Le devoir : exercice

Dans les deux onglets ci-dessous vous trouverez une présentation et une mise en application concrète des principes éthiques d’Aristote (morale de la vertu) et de Kant (morale du devoir) : à quelles obligations nous soumettent-elles en situation de pandémie ?

Exercice : Sur le modèle de ces deux exemples (Aristote, Kant), et en vous aidant des éléments de cours (3ème onglet) concernant la morale de Rousseau, présentez une application de celle-ci au même cas d’une pandémie. À quelles obligations nous soumet la morale du sentiment de Rousseau dans une situation d’épidémie ?

Les éthiques de la vertu (comme celle d’Aristote), se fondent sur les motivations de l’agent (celui qui agit). L’action « bonne » est déterminée par les qualités morales de ce dernier : pour Aristote la « vertu » (arête), la plus haute de ses vertus, qui détermine les autres, étant la « prudence » (phronésis), terme traduit parfois par « sagacité » ou encore par « sagesse pratique ».

La vertu (arèté) est ce qui permet à l’être humain d’atteindre l’excellence, la perfection, l’actualisation de ses potentiels — et donc le bonheur. Elle s’acquiert par éducation pour devenir une habitude. C’est d’abord en se contraignant (ou en étant contraint) à accomplir des actes vertueux que l’on devient vertueux (« C’est en forgeant qu’on devient forgeron »). Acquise, la vertu devient ensuite une disposition durable caractérisant le sage. La plus haute vertu, celle qui conditionne l’acquisition de toutes les autres, est la «prudence» (phronésis), terme traduit aussi parfois par « sagacité », ou encore par « sagesse pratique ». Héritée de Platon, la notion de prudence se transforme progressivement chez Aristote, de sa première éthique (Ethique à Eudème) à sa dernière (Ethique à Nicomaque) où elle est définie ainsi : « La prudence est une disposition accompagnée de règle vraie, capable d’agir dans la sphère de ce qui est bon ou mauvais pour l’homme ». Par « disposition » il faut comprendre une aptitude (dans le cas présent acquise), une capacité (puisqu’elle rend « capable d ‘agir?») dont on dispose et que l’on peut (ou non) mobilisier dans les situations moralement problématiques. « Accompagnée de règles vraies » implique que cette disposition se met en œuvre à l’aide de règles d’action qui attribuent de manière vraie des effets à des causes — ce qui est la condition d’une action efficace, c’est-à-dire d’une action dont les résultats correspondent aux fins fixées par le « phronimos » (« l’homme prudent?»). Enfin, cette prudence a pour but d’agir adéquatement dans la sphère morale, celle où l’on porte des jugements à l’ai des valeurs « bon ou mauvais?».

Quel serait alors pour Aristote la bonne manière d’agir dans la situation d’une pandémie mettant en jeu la vie de concitoyens ?
Pour Aristote d’une part la vertu est ce qui permet d’accéder à la « vie bonne », au bonheur (le « bien suprême ») qui est le but naturellement recherché par l’homme ; d’autre part la vie sociale est la condition de possibilité de la réalisation des potentiels d’un individu (« l’homme est un animal politique ») donc de son bonheur puisque le bonheur passe par l’actualisation de ses potentiels — ce qui n’est pas le cas de la famille, de la tribu ou du village. Et de ce point de vue, la cité, lieu où la vertu peut advenir en chacun, est « la communauté achevée ». Il est donc impossible pour un être humain d’être heureux contre le bonheur de ceux avec lesquels il partage une « philia », c’est-à-dire une communauté de valeurs et de fins contribuant au bonheur commun (à noter que pour Aristote la cité tout entière doit constituer une philia sous peine de désagrégation). De sorte que la vertu nous obligerait à tenir compte non seulement de notre santé (qui est un « bien naturel », nécessaire au bonheur) mais aussi de celle des autres sous peine de ruiner la philia citoyenne. Et donc, en tant qu’« animal politique », dévoué à la cité qui rend possible son bonheur, l’individu citoyen respecterait les règles communes, — à savoir, dans la situation de pandémie, celles que recommande le gouvernement de la cité. Mais si par par principe nul passe-droit ne serait admis,  la justice (condition objective de la la paix intérieure à la cité) est tout de même soumise au principe de l’équité : « À chacun selon ce qui convient » – ce qui laisse la porte ouverte à des droits spécifiques mais ouverts seulement à ceux qui travaillent au bien commun (on peut évidemment penser aux professions médicales).

