2. LA CULTURE

Rappel : Le programme de Philosophie de Terminale s’articule autour de 5 grandes notions (ou « champs de problèmes » selon la terminologie de l’Éducation Nationale) : Le sujet – La culture – La raison et le réel – La politique – La morale.

Chacune de ces notions est abordée à l’aide de sous-notions. Pour la notion La Culture, on s’appuie sur 5 sous-notions :

1. Le langage – 2. L’art – 3. La technique et le travail – 4. La religion – 5. L’Histoire

Préalable 1 : Distinctions

  • l’Homme (en général) synonyme de « genre humain », (l’Homo sapiens des biologistes),
  • l’homme en tant qu’individu (singulier) qui fait partie du genre humain.
  • la Culture (en général) qu’on oppose à la Nature et qui est l’objet d’étude de l’anthropologie culturelle.
    Ex. : La Culture est le propre de l’Homme. La Culture est un prolongement de la Nature.
  • les cultures (particulières), ensemble de ce qui se transmet dans un groupe humain, objet d’étude de l’ethnologie, de la sociologie ou de l’histoire (pour les cultures du passé).
    Ex. : la culture occidentale, la culture des Aborigènes d’Australie, la culture de la Grèce antique…

NB : la convention des majuscules n’étant pas une règle, il faut soit la préciser quand on l’emploie. On peut aussi, par souci de clarté, utiliser « genre humain » plutôt que « Homme », « individu » plutôt que « homme ».

Préalable 2 : Rappel du schéma analytique classique de l’Anthropologie

Déterminismes de l’être humain

Sphère de la Nature

Sphère de la Culture

Sphère du vécu
(de l’histoire personnelle)

biologiques
(innées, partagées par tous les êtres humains)

sociologiques
(acquises, partagées par tous les membres d’un groupe humain)

psychologiques (acquises, propres à un être humain, liées à son histoire personnelle)

Caractère universel

Caractère particulier

Caractère singulier

« Ce qui est naturel relève de lois nécessaires et est universel. Ce qui est culturel relève de normes conventionnelles et est relatif. »

Claude LÉVI-STRAUSS, Les Structures élémentaires de la parenté (1951)

—> Attention : la distinction nature / culture est méthodologique. Elle est un moyen d’étudier les cultures comme objets, de les caractériser, de comprendre leurs différences et leur histoire. L’être humain concret est de manière complexe, simultanée, indissociable à la fois « nature / culture / histoire individuelle »

« Les pères craignent que l’amour naturel des enfants pour eux ne s’efface. Quelle est donc cette nature sujette à s’effacer ? Je crains que cette nature ne soit elle-même qu’une première coutume comme la coutume est une seconde nature. »

Blaise PASCAL, Pensées (1670)

—> Si le caractère naturel du corps humain avec ses besoins et ses quelques schémas comportementaux instinctifs (rire, colère…) est indiscutable puisqu’universel, les affects (comme l’« amour naturel ») semblent déjà être des constructions culturelles (des « coutumes »).

—> Chez l’Homme, la culture est « une seconde nature ». L’homme est par nature un être de culture : il est dans a nature humaine d’acquérir une culture.

1. Sens du mot « culture »

A. Un double-sens :

1/ Domaine de l’agriculture : « la culture du blé » Un champ cultivé.
Étymologie : colere en latin signifie cultiver un champ.

2/ Domaine des sciences humaines : « la culture grecque » : La culture est l’ensemble de ce qui, matériel ou immatériel, se transmet d’une génération à l’autre dans une communauté humaine donnée.

3/ Lien entre les sens 1/ et 2/ 

« Un champ, si fertile soit-il, ne peut être productif sans culture, et c’est la même chose pour l’âme sans enseignement. »

CICÉRON, 106 – 43 av. J.-C.

Dans les deux acceptions, la culture permet la mise en valeur d’un substrat (la nature) en le rendant fertile.
Pour les Latins, l’enfant naît tabula rasa, c’est-à-dire sans que rien ne soit déjà « écrit » en lui. Tout doit lui être appris.
Pour pouvoir vivre dans la société où il est né, il doit acquérir la culture nécessaire que sa famille puis l’école doivent lui transmettre.

