatives. En vivant ces destins par procuration, les spectateurs ou lecteurs sont censés être « édifiés » (éduqués moralement) car libérés de sentiments inavouables.

C.  À partir du XVIe siècle, distinction entre art et technique —> autonomisation de l’art

Arts et techniques sont différenciés par leurs finalités (buts) différentes :

        • la technique a pour but (outils, ustensiles, machines). L’artisanat et l’industrie utilisent les moyens de la technique.
        • l’art a pour but (peinture, musique, architecture, sculpture, gravure)

D’où la distinction entre artiste et artisan :

l’artisan

1/ répète des formes existantes.
2/ les objets qu’il produit :

– visent à satisfaire un besoin,
– ont une utilité pratique,
– peuvent être reproduits en grandes quantités.

l’artiste

1/ invente des formes nouvelles.
2/ les objets qu’il produit :

– visent une satisfaction esthétique,
– n’ont pas d’utilité pratique,
– sont des objets uniques.

D’où l’invention de la notion de Beaux-Arts : arts orientés vers la recherche du Beau.

> HEGEL  : conception de l’art  :

« L’universalité du besoin d’art ne tient pas à autre chose qu’au fait que l’homme est un être pensant et doué de conscience. En tant que doué de conscience, l’homme […] se contemple, se représente lui-même. Il faut donc chercher le besoin général qui provoque une œuvre d’art dans la pensée de l’homme, puisque l’œuvre d’art est un moyen à l’aide duquel l’homme extériorise ce qu’il est. »   

HEGEL, Leçons sur l’Esthétique, 1835

Le rôle historique de l’art est ainsi défini : « Les peuples ont déposé leurs conceptions les plus hautes dans les productions de l’art, les ont exprimées et en ont pris conscience au moyen de l’art. »

L’œuvre d’art permet l’objectivation d’une idée : « Toute essence, toute vérité, pour ne pas rester abstraction pure, doit apparaître. »

L’apparence produite par l’art (et dénoncée par Platon) est une idéalisation du sensible. Le poids relatif de l’idée et du sensible où elle s’objective définit l’histoire de l’art :

          1. Art symbolique (d’origine orientale) : formes sensibles grandioses qui l’emportent sur l’idée.
          2. Art classique (d’origine grecque) : équilibre entre l’idée et le forme sensible.
          3. Art romantique : la forme est insuffisante pour l’intériorité qui veut s’y objectiver (« L’art romantique est un effort de l’art de se dépasser lui-même. »
          4. En résumé : « L’art symbolique est encore à la recherche de l’idéal, l’art classique l’a atteint et l’art romantique l’a dépassé. »

Conclusion : « Tout comme l’art trouve son avant dans la nature et dans les divers domaines de la vie, il a aussi son après, c’est-à-dire une sphère qui à son tour dépasse son mode d’appréhension et de présentation de l’absolu. »

> NIETZSCHE : conception l’art comme équilibre entre le « dionysiaque » et l’« apollinien »

L’être humain doit faire avec son fond pulsionnel, animal, violent, et son besoin d’ordre, de mise en forme. L’art est une activité dans laquelle ce conflit se résout. L’art grec, en particulier les tragédies de Sophocle, ont trouvé selon Nietzsche, l’équilibre dans l’expression de cette double détermination fondamentale de l’humanité (et de la nature tout entière).

          •  l’apollinien désigne ce qui est forme, ordre, équilibre, rationalité, sérénité, mesure et tempérance.
            En art, l’apollinien caractérise la mise en forme, les règles, l’équilibre…
          • le dionysiaque désigne ce qui est force, chaos, ivresse, démesure.
            En art, le dionysiaque caractérise l’émotion, l’expressivité, le délire…

2. Questions autour de l’art

2.1. KANT : le génie de l’artiste

« Le génie est le talent (le don naturel) qui permet de donner à l’art ses règles. Puisque le talent, en tant que faculté productive innée de l’artiste, ressortit lui-même à la nature, on pourrait formuler ainsi la définition : le génie est la disposition innée de l’esprit (ingenium) par le truchement de laquelle la nature donne à l’art ses règles. » 