Pour Kant, tout dans la nature agit d’après des lois. Mais l’homme, grâce à cette faculté spécifique qu’est la raison ajoute aux lois de la nature qui déterminent de ses actions des «représentations de lois » – des devoirs qu’il se donne lui-même, des obligations qu’il produit grâce à sa capacité de réfléchir et de raisonner. Il peut ainsi déterminer lui-même, consciemment, ses actions. C’est ce que désigne la notion de volonté, et c’est ce qui rend l’être raisonnable « autonome » (producteur de ses propres règles de comportement. Or seule cette volonté libre peut être absolument bonne, puisqu’au-delà, dès lors qu’elle s’objective dans des actions concrètes, rien de peut plus en garantir les conséquences. Ainsi, un médecin sauve la vie d’un jeune homme : en soi la volonté qui préside à cette action est bonne – mais ce jeune homme deviendra un tyran sanguinaire… Juger moralement ne peut donc consister à juger l’individu ou son action, mais seulement sa volonté, et donc le devoir qu’il s’est lui-même donné : « ?Une action accomplie par devoir tire sa valeur morale non pas du but qui doit être atteint par elle, mais de la maxime (règle) d’après laquelle elle est décidée.?» (Fondements de la métaphysique des mœurs, 1796)

Quel serait pour alors pour Kant la bonne manière, non pas d’agir, mais de décider de ses actions dans la situation d’une pandémie mettant en jeu la vie de concitoyens ?

Pour juger, la raison doit s’appuyer sur des principes sans quoi elle se perdra dans la recherche des raisons de ses raisons, puis des raisons des raisons de ses raisons, etc. Un principe de la raison doit être exprimable sous la forme d’un énoncé rationnel, nécessaire, universellement acceptable (puisque tout être humain est potentiellement raisonnable), indépendamment de la culture et du vécu des individus. Ce principe, Kant l’appelle « impératif catégorique ». Il constitue une sorte de «?moule?» formel pour toutes les règles dont nous pourrions avoir besoin, dans toutes les situations possibles. L’une de ses formulations (Kant en donne trois et montre qu’elles sont équivalentes) est la suivante : «?Agis uniquement d’après la maxime qui fait que tu puisses vouloir en même temps qu’elle devienne une loi universelle.?» (Fondements de la métaphysique des mœurs)  (NB :  «?Une maxime est le principe subjectif de l’action que le sujet se donne lui-même comme règle.?») Or cette formulation détermine entre autre la nécessité de l’équité et de la réciprocité. On ne peut vouloir agir soi-même comme on ne voudrait pas que les autres agissent, on ne peut vouloir agir à l’égard des autres comme on ne voudrait que les autres agissent à notre égard. Et l’on voit que l’on peut déduire facilement de ce principe le fondement de l’« équilibre des libertés?» (ma liberté s’arrête où commence celle des autres). Les êtres humains sont alors nécessairement égaux en droits mais aussi en devoirs. Nous ne pouvons vouloir agir (dès lors que nous utilisons notre raison) que selon des règles universalisables.