Ex. 1 : Si l’on n’apprend pas à marcher à un bébé, il ne marchera jamais (il faut entraîner les muscles de posture du dos pour pouvoir maintenir la station debout). De même pour la parole, l’hygiène, etc.

Ex. 2 : L’hygiène est une norme relative à une culture donnée. Dans une culture donnée, l’enfant apprend à rester « propre », ou à manger « proprement ». Ce qui peut n’avoir simplement aucun sens dans une autre culture…

B. Définitions de la culture

> Définition simple :

La culture est l’ensemble de ce qui, matériel ou immatériel, se transmet d’une génération à l’autre dans une communauté humaine donnée.

Définition (officielle) par l’UNESCO : « La culture est l’ensemble des traits distinctifs, spirituels, matériels, intellectuels et affectifs, qui caractérisent une société ou un groupe social. Elle englobe, outre les arts, les lettres et les sciences, les modes de vie, les lois, les systèmes de valeurs, les traditions et les croyances. »

> Distinction importante

Pour un individu :

La culture d’une personne est l’ensemble des connaissances, savoir-faire, traditions, coutumes, valeurs, qu’il a acquis.

        • La culture personnelle peut intégrer des éléments des cultures propres à différents groupes auxquels l’individu appartient (famille, ethnie, religion, politique, artistique sportif, professionnel, etc.).
        • Dans une société complexe, chacun ne possède qu’une petite partie de la culture caractérisant cette société (Ex. : aucun individu ne maîtrise l’ensemble des sciences ou des langues de l’actuelle « culture occidentale »).

Pour un groupe social :

La culture est l’ensemble des signes caractéristiques (langage, connaissances, savoir-faire, attitudes, comportements, vêtements, etc.) qui appartiennent à ce groupe (profession, religion, classe sociale…) dont une partie les différencie des autres individus de la même société.

—> L’être humain se définit lui-même par son appartenance à une pluralité de groupes sociaux (famille, associations, entreprise, commune, région, nation, religion, etc.) avec lesquels il partage certaines caractéristiques culturelles (goûts, activités, idées, opinions, valeurs, convictions, statut social etc.) et où, de ce fait, il est a priori accepté.

Pour une civilisation ou une société :

La culture est l’ensemble des connaissances, savoir-faire, traditions, valeurs mais aussi les objets techniques et artistiques (patrimoine) accumulés au cours des siècles et caractérisant cette civilisation ou cette société. (NB : contrairement à la société, la civilisation est définie par sa seule culture ; dans ce cadre, « culture » et « civilisation » sont parfois utilisés comme synonymes.)

—> Aucun individu vivant dans le cadre d’une société ou d’une civilisation moderne ne possède la totalité de la culture de cette société. La culture définit ici l’ensemble de ce qui, dans une société donnée, est disponible à la transmission à une époque donnée.

3. La culture est-elle le propre de l’homme ? (problème de l’anthropocentrisme)

Les grands singes sont capables de transmettre de génération en génération des techniques particulières. (Ex. : « la pêche aux insectes » chez les chimpanzés à l’aide de brindilles, les macaques de l’île de Koshima (Japon) qui nettoient leurs patates douces dans l’eau de mer…).

Transmission d’un acquis : cela semble correspondre à la définition de la culture, mais…

« Car la parole est l’unique signe et la seule marque assurée de la pensée cachée et renfermée dans les corps ; or tous les hommes les plus stupides et les plus insensés, ceux mêmes qui sont privés des organes de la langue et de la parole, se servent de signes, au lieu que les bêtes ne font rien de semblable, ce que l’on peut prendre pour la véritable différence entre l’homme et la bête. »

DESCARTES, Lettre à Morus (1649)

Pourtant les dauphins communiquent oralement… Chacun possède une signature vocale propre, articulée en 3 parties (nom de la mère + nom du groupe + nom de l’individu) qui leur permet de se présenter et de se reconnaître à distance.