KANT, Critique de la Faculté de Juger, 1790

Selon Kant, le génie doit donc présenter les 4 caractéristiques suivantes :

      1. originalité : comme le génie peut produire sans se donner de règle déterminée, il n’est pas une aptitude ni une technique que l’on peut apprendre ;
      2. exemplarité : l’absurde lui-même pouvant être original, il faut qu’en plus de l’originalité, l’œuvre de l’artiste puisse servir de modèle ;
      3. naturalité : les règles qu’il donne à son œuvre, l’artiste ne les connaît pas, il les tient de la nature, mais il ne peut pas les expliquer ou les communiquer à d’autres ;
      4. normativité : les règles que le génie donnent ne sont pas valables pour la connaissance, mais seulement pour les beaux-arts ( ans visée utilitaire).

2.2. ALAIN : Spécificité du travail de l’artiste 

« Il  reste à dire en quoi l’artiste diffère de l’artisan. Toutes les fois que l’idée précède et règle l’exécution, c’est industrie. Et encore est-il vrai que l’œuvre souvent, même dans l’industrie, redresse l’idée en ce sens que l’artisan trouve mieux qu’il n’avait pensé dès qu’il essaie ; en cela il est artiste, mais par éclairs. Toujours est-il que la représentation d’une idée dans une chose, je dis même d’une idée bien définie comme le dessin d’une maison, est une œuvre mécanique seulement, en ce sens qu’une machine bien réglée d’abord ferait l’œuvre à mille exemplaires. Pensons maintenant au travail du peintre de portrait ; il est clair qu’il ne peut avoir le projet de toutes les couleurs qu’il emploiera à l’œuvre qu’il commence ; l’idée lui vient à mesure qu’il fait ; il serait même rigoureux de dire que l’idée lui vient ensuite, comme au spectateur, et qu’il est spectateur aussi de son œuvre en train de naître. Et c’est là le propre de l’artiste. Il faut que le génie ait la grâce de la nature et s’étonne lui-même.
Un beau vers n’est pas d’abord en projet, et ensuite fait ; mais il se montre beau au poète ; et la belle statue se montre belle au sculpteur à mesure qu’il la fait ; et le portrait naît sous le pinceau. (…) Ainsi la règle du Beau n’apparaît que dans l’œuvre et y reste prise, en sorte qu’elle ne peut servir jamais, d’aucune manière, à faire une autre œuvre. »

ALAIN, Système des Beaux-Arts (1920)

Le texte d’Alain aborde le domaine de l’art, plus précisément celui des Beaux-Arts et de l’esthétique.
La question à laquelle cherche à répondre l’auteur concerne la spécificité du travail de l’artiste, comparé à celui de l’artisan, et ses conséquences sur ce qui caractérise une œuvre d’art.
Le travail de l’artiste se différencie de celui de l’artisan par la liberté que conserve l’artiste dans l’exécution de son œuvre, là où l’artisan se conforme à une idée qui règle précisément son travail. De sorte que chaque œuvre d’art suit ses règles propres et demeure donc singulière.
Dans un premier temps, Alain présente la spécificité du travail de l’artisan, à savoir son exécution mécanique, entièrement déterminée par un procédure préétablie. Il lui oppose l’exemple du peintre de portrait au travail : la richesse des possibilités de sa palette empêche qu’il puisse avoir une idée parfaitement définie qui déterminerait son travail. Cela peut être généralisé aux autres Beaux-Arts : l’artiste découvre l’œuvre à mesure qu’il la produit. Les règles d’exécution d’une œuvre d’art lui sont donc propres et déterminent sa singularité.

« En toute œuvre d’art, la pensée sort de l’œuvre, et jamais une œuvre ne sort d’une pensée. »

ALAIN, Système des Beaux-Arts (1920)

2.3. L’œuvre d’art : le problème du Beau

            > 2 hypothèses :

        1. Soit le beau est une qualité de l’objet créé donc la beauté est objective.
        2. Soit e beau est un sentiment dans l’esprit de l’artiste et du public donc la beauté est subjective.

1. Le beau est une qualité dans l’objet sensible

Cela explique que nous qualifions de beau aussi bien les œuvres artistiques que des paysages ou des personnes.

