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Le sujet : textes

PLATON : Se connaître soi-même

SOCRATE : Comment pourrions-nous maintenant savoir le plus clairement possible ce qu’est « soi-même ». Il semble que lorsque nous le saurons, nous nous connaîtrons aussi nous-mêmes. Mais par les dieux, cette heureuse parole de l’inscription delphique que nous rappelions à l’instant, ne la comprenons-nous pas ? […] Si l’œil veut se voir lui-même, il doit regarder un œil et porter son regard sur cet endroit où se trouve l’excellence de l’œil. Et cet endroit de l’œil, n’est-ce pas la pupille ?
ALCIBIADE : C’est cela.
SOCRATE : Eh bien alors, mon cher Alcibiade, l’âme aussi, si elle veut se connaître elle-même, doit porter son regard sur une âme et avant tout sur cet endroit de l’âme où se trouve l’excellence de l’âme, le savoir, ou sur une autre chose à laquelle cet endroit de l’âme est semblable. […] Or, peut-on dire qu’il y a en l’âme quelque chose de plus divin que ce qui a trait à la pensée et à la réflexion?
ALCIBIADE : Nous ne le pouvons pas.
SOCRATE : C’est donc au divin que ressemble ce lieu de l’âme, et quand on porte le regard sur lui et que l’on connaît l’ensemble du divin, le dieu et la réflexion, on serait alors au plus près de se connaître soi-même.

PLATON, Alcibiade majeur (IVème siècle av. JC)

DESCARTES : le sujet conscience de soi (et «?point fixe?» de la connaissance)

« J’aurai droit de concevoir de hautes espérances si je suis assez heureux pour trouver seulement une chose qui soit certaine et indubitable. […] Je suppose donc que toutes les choses que je vois sont fausses ; je me persuade que rien n’a jamais été de tout ce que ma mémoire remplie de mensonges me représente ; je pense n’avoir aucun sens?; je crois que le corps, la figure, l’étendue, le mouvement et le lieu ne sont que des fictions de mon esprit. Qu’est-ce donc qui pourra être estimé véritable ? Peut-être rien autre chose, sinon qu’il n’y a rien au monde de certain.
[…] Mais je me suis persuadé qu’il n’y avait rien du tout dans le monde, qu’il n’y avait aucun ciel, aucune terre, aucuns esprits, ni aucuns corps?; ne me suis-je donc pas aussi persuadé que je n’étais point ? Non certes, j’étais sans doute, si je me suis persuadé, ou seulement si j’ai pensé quelque chose. Mais il y a un je ne sais quel trompeur très puissant et très rusé, qui emploie toute son industrie à me tromper toujours. Il n’y a donc point de doute que je suis, s’il me trompe; et qu’il me trompe tant qu’il voudra, il ne saurait jamais faire que je ne sois rien, tant que je penserai être quelque chose. De sorte qu’après y avoir bien pensé, et avoir soigneusement examiné toutes choses, enfin il faut conclure, et tenir pour constant que cette proposition : Je suis, j’existe, est nécessairement vraie, toutes les fois que je la prononce ou que je la conçois en mon esprit. […] Je suis, j’existe, cela est certain?; mais combien de temps?? Autant de temps que je pense ; car peut-être même qu’il se pourrait faire, si je cessais totalement de penser, que je cesserais en même temps tout à fait d’être. Je n’admets maintenant rien qui ne soit nécessairement vrai?; je ne suis donc, précisément parlant, qu’une chose qui pense, c’est-à-dire un esprit, un entendement ou une raison, qui sont des termes dont la signification m’était auparavant inconnue. »

DESCARTES, Méditations métaphysiques, Méditation seconde, 1641

LOCKE : le sujet comme «?personne?»

« …Pour trouver en quoi consiste l’identité personnelle, il faut considérer ce que représente la personne ; c’est, je pense, un être pensant et intelligent, doué de raison et de réflexion, et qui peut se considérer soi-même comme soi-même, une même chose pensante en différents temps et lieux, ce qu’il fait uniquement par cette conscience qui est inséparable de la pensée, et lui est essentielle à ce qu’il me semble, étant impossible à quelqu’un de percevoir sans percevoir aussi qu’il perçoit. Quand nous voyons, entendons, sentons, goûtons, touchons, éprouvons, méditons ou voulons quelque chose, nous savons que nous le faisons. Il en est toujours ainsi de nos sensations et de nos perceptions présentes : et c’est par cela que chacun est pour lui-même ce qu’il appelle soi, n’étant pas considéré ici si le même soi se continue dans la même ou dans plusieurs substances. Car puisque la conscience accompagne toujours la pensée et que c’est ce qui fait que chacun est ce qu’il appelle et se distingue ainsi de toutes les autres choses pensantes, c’est en cela seul que consiste l’identité personnelle, c’est-à-dire la mêmeté d’un être rationnel. Et aussi loin que cette conscience peut atteindre rétrospectivement n’importe quelle action ou pensée passée, aussi loin s’étend l’identité de cette personne ; c’est le même soi maintenant qu’alors, et c’est par le même soi que celui qui y réfléchit maintenant que cette action a été faite. »

John LOCKE, Essais sur l’entendement humain, Livre II, ch.23, §9, 1690/1694

KANT : le rôle du mot «?Je?» dans la construction du sujet

« Posséder le Je dans sa représentation : ce pouvoir élève l’homme infiniment au-dessus de tous les autres êtres vivants sur la terre. Par là, il est une personne ; et grâce à l’unité de la conscience dans tous les changements qui peuvent lui survenir, il est une seule et même personne, c’est-à-dire un être entièrement différent, par le rang et la dignité, de choses comme le sont les animaux sans raison, dont on peut disposer à sa guise ; et ceci, même lorsqu’il ne peut pas dire Je, car il l’a dans sa pensée […].

Il faut remarquer que l’enfant qui sait déjà parler assez correctement ne commence qu’assez tard (peut-être un an après) à dire Je ; avant, il parle de soi à la troisième personne (Charles veut manger, marcher, etc.) ; et il semble que pour lui une lumière vienne de se lever quand il commence à dire Je; à partir de ce jour, il ne revient jamais à l’autre manière de parler. Auparavant il ne faisait que se sentir; maintenant il se pense. »

KANT, Anthropologie d’un point de vue pragmatique, 1798