Les gorilles peuvent communiquer par le langage des signes, comme un homme sourd-muet (dont on admet en général qu’il a bien une culture). De lui-même il peut utiliser le langage des signes (que les hommes lui ont appris) pour demander, plaisanter, mentir…

Anthropocentrisme : Hérité des religions monothéistes (Dieu créé l’Homme à son image), l’anthropocentrisme est la doctrine qui pose que le statut singulier de l’Homme et fait de lui la seul maître de la Nature dont il a le libre usage. Limite : un gorille à qui l’on apprend le langage des sourds-muets ne le transmet pas à ses petits…

    • Ce faisant on introduit une coupure radicale entre l’Homme et la Nature ou du moins, dans la Nature, entre l’Homme et les autres animaux.
    • Or l’Homme se trouve objectivement être une partie de la Nature, un produit de l’ évolution comme les autres animaux, qui doit son statut particulier à certaines facultés propres.

4. « NATURE » vs. « CULTURE » (ou « INNÉ » vs. « ACQUIS »)

L’opposition méthodologique « Nature / Culture » est un moyen de classer les comportements humains.

A. L’Homme comme être « naturel »

Un caractère biologique est dit inné lorsqu’il est déterminé dès la naissance de l’individu. C’est une condition pour qu’il puisse être considéré comme «?naturel?».

—> Pour qu’un comportement humain puisse être considéré comme inné, il faut qu’on le retrouve soit chez tous les hommes (indépendamment de leur culture) ou chez des animaux chez qui ces comportements ne peuvent être culturels. (Ex. : actes réflexes, besoins organiques, instinct sexuel, agressivité…)

—> Les instincts déterminent des comportements rigides et rudimentaires, destinés à la satisfaction rapide d’un besoin (Ex. : hurlements d’un bébé affamé). Ils sont mal adaptés à la complexité de la vie sociale.

—> Les déterminismes instinctifs du comportement humain sont quasiment toujours modelés, mis en forme par la culture. Par exemple par les règles de politesse.

À mesure que se développe le système nerveux et les capacités intellectuelles de l’enfant, en particulier l’acquisition du langage, la part de comportements innés, instinctifs, décroît au profit des comportements acquis.

Les comportements instinctifs, trop rigides, ne sont plus nécessaires à la survie en société et sont même contre-productifs dans un environnement social (Ex. : l’agressivité).

> Y a-t-il des comportements instinctifs chez l’Homme ?

    • L’agressivité déclenche certains comportements innés qu’on retrouve chez tous les êtres humains (dès lors que des circonstances extrêmes font craquer le «?vernis de la culture?») comme chez les grands singes.
    • Le rire
    • La tendresse

B. L’être humain comme être culturel

– Le mythe de Prométhée (Platon) : Épiméthée (frère de Prométhée), chargé par Zeus de répartir au mieux parmi les créatures vivantes diverses qualités (taille, rapidité, pelage, carapaces, griffes dents…) a tout utilisé lorsqu’il arrive aux hommes qui n’ont de ce fait aucune chance de survivre. Prométhée va alors voler le feu et diverses autres techniques aux dieux pour les donner aux hommes…

– La nature humaine, les capacités innées de l’être humain, ne peuvent se développer que si l’individu acquiert une culture :

« On ne naît pas homme, on le devient. » (ÉRASME, 1466 – 1536)

– Chez les philosophes des Lumières, l’être humain est entièrement dépourvu d’instincts :

« Un animal est par son instinct même tout ce qu’il peut être ; une raison étrangère a pris d’avance pour lui tous les soins indispensables. Mais l’homme a besoin de sa propre raison. Il n’a pas d’instinct, et il faut qu’il se fasse à lui-même son plan de conduite. Mais, comme il n’en est pas immédiatement capable, et qu’il arrive dans le monde à l’état sauvage, il a besoin du secours des autres. L’espèce humaine est obligée de tirer peu à peu d’elle-même par ses propres efforts toutes les qualités naturelles qui appartiennent à l’humanité. Une génération fait l’éducation de l’autre. »

KANT, Traité de pédagogie (1803)

C. La Culture dans la continuité de la Nature

Tout se passe comme si l’être humain naissait prématurément. Il est fondamentalement inachevé, constitutivement déficient. Seule la culture lui permet d’accéder à la maturité :

