COURS TEXTES CITATIONS LITTÉRATURE CINÉMA ART ACTUALITÉS AUDIO 

5. MORALE, ÉTHIQUE, DÉONTOLOGIE

Parce que l’être humain dispose d’un certain degré de liberté (ses comportements ne sont pas entièrement prédéterminés contrairement à la plupart des animaux), il a la possibilité, dans une situation donnée, de choisir parmi toutes les actions possibles. Mais comment choisir la meilleure action possible ?? Telle est la question posée par l’éthique.

Préambule

La morale est le domaine de la philosophie qui vise à répondre à la question «?Que dois-je faire ??» du point de vue de la raison (raison pratique, permettant de déterminer en conscience ses propres actions, complémentaire de la raison théorique dont le but est de produire une représentation adéquate de la réalité, cf. Cours sur la Raison). Cette question ne se pose que parce que l’être humain dispose d’un certain degré de liberté dans ses actions et comportements qui ne sont pas entièrement prédéterminées par sa nature et sa culture. Il est capable par réflexion de critiquer ses propres déterminismes et  de se fixer des règles de conduite personnelles, de développer une autonomie morale, de devenir ce que Kant appelle un « être raisonnable ».
La question «?Que dois-je faire ??» peut alors être présentée sous deux formes nécessairement complémentaires :

    • Que dois-je faire dans une situation particulière??
      Évaluation («?quelle est la valeur ??») des conduites?: question du devoir (comment bien agir??)
      .
    • Que dois-je faire en général de ma vie ?
      Évaluation du genre de vie : question du bonheur (comment bien vivre ?)


.
I. DISTINCTION DE VOCABULAIRE

I.1 L’éthique

De ethos, qui en grec signifie aussi bien le « milieu de vie » que « habitude » ou « dispositions psychologiques ». L’éthique est la branche de la philosophie qui traite des jugements moraux, c’est-à-dire des jugements portant sur les comportements humains, les attitudes, les actions  (à l’échelle des individus) et sur les mœurs (à l’échelle des sociétés, des civilisations ou des cultures).
Ces jugements sont portés à l’aide de couples de valeurs morales : bien/mal, bon/mauvais, juste/injuste, qui permettent de comparer les actions possibles dans une situation donnée en vue de choisir la «meilleure».

(NB : Appliqué de manière stricte, ce fonctionnement dichotomique des valeurs morales – bien ou mal, pas d’intermédiaires – est problématique : le manichéisme définit péjorativement l’attitude morale consistant à simplifier les relations à autrui et au monde en les rapportant systématiquement à une opposition entre bien et mal.)

La réflexion éthique vise donc à permettre à un être humain raisonnable (utilisant sa raison, c’est-à-dire sa capacité de choisir sur des critères objectifs, acceptables par tout autre individu rationnel) de choisir la meilleure action possible dans une situation donnée.

Une éthique est donc un système de principes, de lois et de règles d’action construit rationnellement. Cette rationalité se concrétise d’une part par la cohérence de ce système. L’ensemble est donc non-contradictoire et de ce fait il doit pouvoir être (idéalement) accepté universellement (dès lors qu’on en admet les principes), par tout être raisonnable de toute époque, de toute culture, de tout âge, de tout sexe, etc.

Concrètement, une éthique doit  permettre :

      • de résoudre des dilemmes moraux : situations particulières dans lesquelles un choix doit être effectué sans qu’il y ait d’évidence qu’une solution soit en elle-même bonne, d’où l’apparition du doute, du scrupule moral conduisant à une impossibilité à agir (qui peut s’avérer plus catastrophique que le plus mauvais des choix). Ils se présentent en somme comme un équivalent dans le domaine moral (celui de l’action) de la « dissonance cognitive?» dans le domaine de la connaissance, considérée par les psychologues comme source d’état dépressif (l’impossibilité de choisir aboutit à une inhibition de l’action, et l’impossibilité d’agir à une dégradation de la représentation que nous avons de nous-même).
        Les dilemmes moraux résultent souvent d’un conflit entre des exigences ou des conceptions morales contradictoire : par exemple religieuses et légales.
        .
      • d’accéder à ce que les Grecs appelaient « la vie bonne » ou « le bien suprême », en évitant par exemple le « mal-être » lié aux sentiments négatifs, inhibiteurs de l’action : honte, remords, regrets… qui peuvent être cause de « douleurs morales?» : sentiment de culpabilité, d’avoir commis une « faute », entraînant une perte de l’estime de soi, une représentation dégradée de soi.

