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L’ART

L’art est une activité humaine universelle. On trouve des formes d’expression artistique dans toutes les civilisations et sociétés humaines connues. Néanmoins, elles y prennent des formes très différentes et n’y remplissent pas nécessairement les mêmes fonctions. Par ailleurs, on constate une même variété dans les pratiques et goûts artistiques d’un individu à l’autre à l’intérieur d’une même communauté humaine. On peut donc se demander d’une part s’il est possible de donner une définition exhaustive de l’art, et d’autre part ce qui motive les êtres humains à créer des objets sans utilité pratique et ce que leur apportent ces objets.

 

I. DÉFINITION DE L’ART

L’art est  l’activité humaine (de l’artiste) consistant à créer  des objets (œuvres d’art) appréciés (plaisir esthétique) par un public.

Cette définition met en relation l’ensemble des termes nécessaires pour comprendre les problèmes que pose l’art, et permet donc, au-delà des questions portant sur l’art en général, de déterminer trois sources de problèmes concernant l’art  :

    • autour de l’artiste : talent, génie, créativité, inspiration, habileté, imagination, sensibilité…
    • autour de  l’œuvre d’art : qualités, perfection, beauté, originalité, sublime, valeur, sens…
    • autour du public : goût, sensibilité, culture, interprétation…
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II. EXPLIQUER L’UNIVERSALITÉ DE L’ART 

Puisque l’art existe dans toutes les sociétés, puisque c’est un phénomène humain universel, il doit exister des origines communes à la diversité de ses manifestations.

1/ Hypothèse 1 : Fonction civilisatrice et sociale de l’art qui contribue à la constitution d’une société et/ou favorise sa conservation.

L’art participe à la prescription des valeurs communes et des formes partagées de sensibilité qui solidarisent une société et assurent donc sa conservation — souvent en lien avec la religion comme on peut le constater dans la plupart des cultures.
Ex : valeurs morales athéniennes dans le statuaire ou l’architecture, chrétiennes dans l’art des cathédrales, aristocratiques dans les châteaux de la Renaissance, progressistes dans l’art du XIXe siècle, etc.

D’autre part l’art permet à chaque civilisation de concrétiser les étapes de son histoire, de poser des jalons pour l’avenir. Ce rôle civilisationnel (et donc historique) de l’art est ainsi défini par Hegel : « Les peuples ont déposé leurs conceptions les plus hautes dans les productions de l’art, les ont exprimées et en ont pris conscience au moyen de l’art ».

2/ Hypothèse 2 : L’art répond à un besoin naturel, inné, présent en chaque être humain, que ce soit du côté de l’artiste ou du côté du public. Chaque société doit donc l’intégrer au sein de sa culture et de ses valeurs pour permettre à ses membres d’accéder à la satisfaction de ce besoin.

L’«efficacité» de l’art trouverait sa source dans ce que les Latins nommaient libido sentiendi (= désir de «sensation »), qui fait des sensations elles-mêmes une source innée de plaisir et définit notre rapport positif au monde. La nature est source de tels plaisirs mais ces sources sont instables (paysages modifiés par les saisons, corps vieillissant…). Au contraire, les œuvres d’art, en tant qu’objets durables, constituent des sources pérennes de plaisir, que ce soit de sensations (couleurs, sons…), ou de sentiments et d’émotions (empathie, peur, enthousiasme, mélancolie…)
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III. PROBLÈMES CLASSIQUES AUTOUR DE L’ART

A. Problèmes autour de l’artiste

1/ Spécificité du travail de l’artiste

Arts et techniques sont différenciés par leurs finalités (buts) différentes. La technique a pour but l’utile :  les objets qu’elle produit et reproduit à l’identique en multiples exemplaires, sont destinés à être utilisés, consommés. Classiquement (ceci n’est plus vrai depuis l’industrialisation), l’art avait pour but le beau (ou du moins l’agréable) : il produisait des objets à exemplaire unique, destinés à durer puisque leur appréciation par le public ne les use pas.
D’où la distinction entre le travail de l’artiste et celui d’artisan. L’artisan répète des formes existantes (modèles, plan, recettes…). Les objets qu’il produit visent à satisfaire un besoin, ont une utilité pratique, peuvent être reproduits en grandes quantités. L’artiste invente des formes nouvelles, les objets qu’il produit visent une satisfaction esthétique, n’ont pas d’utilité pratique, sont destinés à demeurer à l’état de prototypes.

« En art, ce qui est fait n’est plus à faire. » (Antonin ARTAUD, poète, metteur en scène, 1898-1946)

« Le premier qui compara la femme à une rose était un poète, le second un imbécile. »  (Gérard de NERVAL)

2/ Motivations de l’artiste

Pour Hegel, la conscience réflexive de l’être humain nécessite qu’il acquiert une représentation de lui-même afin de se prendre lui-même comme objet de pensée. L’œuvre d’art est un moyen d’extérioriser ce que l’on est intérieurement, de rendre objective (de concrétiser dans un objet un objet) notre subjectivité. Pour l’artiste, l’œuvre d’art est un prolongement de lui-même (la créativité est souvent comparée à une gestation, suivie d’un accouchement).