« L’homme est perfectible. » (Rousseau, 1712-1778)

Cette notion de « perfectibilité de l’Homme » s’exprimerait aujourd’hui en terme de « plasticité neuronale » : l’être humain peut constamment élargir sa culture, se « perfectionner », acquérir de nouvelles compétences, de nouveaux talents.
Il n’est pas prisonnier d’une Nature et d’un destin (biologique ou social) mais dispose au contraire, par nature, de degrés de liberté qu’il ne tient qu’à lui d’actualiser grâce à l’usage de cette faculté propre à l’être humain qu’est la raison.

Repères : Distinction potentiel / actuel (ou en puissance / en acte)

    • Est en puissance, ce qui n’est pas encore réalisé mais pourrait l’être, ce qui n’est encore qu’une virtualité. (Ex. : un bébé (sain) est en puissance un être cultivé).
    • Est en acte ce qui est un fait, ce qui est réalisé, ce qui est actualisé. un adulte (bien éduqué) est en acte un être cultivé.

Du point de vue social, la culture instaure (à travers les conventions, les normes et les lois) un ordre qui met en forme l’ordre naturel en organisant la satisfaction des besoins naturels.

L’être humain peut alors être analysé à l’aide de deux concepts complémentaires (à la fois nature et culture) :

    • Le concept d’individu humain qui renvoie à un membre d’une espèce naturelle, biologiquement déterminé.
    • Le concept de personne qui renvoie à un être social, historiquement situé.
    • Le corps humain ne peut actualiser ses potentialités que par acquisition d’une culture :
      • Le cerveau : tabula rasa (en latin : « tablette vide ») à la naissance. C’est un contenant qui ne se développe qu’en fonction du contenu qu’il acquiert. Les limites de sa polyvalence adaptative sont inconnues.
        Les neurologues affirment qu’il existe des « pré-cablages » génétiquement déterminés qui déterminent le développement de certaines aptitudes.
      • La bouche : mâchoire étroite, peu puissante. Ce qui impose de préparer les aliments, de les cuisiner, selon des techniques et des règles culturelles.
        L’usage de la bouche peut être alors optimisé pour la parole.
      • La nudité : l’être humain naît sans aucune protection. Ce qui lui impose de fabriquer des vêtements et un habitat. Il doit alors développer et transmettre les techniques nécessaires.
      • La main : Particularité du pouce opposable aux quatre autres doigts?; permet de saisir et de manipuler facilement les objets. Production d’outil, développement d’une habileté facilitant l’enchaînement de mouvements complexes.
      • La sexualité : maturité tardive. Permet une longue période d’éducation, de transmission de la culture, de « sublimation » des pulsions dans des activités sociales valorisées.
      • La bipédie : temps d’apprentissage long. Nécessité d’un milieu social protecteur.

D. La Culture contre la Nature

> La Culture en rupture avec la sélection naturelle

La Culture peut sembler en rupture avec la Nature en s’opposant à ce qui est par ailleurs une loi universelle (la sélection naturelle) :

« Nous autres hommes civilisés, au contraire, faisons tout notre possible pour mettre un frein au processus de l’élimination des plus faibles ; nous construisons des asiles pour les idiots, les estropiés et les malades ; nous instituons des lois sur les pauvres… »

Ch. DARWIN, La Descendance de l’Homme (1871)

> La notion d’«?instinct social?» chez Darwin

L’«?instinct social?» serait un résultat adaptatif : les êtres humains les plus bienveillants à l’égard d’autrui, dotés d’un plus grand sens de la convivialité, étant plus adaptés à la vie en société se seraient reproduits plus largement que les autres. Le caractère d’empathie aurait donc diffusé progressivement dans l’humanité.

Ex. : prendre soin des enfants, des malades, des vieillards…

Il semble évident que les hommes violents, les plus associaux, se retrouvant en prison ou en marge de la société une partie de leur vie, ont moins de chance de se reproduire que les congénères plus doux, plus sociaux.

