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LA VÉRITÉ : TEXTES

La difficulté concernant la vérité ne réside pas dans les choses elles-mêmes mais en nous

« La découverte de la vérité est tout à la fois difficile en un sens ; et, en un autre sens, elle est facile. Ce qui prouve cette double assertion, c’est que personne ne peut atteindre complètement le vrai et que personne non plus n’y échoue complètement, mais que chacun apporte quelque chose à l’explication de la nature. Individuellement, ou l’on n’y contribue en rien, ou l’on n’y contribue que pour peu de chose ; mais de tous les efforts réunis, il ne laisse pas que de sortir un résultat considérable. Si donc il nous est permis de dire ici, comme dans le proverbe : « Quel archer serait assez maladroit pour ne pas mettre sa flèche dans une porte ? » à ce point de vue, la recherche de la vérité n’offre point de difficulté sérieuse ; mais, d’autre part, ce qui atteste combien cette recherche est difficile, c’est l’impossibilité absolue où nous sommes, tout en connaissant un peu l’ensemble des choses, d’en connaître également bien le détail. Peut-être aussi, la difficulté se présentant sous deux faces, il se peut fort bien que la cause de notre embarras ne soit pas dans les choses elles-mêmes, mais qu’elle soit en nous. De même que les oiseaux de nuit n’ont pas les yeux faits pour supporter l’éclat du jour, de même l’intelligence de notre âme éprouve un pareil éblouissement devant les phénomènes qui sont par leur nature les plus splendides entre tous. »

ARISTOTE, Métaphysique, IVe siècle av. J.-C.

Certitude : croyance et/ou vérité ?

« Ce que je soutiens aujourd’hui et ce que je crois, je le soutiens et le crois de toute ma croyance ; toutes mes facultés et toutes mes forces empoignent cette opinion et m’en répondent sur tout leur pouvoir. Je ne saurais embrasser aucune vérité ni la conserver avec plus de force que je ne fais pour celle-ci. J’y suis totalement engagé, j’y suis vraiment engagé ; mais ne m’est-il pas arrivé, non pas une fois, mais cent, mais mille, et tous les jours, d’avoir embrassé quelque autre opinion avec ces mêmes instruments, dans ces mêmes conditions, opinion que, depuis, j’ai jugée fausse ? »

MONTAIGNE, Les Essais, 1580

Vérité en morale / vérité en science 

« L’ignorance des causes et de la constitution originaire du droit, de l’équité, de la loi et de la justice conduit les gens à faire de la coutume et de l’exemple la règle de leurs actions, de telle sorte qu’ils pensent qu’une chose est injuste quand elle est punie par la coutume, et qu’une chose est juste quand ils peuvent montrer par l’exemple qu’elle n’est pas punissable et qu’on l’approuve. […] Ils sont pareils aux petits enfants qui n’ont d’autre règle des bonnes et des mauvaises manières que la correction infligée par leurs parents et par leurs maîtres, à ceci près que les enfants se tiennent constamment à leur règle, ce que ne font pas les adultes parce que, devenus forts et obstinés, ils en appellent de la coutume à la raison, et de la raison à la coutume, comme cela les sert, s’éloignant de la coutume quand leur intérêt le requiert et combattant la raison aussi souvent qu’elle va contre eux. C’est pourquoi la doctrine du juste et de l’injuste est débattue en permanence, à la fois par la plume et par l’épée. Ce qui n’est pas le cas de la doctrine des lignes et des figures parce que la vérité en ce domaine n’intéresse pas les gens, attendu qu’elle ne s’oppose ni à leur ambition, ni à leur profit, ni à leur lubricité. En effet, en ce qui concerne la doctrine selon laquelle les trois angles d’un triangle sont égaux à deux angles d’un carré, si elle avait été contraire au droit de dominer de quelqu’un, ou à l’intérêt de ceux qui dominent, je ne doute pas qu’elle eût été, sinon débattue, en tout cas éliminée en brûlant tous les livres de géométrie, si cela eût été possible à celui qui y aurait eu intérêt. »

Thomas HOBBES, Leviathan, 1652

L’évolution de la notion de vérité

« La première signification de Vrai et de Faux semble avoir son origine dans les récits ; et l’on a dit vrai un récit, quand le fait raconté était réellement arrivé ; faux, quand le fait raconté n’était arrivé nulle part. Plus tard, les philosophes ont employé le mot pour désigner l’accord d’une idée avec son objet ; ainsi, l’on appelle idée vraie celle qui montre une chose comme elle est en elle-même ; fausse, celle qui montre une chose autrement qu’elle n’est en réalité. Les idées ne sont pas autre chose en effet que des récits ou des histoires de la nature dans l’esprit. Et de là on en est venu à désigner de la même façon, par métaphore, des choses inertes ; ainsi, quand nous disons de l’or vrai ou de l’or faux, comme si l’or qui nous est présenté racontait quelque chose sur lui-même, ce qui est ou n’est pas en lui.  »