I.2 La morale

De mores, qui signifie en latin les mœurs. La morale est un ensemble de valeurs que se donne un groupe en termes de bien et de mal, ou de juste et d’injuste, indépendamment de toute considération rationnelle puisqu’elle peut être transmises par une traditions dont on ignore l’origine ou par la religion. Néanmoins, une morale peut aussi être déduite d’une réflexion éthique (morale kantienne.

Toute culture intègre nécessairement une morale qui détermine les actions permises, tolérées, valorisées ou au contraires dévalorisées ou interdites au sein d’une communauté humaine. L’existence d’un ensemble de normes et de valeurs imposées par l’éducation à tous les individus d’une collectivité est nécessaire à la conservation de cette collectivité. En effet, l’intériorisation de normes communes (ce qui est normal, acceptable), le partage de valeurs (ce qui est bien, ce qui est mal) permet d’éviter les tensions ou les conflits à l’intérieur d’un groupe humain.

La loi, le système juridique (le droit), peut (ou non) institutionnaliser ces normes et valeurs. Si les lois sont toujours  par définition « légales?», elles ne sont considérées comme «?légitimes?» que si elle sont en accord avec les nomes et valeurs morales de la société.

Ex. : la morale chrétienne s’appuie sur des principes fondamentaux qui sont donnés sous formes de commandements (très généraux) : « Aimez-vous les uns les autres », ou de règles plus précises : « Si on te frappe la joue gauche, tends la joue droite », etc. Certaines religions vont très loin dans les règles de comportements, ritualisant l’ensemble de la vie des individus, de la naissance à la mort, aux diverses heures de la journées (prières), aux différent périodes de l’année (fêtes, pèlerinages, cérémonies…)

La morale, contrairement à l’éthique, n’est donc pas une réflexion théorique (qui reste ouverte à des modifications) mais un système concret, transmis dans une culture donnée, intériorisé, déterminant des préjugés, permettant d’automatiser les choix de ceux qui la partagent selon des critères qu’on ne remet pas en cause. Ces critères sont justifiés de manière pragmatique (la société fonctionne bien comme ça), historique (on a toujours fonctionné comme ça) ou transcendantaux (imposés par une puissance supérieure, un dieu).

I.3 La déontologie

De déon, en grec « ce qui convient », le devoir, l’obligation. La déontologie est une forme de morale appliquée à un cadre limité, en général professionnel. Elle détermine des obligations envers les patients, clients, confrères, collègues…

Les professions dont les membres disposent d’un pouvoir important sur autrui se régulent elles-mêmes, au-delà des lois communes, à l’aide d’un « code déontologique » (professions de soin, journalistes, avocats, etc.) qui prévoit des sanctions pour les contrevenants pouvant aller jusqu’à l’interdiction d’exercer mais qui n’a pas de valeur juridique (au regard de la loi commune).
.