« Si importante qu’ait été, et soit encore, la lutte pour l’existence, cependant, en ce qui concerne la partie la plus élevée de la nature de l’homme, il y a d’autres facteurs plus importants. Car les qualités morales progressent, directement ou indirectement, beaucoup plus grâce aux effets de l’habitude, aux capacités de raisonnement, à l’instruction, à la religion, etc., que grâce à la Sélection Naturelle ; et ce bien que l’on puisse attribuer en toute assurance, à ce dernier facteur les instincts sociaux, qui ont fourni la base du développement du sens moral. »

Ch. DARWIN, La descendance de l’Homme (1871)

> Entre Nature et Culture : traits communs à toutes les cultures ?

Si des traits sont communs à toutes les cultures (des plus anciennes aux contemporaines) on peut supposer qu’ils sont nécessaires à l’existence même d’une culture (donc à la stabilité d’une communauté humaine).

1/ Un interdit universel : la prohibition de l’inceste : Dans toutes les sociétés connues, un homme ne peut pas épouser n’importe quelle femme. Celles qui lui sont proches parentes lui sont interdites (règle d’exogamie).
La prohibition de l’inceste contraint les familles à s’associer : elle favorise l’établissement d’une société.
La prohibition de l’inceste introduit une première règle dans un groupe humain : elle correspond donc au passage de l’état de nature à celui de culture.

2/ Une institution universelle : la religion (cours à venir) : mythes racontant la naissance du monde et des hommes, valeurs et normes sociales imposées par un ordre extérieur (divin), rites de mariage et d’enterrement des mort…

3/ Une activité universelle : l’art (cours à venir) : toutes les sociétés humaines possèdent une ou des formes d’art, ceci depuis au moins 20?000 ans.

5. UNIVERSALISME / RELATIVISME

A/ UNIVERSALISME

Définition : L’universalisme est la doctrine qui affirme la possibilité de discours (scientifique, oral…) à vocation universelle c’est-à-dire qui s’applique à tous et est acceptable par tous, indépendamment de la culture, de la «?race?», du sexe, de la religion, de la nationalité, de l’orientation sexuelle ou tout autre élément distinctif.

Ex. : Doits de l’Homme, égalité des sexes, idée que tous les hommes sont doués de raison, qu’ils ont tous les mêmes droits…

La notion d’universalisme a partie liée avec celle de nature humaine. S’il existe une nature humaine, alors certains traits culturels qui répondent au mieux aux besoins naturels devraient être partagés par toutes les cultures.

> Universalisme philosophique : idée qu’il existerait un système universel, une vérité qui régirait les relations entre les humains, façonné par la raison humaine.

    • Philosophie humaniste de la Renaissance : La quête du savoir est inscrite dans la nature humaine. L’individu, correctement instruit, devient libre et responsable de ses actes. Les notions de liberté ou libre arbitre, de tolérance, d’indépendance, d’ouverture et de curiosité sont indissociables de la théorie humaniste classique.
      Par extension, est dite « humaniste » toute doctrine qui met au premier plan le développement des qualités essentielles de l’être humain.
    • Philosophie universaliste des Lumières (XVIIIe siècle?: Kant, Rousseau, Hume, Montesquieu, Diderot, d’Alembert, Smith, Voltaire… ) : par l’ignorance, la superstition ou par l’intérêt de certains pouvoires, les êtres humains ont été maintenus dans l’obscurantisme, infantilisés. La philosophie des Lumières, appuyée sur la science, se fixe pour but de faire accéder l’humanité tout entière à l’âge adulte grâce à la mise en œuvre, dans tous les domaines, de son aptitude à la raison.

      «?Accéder aux Lumières consiste pour l’homme à sortir de la minorité où il se trouve par sa propre faute. Être mineur, c’est être incapable de se servir de son propre entendement. […] Aie le courage de te servir de ton propre entendement ! Telle est la devise des Lumières. »
      KANT, Qu’est-ce que les Lumières ?