SPINOZA, Pensées métaphysiques, 1663

Les « idoles », ennemies de la vérité

« De quatre genres sont les idoles qui assiègent l’esprit humain. Pour plus de clarté, nous leur avons donné des noms distincts : nous appellerons celles du premier genre les idoles de la race, celles du second les idoles de la caverne, celles du troisième les idoles de la place publique, et celles du quatrième genre les idoles du théâtre.[…] 

Les idoles de la race ont leur fondement dans la nature humaine elle-même, dans la race, dans la souche des hommes. C’est à tort en effet qu’on affirme que les sens humains sont la mesure des choses ; bien au contraire, toutes les perceptions, des sens comme de l’esprit, ont proportion à l’homme, non à l’univers. Et l’entendement humain ressemble à un miroir déformant qui, exposé aux rayons des choses, mêle sa propre nature à la nature des choses, qu’il fausse et brouille. L’entendement humain, en vertu de son caractère propre, est porté à supposer dans les choses plus d’ordre et d’égalité qu’il n’en découvre ; et, bien qu’il y ait dans la nature beaucoup de choses sans concert et sans pareil, cependant l’entendement surajoute des parallèles, des correspondances, des relations qui n’existent pas.[…]

Les idoles de la caverne sont celles de l’homme considéré individuellement. En effet (outre les aberrations de la nature humaine, prise comme genre), chacun a une sorte de caverne, d’antre individuel qui brise et corrompt la lumière de la nature, par suite de différentes causes : la nature propre et singulière de chacun ; l’éducation et le commerce avec autrui ; la lecture des livres et l’autorité de ceux qu’on honore et admire ; ou encore les différences des impressions, selon qu’elles rencontrent une disposition prévenue et déjà affectée, ou au contraire égale et paisible, et ainsi de suite. Aussi l’esprit humain, selon sa disposition en chaque homme, est manifestement une chose variable, tout à fait troublée et presque hasardeuse. D’où cette juste observation d’Héraclite que les hommes cherchent les sciences dans leurs petits mondes et non dans le grand, qui leur est commun. […]

Il y a aussi les idoles qui naissent, pour ainsi dire, du rapprochement, et de l’association des hommes entre eux ; et, à cause de ce commerce et de cet échange, nous les nommons les idoles de la place publique. Car les hommes s’associent par les discours ; mais les mots qu’ils imposent se règlent sur l’appréhension du commun. De là, ces dénominations pernicieuses et impropres, qui assiègent l’entendement humain de manière si surprenante. Et les définitions, les explications, dont les doctes usent à l’occasion pour s’en prémunir et s’en dégager, ne rétablissent nullement la situation. Mais il est manifeste que les mots font violence à l’entendement, qu’ils troublent tout et qu’ils conduisent les hommes à des controverses et à des fictions innombrables et vaines. […]

Les idoles que les mots imposent à l’entendement sont de deux sortes : ou ce sont des noms de choses qui n’existent pas (de même en effet qu’il existe des choses qui, faute d’observation, sont privées de noms, de même il existe aussi des noms qui, nés d’une supposition imaginée, sont privés de choses) ; ou ce sont des noms de choses qui existent, mais des noms confus, mal déterminés, abstraits des choses à la légère ou irrégulièrement. […]

Il y a enfin des idoles qui, propagées par les systèmes des philosophies et aussi par les règles défectueuses des démonstrations, sont venues s’implanter dans l’esprit des hommes. Nous les appelons les idoles du théâtre. Car autant de philosophies reçues ou inventées, autant, à nos yeux, de fables mises en scène et jouées, qui ont créé des mondes fictifs et théâtraux. […] Les fables de cette sorte de théâtre ont ceci de commun avec ce qui est en usage dans le théâtre des poètes, que les récits imaginés pour la scène sont plus harmonieux, plus raffinés et plus conformes à ce qu’on voudrait qu’ils soient, que les récits véridiques tirés de l’histoire.»

Francis BACON, Novum Organum, 1620

« Descartes a très bien signalé que la proposition : «je pense, donc je suis», est une des vérités premières. Mais il eût été convenable de ne pas négliger  les autres vérités de même ordre. En général, on peut dire que toutes les vérités sont ou bien des vérités de fait, ou bien des vérités de raison. La première des vérités de raison est le principe de contradiction ou, ce qui revient au même, le principe d’identité, ainsi qu’Aristote l’a remarqué justement. Il y a autant de vérités de fait premières, qu’il y a de perceptions immédiates ou, si l’on peut ainsi dire, de consciences. Car je n’ai pas seulement conscience de mon moi pensant, mais aussi de mes pensées, et il n’est pas plus vrai ni plus certain que je pense, qu’il n’est vrai et certain que je pense telle ou telle chose. Aussi est-on en droit de rapporter toutes les vérités de fait premières à ces deux-ci : «Je pense», et «des choses diverses sont pensées par moi». D’où il suit non pas seulement que je suis, mais encore que je suis affecté de différentes manières. ‚

LEIBNIZ, Animadversiones (Remarques sur la partie générale des principes de Descartes),

La vérité (connaissance), produit de la complémentarité entre le donné sensible et la pensée conceptuelle