II. ÉTHIQUE ET RATIONALITÉ :
LA RAISON PRATIQUE, LE JUGEMENT MORAL,
(NORMES, VALEURS, PRINCIPES, LOIS, RÈGLES)

II.1 Rappel (cf. cours « la raison »)

La raison définit la faculté de l’esprit humain à produire des énoncés permettant d’optimiser :

      • La raison théorique a une fonction descriptive. À l’œuvre dans les sciences, elle agit pour produire des représentations (rationnelles des divers domaines d’objets de l’expérience humaine) ou ordonner nos représentations du monde, sur la base des critères vrai/faux (valeurs épistémiques, propres à déterminer des connaissances correspondant à la réalité et donc acceptables pour tout être humain rationnel, par oppositions aux préjugés, croyances ou opinions, délires…).
      • La raison pratique a une fonction prescriptive. Elle agit pour déterminer des devoirs, fonder nos actions, comportements et interactions avec autrui, sur la base des critères bien/mal ou juste/injuste (valeurs éthiques, propres à déterminer des actions acceptables par tout être humain rationnel, par opposition aux pulsions, besoins, caprices, conditionnements sociaux…).
      • La raison technique a une fonction productive. Elle agit en vue de déterminer les actions utiles, de les faciliter afin de maîtriser notre milieu, à l’aide des ressources extérieures, objets naturels ou artificiels (créés par l’homme). Elle permet de justifier des jugements sur la base d’un critère d’utilité ou d’efficacité. En particulier via des moyens techniques (outils, machines) sur la base d’une valeur d’utilité et d’efficacité. C’est la fonction de la raison technique (qui définit un usage de la raison théorique au service de la raison pratique).

II. 2 La raison pratique

    • La raison pratique est prescriptive : elle permet de définir ce qui doit être, de choisir la meilleure action possible, de rechercher le bien. On peut alors considérer qu’il existe deux eux sources complémentaires à nos actions sur le réel : d’une part les motivations (besoins, désirs, envies…) qui orientent spontanément l’action de l’individu vers un but donné ; de l’autre la raison (pratique) qui détermine par la réflexion le meilleur moyen de parvenir à une fin ou la priorité d’une fin par rapport à d’autres.
      La raison pratique vise à produire des principes, lois ou règles morales à valeur universelle (lois valant dans toutes les situations du même type : la raison pratique permet donc une économie de pensée.
      Recherche d’objectivité (lois valant pour tout être disposant de la raison) alliant univocité (pas d’ambiguïté) et cohérence (pas de contradiction).
      .
    • La raison théorique est quant à elle descriptive : elle permet de connaître ce qui est, c’est-à-dire d’en produire une représentation adéquate dans le langage, de rechercher le « vrai ».
      .
    • La raison théorique au service de la  raison pratique : connaître le réel (raison théorique) pour agir sur le réel (raison pratique). «?Et j’avais toujours un extrême désir d’apprendre à distinguer le vrai d’avec le faux, pour voir clair en mes actions, et marcher avec assurance en cette vie.?» (Descartes, Discours de la méthode, 1637)

La raison produit donc des jugements sur la base de valeurs : jugements épistémiques (vrai/faux), jugements éthiques (bien/mal), jugements juridiques (juste/injuste), etc.

Comme dans tout discours qui fait l’effort de la rationalité, il faut partir d’évidences que chacun ne peut qu’admettre et sur cette base construire des raisonnements ou au moins des argumentations convaincantes, c’est-à-dire qui ne peuvent qu’être acceptés par un interlocuteur : si vous admettez cette règle, ce principe ou respectez cette loi, vous devez accepter le jugement (du moins si vous êtes un être raisonnable).

Ex : Le cas du jugement médical : comme tout jugement, il s’agit de rapporter un cas particulier à un cas général (principe du syllogisme), ce qui permet de justifier un énoncé portant sur un cas singulier (ici celui de tel patient singulier dans telle situation singulière) à l’aide d’une règle, d’une loi ou d’un principe.
Problème propre à la relation de soin : si votre patient est dans un état de faiblesse tel que ses facultés intellectuelles s’en trouvent diminuées, il est difficile de faire appel à son consentement éclairé pour lui faire accepter d’agir de manière rationnelle.
Il y a donc une spécificité de la relation de soin du point de vue de la raison : la relation soignant / soigné est dissymétrique. L’étymologie du mot « patient » indique précisément que le patient est censé être « passif », le soignant étant lui supposé, par opposition être actif. Le présupposé est donc que le patient doit par définition se soumettre à l’autorité médicale du soignant (liée à sa compétence).
Idéalement, le soigné reconnait la dissymétrie liée à son statut de patient et se soumet à l’autorité du soignant. Mais concrètement, en particulier dans notre culture individualiste, cela ne va pas de soi.