> Les risques de la prétention d’une culture à l’universalisme

    • Universalisme (ou objectivisme) moral : idée qu’il existerait une éthique universelle, s’appliquant à « tous les individus dans la même situation » (indépendamment de l’histoire propre de son groupe ou de son histoire personnelle).
    • Universalisme religieux : idée qu’une religion se fait de son destin à être partagée par (éventuellement imposée à) l’ensemble de l’humanité (? universalisme philosophique qui appuie son universalisme sur l’aptitude à la rationalité commune à l’humanité).
    • Colonialisme : imposer sa culture (et sa présence) à une autre civilisation.
    • Impérialisme : imposer son système politique ou économique à une autre civilisation.

> Un biais cognitif : l’ethnocentrisme

    • Biais cognitif : mécanisme de la pensée biaisant le (causant une déviation du) jugement. L’étude des biais cognitifs fait l’objet de nombreux travaux en psychologie cognitive, en psychologie sociale et plus généralement dans les sciences cognitives. (Ex. : conformisme, soumission à l’autorité, préjugé culturel…)
    • Ethnocentrisme : biais cognitif par lequel les croyances et comportements sont analysés du point de vue de la culture de l’observateur.

Ex. : juger la norme morale d’une société par les normes d’une autre (en général la sienne propre) est une forme d’ethnocentrisme.

Pour l’ethnologie : comprendre et analyser les croyances et comportements implique de mettre entre parenthèses ses propres préjugés pour saisir la cohérence globale de cette culture (relativisme méthodologique).

2/ RELATIVISME

Définition : Le relativisme est la thèse selon laquelle le sens et la valeur des croyances et des comportements humains n’ont pas de références absolues (Nature, Dieu…).

Les croyances et comportements ne peuvent être compris et analysés que du point de vue de la culture où ils sont observés. Les spécificités d’une culture ne peuvent être comprises qu’à l’aulne du code moral de cette société.

L’idée des philosophes des Lumières d’une morale rationnelle, absolue, universellement partageable, serait un leurre : les valeurs morales et les lois seraient des conventions.

« L’homme est la mesure de toute chose. » PROTAGORAS (490-420 av. J.-C.)

« Chacun appelle barbarie ce qui n’est pas de son usage ; comme de vrai, il semble que nous n’avons autre mire de la vérité et de la raison que l’exemple et idée des opinions et usances du pays où nous sommes. Là est toujours la parfaite religion, la parfaite police, parfait et accompli usage de toutes choses. » MONTAIGNE (1533 – 1592)

« Vérité en-deçà des Pyrénées, mensonge au-delà. » PASCAL (1623 – 1662)

> Les risques du relativisme :

Impossibilité de valeurs morales partagées dans une humanité pourtant «?mondialisée?». Difficulté de concevoir une communauté humaine où la majorité des valeurs morales (ex. : Droits de l’Homme) ne seraient pas partagées.

Le scepticisme moral : à l’intérieur même d’une société, tout se vaut. Un État qui protège l’expression des religions peut-il condamner celui dont les valeurs prescrivent un comportement en conflit avec le droit ?
Ex. : excision, polygamie, esclavage…
Plus généralement, un État qui garantit les libertés individuelles peut-il condamner l’expression de ces libertés ?

> Droit naturel (universalisme) vs. droit positif (relativisme et conventionalisme) :

    • Droit naturel moderne : ensemble des droits que chaque individu possède du fait de son appartenance à l’humanité et non de par la société dans laquelle il vit. (Ex. : Droits de l’Homme) Ils sont valables dans toutes des sociétés, pour tous les êtres humains.
    • Droit positif : ensemble des règles de droit effectivement en vigueur dans un État ou un ensemble d’États.
      Les lois sont alors des conventions que se choisissent (ou s’imposent les membres d’une société. Elles font partie de la culture et comme elle sont susceptibles d’évoluer.

> La sensibilité humaine dépend-elle de la culture ?