—> Platon : une chose est belle quand elle est parfaitement ce qu’elle doit être. (Ex : un couteau est beau s’il est l’exemple parfait de l’idée de couteau).

Donc la beauté est objective. Tout le monde doit pouvoir trouver beau les mêmes objets.

—> Plotin : une composition est belle quand elle s’ordonne selon des lois (symétrie, nombre d’or, etc.)

« La beauté est l’accord dans la proportion des parties entre elles  et avec le tout. »

PLOTIN (250-270), Les Ennéades

2. Le beau est un sentiment dans l’artiste puis dans le public grâce à la médiation de l’œuvre d’art

• Le beau n’est pas une caractéristique de l’objet, c’est un sentiment de liberté et de vitalité  provoqué par la perception de certains objets. (Ex : un morceau de musique qui rend joyeux est beau). Donc la beauté est subjective… et tous les goûts sont dans la Nature.

Du côté de l’artiste :

« Les beaux-arts montrent leur supériorité précisément en ceci qu’ils donnent une belle description de choses qui dans la nature seraient laides ou déplaisantes. Les furies, les maladies, les dévastations de la guerre, peuvent en tant que choses nuisibles, être décrites de très belle façon et peuvent même être représentées par des peintures. »

KANT, Critique de la Faculté de Juger (1790)

Du côté du public : « C’est le regardeur qui fait le tableau ». (Marcel DUCHAMP)

3 modalités de l’esthétique : le Beau, entre l’intelligible et le sensible

A travers la notion de beauté, l’art est ramené à la seule sphère du sensible. S’il échappe entièrement à la sphère de l’intelligible, doit-il alors être considéré comme une expression de l’irrationalité de l’être humain ?

1/ Esthétique classique (de la raison) : La raison est la source du jugement esthétique. L’art exprime des vérités que le langage ne peut expliciter, ce qui en fait toute la valeur.
Ex. : en peinture, les règles dont on use ont recours à la géométrie. Introduction de la perspective à la Renaissance.

2/ Esthétique du sentiment : Le beau est lié aux émotions suscitées par l’œuvre d’art. Mise en avant de la subjectivité, de l’originalité. Il ne peut plus y avoir de critère objectif de la beauté. Capable de ressentir des émotions originales, l’artiste trouve les moyens de les communiquer.
Ex. : Rimbaud, Mallarmé, rejetant les vers réguliers pour libérer l’expressivité de l’écriture.

3/ Esthétique de la communication : Il s’agit de parvenir à un dépassement des critères de goût subjectifs, liés à l’agrément personnel que nous donne une œuvre d’art, pour parvenir progressivement, par échanges avec autrui à un jugement partagé.

2.4. Le public : le problème du goût en art

2 conceptions du goût : Kant et Hume

> KANT : antinomie du goût

« En ce qui concerne l’agréable, chacun consent à ce que son jugement sur un sentiment particulier et par lequel il affirme qu’un objet lui plaît, soit restreint à une seule personne. Il admet donc quand il dit : le vin des caraïbes est agréable, qu’un autre corrige l’expression et lui rappelle qu’il doit dire : il m’est agréable; il en est ainsi non seulement pour le goût de la langue, du palais et du gosier, mais aussi pour ce qui plaît aux yeux et aux oreilles de chacun.
Il en va tout autrement du beau. Ce serait ridicule si quelqu’un se piquant de bon goût, pensait s’en justifier en disant : cet objet (édifice que nous voyons, le concert que nous entendons, le poème que l’on soumet a notre appréciation ) est beau pour moi. Car il ne doit pas appeler beau ce qui ne plaît qu’à lui. Beaucoup de choses peuvent avoir pour lui du charme et de l’agrément, il n’importe?; mais quand il dit d’une chose qu’elle est belle, il attribue aux autres la même satisfaction?; il ne juge pas seulement pour lui, mais au nom de tous et parle alors de la beauté comme d’une propriété des objets ; il dit donc que la chose est belle et ne compte pas pour son jugement de satisfaction sur l’adhésion des autres parce qu’il a constaté qu’à diverses reprises leur jugement était d’accord avec le sien, mais il exige cette adhésion. Il blâme s’ils en jugent autrement, il leur refuse d’avoir de goût et il demande pourtant qu’ils en aient ; et ainsi on peut pas dire que chacun ait son goût particulier. Cela reviendrait à dire le goût n’existe pas, c’est à dire le jugement esthétique qui pourrait à on droit prétendre à l’assentiment de tous n’existe pas. »