II.2 Normes et valeurs morales

1/?Les valeurs morales  (bien/mal ou bon/mauvais) : les valeurs morales permettent d’apprécier nos actions, de  les classer (selon une échelle de valeurs)

      • le bien (ou le bon) est la valeur (morale) attribuée à ce que nous devons rechercher.
      • le mal (ou le mauvais) est la valeur (morale) attribuée à ce que nous devons éviter.

2/?Les normes morales : elles définissent les limites tolérables pour les comportements selon le point de vue d’une collectivité (ce qui est considéré comme « normal?» dans une communauté humaine).

      • Dans une collectivité, la norme morale détermine les comportements «?normaux?», c’est-à-dire les comportements les plus répandus (objectivement) et les mieux admis (subjectivement). Elle fixe ce qui est attendu d’un individu.
        Les normes morales peuvent être implicites (normes diffuses) : sans donner lieu à pénalisation, elles peuvent néanmoins susciter une désapprobation publique ou une stigmatisation de ceux qui les enfreignent (qui vont être qualifiés de déviants : ils dévient de la norme). Elles définissent une «?sensibilité collective?», la «?mentalité?» d’une population.
        Elles peuvent aussi se trouver explicites, précisées dans les lois et leur infraction conduit alors à une sanction officielle. Les lois viennent donc souvent sanctionner après-coup des normes morales pré-existantes, qui ont évolué (malgré les lois en vigueur).
        Ex. : la libéralisation des mœurs sexuelles (permise par le développement de moyens contraceptifs) a d’abord été stigmatisée par la majorité de la collectivité puisqu’elle contrevenait aux normes encore en vigueur (inertie de la culture qui persiste alors que les conditions sociales ont changé). Progressivement admise, elle est devenue pour les générations suivantes une nouvelle norme, dont certains aspects ont été légalisés, inscrits dans le Droit positif (avortement, relations sexuelles hors mariage, etc.).
        .
      • Chez un individu, la norme morale détermine des obligations, ce qu’il attend de lui-même, grâce à quoi il peut lui-même juger de ses actions. Enfreindre ses propres normes morales conduit à perdre l’estime de soi, à ressentir de la honte ou des regrets, ce qu’il considère lui-même comme «?anormal?» de sa part.
        .
      • Que ce soit au niveau de l’individu ou à celui de la collectivité, les normes assurent une cohérence de comportement et donc participent à l’identité de l’individu ou de la collectivité.

II.3 Principes, lois et règles morales

      1. Principe moral (de princeps = premier en latin) : un principe moral est un fondement exprimé dans le langage, une loi première que l’on considère comme évidente ou nécessaire et à partir de laquelle on va pouvoir déduire d’autres lois en fonction des besoins ou des situations considérées. Toutes les lois et règles morales devront être conformes à ces principes.
        Ex. : principe d’utilité (Bentham) : «? Toute loi morale a pour but de maximiser le bonheur du plus grand nombre d’individus.?»
        .
      2. Loi morale : Une loi morale commande l’action de manière inconditionnée.
        Elle se présente souvent sous la forme d’un commandement : «?Tu ne tueras point?», «?Il ne faut pas mentir »…
        Une loi morale se présente sans justification : elle est destinée à être appliquée sans avoir besoin de rechercher à quelles normes ou principes elle se réfère. Mais du point de vue de la raison, elle doit pouvoir se justifier à partir d’un principe moral, doit être en accord avec lui.
        .
      3. Règle morale : Une règle morale prescrit la manière d’agir dans des circonstances données, précise comment agir concrètement.  Elle constitue une application concrète d’une loi morale.
        Ex. : Les règles de la politesse, de la bienséance…