« Un jour viendra où l’idée que, pour se nourrir, les hommes du passé élevaient et massacraient des êtres vivants et exposaient complaisamment leur chair en lambeaux dans des vitrines inspirera sans doute la même répulsion qu’aux voyageurs du XVIe ou du XVIIe siècle les repas cannibales des sauvages américains, océaniens ou africains. »

Cl. LÉVI-STRAUSS (1908 – 2009)

La sensibilité humaine diffère selon les lieux et les époques. De ce point de vue, on peut donc la tenir pour une conséquence de la culture. 4 hypothèses peuvent rendre compte de ce fait :

1/ Hypothèse 1 : l’être humain naît sans aucune sensibilité ni empathie a priori. C’est la culture qu’il reçoit qui détermine entièrement sa sensibilité. On peut donc inculquer à n’importe quel être humain aussi bien «?aimez-vous les uns les autres?» que « les mécréants prenez-les où qu’ils se trouvent et tuez-les?», ce qui aboutit à des formes de sensibilité nécessairement différentes. On ne naît pas «?sensible?», on le devient.

On aurait une empathie a priori uniquement pour ceux qui partagent notre culture et une antipathie a priori pour «?les autres?», «?les barbares?», «?les?mécréants?», «?les sauvages?»…

«Chacun appelle barbarie ce qui n’est pas de son usage.» (MONTAIGNE, 1533-1592)

2/Hypothèse 2 : L’être humain naît non seulement sans aucune sensibilité ni empathie a priori, mais au contraire il naît agressif, violent et le demeure toute sa vie, sa violence n’étant contenue que par les interdits intériorisés et la contrainte concrèrete de l’ordre social (la «?peur du gendarme?»).

«?L’homme est un loup pour l’homme.?» (PLAUTE, 254-184 av. J.-C., souvent attribué à Thomas HOBBES)

3/Hypothèse 3 : L’être humain naît avec une sensibilité et une empathie a priori, mais son éducation (déterminations sociologiques) et/ou son histoire personnelle (déterminations psychologiques) les transforment entièrement (plasticité neuronale). Tout le monde peut devenir assassin ou tortionnaire (éventuellement même y prendre du plaisir), l’intégrer comme faisant partie de son identité. C’est une question de circonstances.

«?L’homme naît bon, c’est la société qui le corrompt. (Jean-Jacques RoOUSEAU, 1712-1778)

4/ Hypothèse 4 : L’être humain naît avec une sensibilité et une empathie a priori telles que ni son éducation ni son histoire personnelle ne peuvent en venir à bout. L’homme contraint par l’ordre social, les événements ou le feu de l’action peut devenir assassin ou tortionnaire mais il le paie nécessairement (traumatisme, honte…) car cela va contre sa nature.

> Le système des neurones miroirs, un fondement objectif pour l’universalisme moral ?

Le système des «?neurones miroir?» : catégorie de neurones qui présentent une activité lorsque l’individu observe un autre individu exécuter une action. Il permet l’apprentissage par imitation.

Le système des «?neurones miroir?» jouerait un rôle important dans l’empathie, c’est-à-dire dans la capacité à percevoir, reconnaître et éventuellement ressentir les émotions d’autrui. (Celui qui rit vous met de bonne humeur, celui qui souffre vous vous met mal à l’aise…)

5. SOCIÉTÉS FROIDES (STATIONNAIRES) / SOCIÉTÉS CHAUDES (CUMULATIVES)

Lévi-Strauss oppose sociétés froides, à culture stationnaire, stabilisée, et sociétés chaudes, à culture en perpétuel changement.

A. Sociétés «froides» : ordre rituel, histoire stationnaire

Equilibre d’un groupe humain dans un milieu stable. Economie autarcique. Son ordre social, ses règles sont parfaitement adaptés à ce milieu qui, demeurant lui-même inchangé, ne contraint pas la population à modifier sa culture.
Les institutions peuvent alors être minimales. L’écriture est inutile, de même que l’État… Les décisions engageant la collectivité sont confiées à un chef ou à une assemblée d’«?anciens?». Toute prise de décision se fait dans le seul cadre des traditions.

B. Sociétés «chaudes» : ordre marchand, histoire cumulative

Dynamique d’échanges et complexification croissante de la culture et des intitutions. Economie d’échanges. La société a une histoire (puisque changements) marquée par des conflits internes ou externes, une évolution de la culture, des techniques, un progrès scientifique… L’évolution du droit et des institutions suit l’évolution des mœurs, elles-mêmes liées à l’évolution des techniques… L’État est nécessaire pour maintenir la stabilité de la société…