KANT, Critique de la faculté de juger

        • D’un côté, le jugement de goût ne se fonde pas sur des concepts (les règles communes de l’entendement telles qu’elles s’appliquent en science) ; car sinon, il serait possible d’en « disputer », c’est-à-dire de conclure à la beauté d’une œuvre d’art en s’appuyant sur des preuves.
        • De l’autre côté, le jugement de goût doit pouvoir se fonder sur des concepts sans quoi nous n’aurions pas cette certitude que nous avons de pouvoir partager notre jugement sur la beauté d’une œuvre d’art.
        • La solution de Kant : il y a bien des concepts à l’œuvre dans le jugement de goût mais ils sont particuliers : ce sont des « concepts indéterminés », les idées qui structurent naturellement la raison humaine. Un objet sensible (œuvre d’art, paysage, visage…) peut mobiliser ces concepts indéterminés présents par nature en tout être humain, réconciliant le sensible avec l’intelligible, indépendamment de tous les concepts acquis par l’expérience.

> HUME : la délicatesse du goût

Il y a un paradoxe à dépasser entre le relativisme stérile en matière de goût et l’existence de normes critiques qui seraient incontestables.

« Pour ne pas tirer notre philosophie d’une source trop profonde, nous aurons recours à une anecdote célèbre, qu’on peut lire dans Don Quichotte. “C’est avec une bonne raison, dit Sancho au sire-au-grand-nez, que je prétends avoir un jugement sur les vins :  c’est là une qualité héréditaire dans notre famille. Deux de mes parents furent une fois appelés à donner leur opinion au sujet d’un fût de vin, supposé excellent parce que vieux et de bonne vinée. L’un d’eux le goûte, le juge, et après mûre réflexion, énonce que le vin serait bon, n’était ce petit goût de cuir qu’il perçoit en lui. L’autre, après avoir pris les mêmes précautions, rend aussi un verdict favorable au vin, mais sous la réserve d’un goût de fer, qu’il pouvait aisément distinguer. Vous ne pouvez imaginer à quel point tous deux furent tournés en ridicule pour leur jugement. Mais qui rit à la fin ? En vidant le tonneau, on trouva en son fond une vieille clé, attachée à une courroie de cuir”. […] Bien qu’il soit assuré que la beauté et la laideur, plus encore que le doux et l’amer, ne peuvent pas être des qualités inhérentes aux objets, mais sont entièrement le fait du sentiment interne ou externe, on doit reconnaître qu’il y a certaines qualités dans les objets qui sont adaptées par nature à produire ces sentiments particuliers. […] Maintenant, comme ces qualités peuvent exister à un faible degré, ou bien peuvent être mélangées et confondues les unes avec les autres, il arrive souvent que le goût ne soit pas assez affecté par des traits aussi délicats, ou ne soit pas capable de distinguer toutes les saveurs particulières, dans le désordre où elles sont présentées. Là où les sens sont assez déliés pour que rien ne leur échappe, et en même temps, assez aiguisés pour percevoir tout ingrédient introduit dans la composition : c’est là ce que nous appellerons délicatesse de goût, que nous employions ces termes selon leur sens littéral ou selon leur sens métaphorique ».

      HUME, De la norme du goût

        • Métaphoriquement, déterminer les règles de la beauté, c’est identifier la clef liée à une courroie de cuir et c’est donc se fier aux jugements des experts ; pour une œuvre d’art, il nous est impossible de vider le tonneau pour vérifier un jugement de goût.
        • Hume dresse un parallèle entre goût physique (sens gustatif) et goût artistique : dans les deux cas, le jugement du « connaisseur » a davantage de valeur que celui d’une personne moins expérimentée. Le goût est donc  bien lié à une forme de connaissance, donc de culture.