De sorte que l’être humain, en tant qu’il est raisonnable,  doit déterminer des règles d’action que tout le monde pourrait appliquer sans qu’elles aboutissent à des contradictions (et donc concrètement à des conflits). Dans la situation de pandémie, je ne puis sortir de chez moi que pour une durée compatible avec celle que tout autre peut lui-même déterminer selon le même principe, sans s’accorder plus que ce que chacun pourra s’accorder. Il ne s’agit pas d’un calcul d’intérêt qui s’exprimerait sous la forme « plus je reste dehors longtemps, plus je risque d’être infecté par le coronavirus et plus je risque, si je suis porteur sain, de le transmettre?». Il s’agit d’un principe déterminant nécessairement une adéquation des actions de tous ceux qui font usage de leur raison (ce que Kant appelle de ses vœux sous la désignation de « règne des fins?»). Si je suis «?joggeur », je me retiendrai d’aller courir, même si le risque est nul pour moi, parce que c’est une envie que, certes je pourrais satisfaire (par exemple en cachette, la nuit), alors que d’autres ont eux aussi des envies qu’ils ne peuvent satisfaire. Le principe de mon action, mon envie — qui pourrait être satisfaite du fait de sa particularité, ne peut donc être universalisée dans les circonstances actuelles. Donc j’y renonce, évitant ainsi une injustice, une inéquité objective. L’impératif catégorique se présente toujours comme une exigence de solidarité.

Pour Rousseau, le devoir moral naît d’un sentiment inné (empathie, bienveillance, pitié…) qui «?est à l’âme ce que l’instinct est au corps?» (Rousseau).

1/ Un instinct moral existe chez les êtres humains comme en témoignent les sentiments universels de la honte ou du remords. L’être humain dispose d’une conscience morale innée qui précède tout jugement rationnel.

«?La conscience (morale) ne nous trompe jamais ; elle est le vrai guide de l’homme : elle est à l’âme ce que l’instinct est au corps ; qui la suit obéit à la nature et ne craint point de s’égarer.?»
«?Il est au fond de nos âmes un principe inné de justice et de vertu sur lequel, malgré nos propres maximes, nous jugeons nos actions et celles d’autrui comme bonnes ou mauvaises ; et c’est à ce principe que je donne le nom de conscience.?»  

ROUSSEAU, Emile ou de l’éducation, 1762

2/ Deux sentiments innés déterminent la morale :

    • l’amour de soi, sentiment égoïste dévolu à la conservation de l’individu (instinct de survie),
    • la pitié (= empathie), sentiment altruiste dévolu à la conservation de l’espèce.

Ces 2 sentiments («?amour de soi?» et «?pitié?») ont la particularité d’être la «?voix de l’âme?». Ils précèdent la raison qu’ils déterminent : la raison est au service de ces sentiments.

«?La moralité de nos actions… consiste dans le jugement que nous en portons nous même.?»

Les autres sentiments, les «?passions?» (puisque le sujet est passif par rapport à elle, ne les décide pas consciemment), sont la voix du corps et peuvent se trouver en contradiction avec la raison. Ces sentiments «?jugent?» les actions de la même manière que le plaisir et la douleur «?jugent??» les sensations. Nous recherchons le bien et fuyons le mal de la même manière que nous recherchons le plaisir et fuyons la douleur.

«?Quoi que toutes nos idées nous viennent du dehors, les sentiments qui les apprécient sont au-dedans de nous, et c’est par eux seuls que nous connaissons la convenance ou la disconvenance qui existe entre nous et les choses que nous devons rechercher ou fuir.?»

ROUSSEAU, Emile ou de l’éducation, 1762

Le bien est une «?convenance?» qui met en accord l’individu avec ses actions. La «?disconvenance?» est sanctionnée par la honte, le remords ou l’angoisse.

3/ La notion de sentiment inné d’empathie a trouvé un fondement biologique dans les travaux de neurologie (1990) portant sur le «?système des neurones miroirs?» (parfois décrits comme «?neurones empathiques?»)
De même que la vue d’une personne qui bâille nous fait bâiller, ce d’une personne joyeuse nous rend joyeux, et celle d’une personne souffrante nous fait souffrir : il est donc «?naturel?» de secourir une personne souffrante pour ne plus ressentir soi-même une souffrance.

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