« Notre nature est ainsi faite que l’intuition ne peut jamais être que sensible, c’est-à-dire ne contient que la manière dont nous sommes affectés par des objets, tandis que le pouvoir de penser l’objet de l’intuition sensible est l’entendement. Aucune de ces deux propriétés n’est préférable à l’autre. Sans la sensibilité, nul objet ne nous serait donné; et sans l’entendement, nul ne serait pensé. Des pensées sans contenu sont vides; des intuitions sans concepts sont aveugles. Il est donc aussi nécessaire de rendre sensibles ses concepts (c’est-à-dire d’y ajouter l’objet dans l’intuition) que de rendre intelligibles ses intuitions (c’est-à-dire de les soumettre à des concepts). Ces deux pouvoirs ou capacités ne peuvent pas échanger leurs fonctions. L’entendement ne peut rien intuitionner, ni les sens rien penser. De leur union seule peut sortir la connaissance. »

KANT,  Critique de la raison pure, 1781

Conception sceptique de la vérité

« Les hommes fuient moins le mensonge que le préjudice provoqué par un mensonge. Fondamentalement, ils ne haïssent pas l’illusion mais les conséquences fâcheuses et néfastes de certains types d’illusions. C’est seulement dans ce sens ainsi restreint que l’homme veut la vérité. Il désire les suites favorables de la vérité, celles qui conservent l’existence ; mais il est indifférent à l’égard de la connaissance pure et sans conséquence, et il est même hostile aux vérités qui peuvent être préjudiciables ou destructrices. »

NIETZSCHE, Vérité et mensonge au sens extra-moral, 1873

« Chaque société a son régime de vérité, sa « politique générale » de la vérité : c’est-à-dire les types de discours qu’elle accueille et fait fonctionner comme vrais ; les mécanismes et les instances qui permettent de distinguer les énoncés vrais ou faux, la manière dont on sanctionne les uns et les autres ; les techniques et les procédures qui sont valorisées pour l’obtention de la vérité ; le statut de ceux qui ont la charge de dire ce qui fonctionne comme vrai. »

Michel FOUCAULT, Dits et écrits II, 1976-1988,

« Dans les sociétés comme les nôtres, l’« économie politique » de la vérité est caractérisée par cinq traits historiquement importants : la « vérité » est centrée sur la forme du discours scientifique et sur les institutions qui le produisent ; elle est soumise à une constante incitation économique et politique (besoin de vérité tant pour la production économique que pour le pouvoir politique) ; elle est l’objet, sous des formes diverses, d’une immense diffusion et consommation (elle circule dans des appareils d’éducation ou d’informations dont l’étendue est relativement large dans le corps social, malgré certaines limitations strictes) ; elle est produite et transmise sous le contrôle non pas exclusif mais dominant de quelques grands appareils politiques ou économiques (Université, armée, écriture, médias) ; enfin, elle est l’enjeu de tout un débat politique et de tout un affrontement social (luttes « idéologiques ») »

Michel FOUCAULT, Dits et écrits II, 1976-1988

« Le problème des rapports entre le sujet et les jeux de vérité, je l’avais envisagé jusque-là à partir soit de pratiques coercitives – comme dans le cas de la psychiatrie et du système pénitentiaire – soit dans des formes de jeux théoriques ou scientifiques – comme l’analyse des richesses, du langage et de l’être vivant. Or, dans mes cours au Collège de France, j’ai essayé de le saisir à travers ce que l’on peut appeler une pratique de soi, qui est, je crois, un phénomène assez important dans nos sociétés depuis l’époque gréco-romaine – même s’il n’a pas été très étudié. Ces pratiques de soi ont eu dans les civilisations grecque et romaine une importance et surtout une autonomie beaucoup plus grande que par la suite, lorsqu’elles ont été investies, jusqu’à un certain point, par des institutions religieuses, pédagogiques ou de type médical et psychiatrique. »

Michel FOUCAULT, Dits et écrits II, 1976-1988

« En gros, si vous voulez, un régime de vérité, c’est ce qui détermine les obligations des individus quant aux procédures de manifestation du vrai […]. Régime de vérité. On parle de régime politique […] pour désigner en somme l’ensemble des procédés et des institutions par lesquels les individus se trouvent engagés, d’une manière plus ou moins pressante […]. On peut parler [également] de régime pénal, par exemple, pour désigner l’ensemble, là aussi, des procédés et institutions par lesquels les individus sont engagés, déterminés, contraints à se soumettre à des lois de portée générale. Alors, dans ces conditions, pourquoi en effet ne pas parler de régime de vérité pour désigner l’ensemble des procédés et des institutions par lesquels les individus sont engagés et contraints à poser, dans certaines conditions et avec certains effets, des actes bien définis de vérité ? […] Le problème ce serait d’étudier les régimes de vérité, c’est-à-dire les types de relation qui lient les manifestations de vérité avec leurs procédures et les sujets qui en sont les opérateurs, les témoins ou éventuellement les objets. »

Michel FOUCAULT, Du gouvernement des vivants, 1979-1980.