« L’œuvre d’art est un moyen à l’aide duquel l’homme extériorise ce qu’il est. » (HEGEL, Esthétique, 1832)

3/ L’artiste : le génie selon Kant

« Le génie est le talent (le don naturel) qui permet de donner à l’art ses règles. Puisque le talent, en tant que faculté productive innée de l’artiste, ressortit lui-même à la nature, on pourrait formuler ainsi la définition : le génie est la disposition innée de l’esprit (ingenium) par le truchement de laquelle la nature donne à l’art ses règles. »  (Kant, Critique de la Faculté de Juger, 1790)

Selon Kant, le génie doit donc présenter les quatre caractéristiques suivantes :

      1.  originalité : puisque le génie peut produire en dehors de règles déterminées, ses œuvres peuvent échapper aux codes culturels de son époque, ce qui détermine leur originalité ;
      2.  exemplarité : l’absurde lui-même pouvant être original, il faut qu’en plus de l’originalité, l’œuvre de l’artiste puisse servir de modèle ;
      3.  naturalité : les règles qu’il donne à son œuvre, l’artiste ne les connaît pas, il les tient de la (sa) nature, et ne peut pas les expliquer ou les conceptualiser pour les communiquer ;
      4. normativité : les règles que le génie donne ne sont pas valables pour la connaissance (elles ne sont pas conceptualisables). Kant en déduit qu’on ne devrait pas parler de génie en sciences…

« Et c’est là le propre de l’artiste. Il faut que le génie ait la grâce de la nature et s’étonne lui-même. » (ALAIN, Système des Beaux-Arts, 1920)

4/ L’art comme « sublimation » des pulsions (psychanalyse)

L’art comme sublimation des instincts (psychanalyse) : La création puise sa force dans l’investissement des pulsions dans des activités socialement valorisées (arts, sciences). L’énergie et le plaisir sont détournés de leur objet « naturel » et investis dans la production d’objets « culturels ».

« Animé d’impulsions et de tendances extrêmement fortes, l’artiste voudrait conquérir honneurs, puissance, richesses, gloire et amour des femmes. Mais les moyens lui manquent de se procurer ces satisfactions. C’est pourquoi, comme tout homme insatisfait, il se détourne de la réalité et concentre tout son intérêt, et aussi sa libido, sur les désirs créés par sa vie imaginative. » (FREUD, Introduction à la Psychanalyse, 1917)


B. Problèmes autour de l’œuvre

1/ L’œuvre d’art comme objet esthétique

Chez les Grecs (puis chez les Latins) le même mot (technè en grec, ars en latin) désigne tout savoir-faire (ensemble de règles de production) permettant de fabriquer des objets conçus selon une idée (quel que soit leur usage). Ces objets sont dits artificiels par opposition aux objets naturels.
Le mot « artefact » (étymologiquement « fait avec art ») désigne tout objet produit par le travail des êtres humains. Une statue, un vase ou une chaussure ou un marteau sont des artefacts.
Jusqu’au XVIIIe siècle, le mot « art » recouvre en français les deux domaines que nous distinguons aujourd’hui, l’un comme artistique, l’autre comme technique. Arts et techniques sont alors différenciés par leurs finalités (buts) différentes. Classiquement, les objets dits « techniques » ont une vocation utilitaire (satisfaction de besoins), les œuvres d’art visant quant à elles le « beau » (compris comme ce qui suscite un plaisir par la simple perception, plaisir que l’on qualifie d’« esthétique »).

2/ L’œuvre d’art comme imitation de la nature (mimésis)

L’art comme mimésis (imitation de la nature) : pour les Grecs, le cosmos est harmonie, équilibre, régularité. Une œuvre d’art imitée de la nature (corps, paysages…) capture cette harmonie : cette capacité à représenter parfaitement la nature détermine la valeur de l’œuvre aussi bien que celle de l’artiste.

Platon, critique cette conception de l’art comme mimésis.
Platon hiérarchise trois types d’être. Les idées contiennent l’« essence des choses », leur vérité. (Ex.?: idée de « la » chaussure, dont toute chaussure réelle est une instanciation.) Les choses (réelles, concrètes) sont fabriquées d’après ce monde des idées par les artisans ; nous en avons une connaissance sensible et pratique. (Ex. : une chaussure réelle, concrète.) Toute chose peut alors être considérée comme la représentation d’une idée. Enfin, la représentation d’une chose produite par les poètes ou les peintres qui en se contentent de les copier, ne capturant de la chose que son apparence, ne produisent que la représentation d’une représentation. (Ex. : la peinture d’une chaussure.)
Conclusion :  puisque la vérité de la chose (son intelligibilité) est donnée dans l’idée de cette chose qui en est une représentation, l’artiste qui la copie produit une représentation de cette représentation, et donc « l’art est éloigné de la vérité de deux degrés. » L’art qui imite ment. Il empêche de connaître l’essence des choses : il nous emprisonne dans les apparences. Etant l’ennemi du vrai, il est l’ennemi de la rationalité.

« L’imitation est donc loin du vrai, et si elle façonne tous les objets, c’est, semble-t-il, parce qu’elle ne touche qu’à une petite partie de chacun, laquelle n’est d’ailleurs qu’une ombre. » (PLATON, République, Livre X)

3/  L’œuvre d’art comme remède ou « purgation » des émotions (catharsis) :

« Nous voyons ces personnes, quand elles ont eu recours aux mélodies qui transportent l’âme hors d’elle-même, remises d’aplomb comme si elles avaient pris un remède et une purgation. »  (ARISTOTE, La Politique)

Pour Aristote, la catharsis est l’action de « nettoyer, purifier, purger » les émotions. C’est le rôle de la tragédie ou de la musique : « La tragédie (…) est une imitation faite par des personnages en action et non par le moyen de la narration, et qui par l’entremise de la pitié et de la crainte, accomplit la purgation des émotions de ce genre. »   (ARISTOTE, Poétique, vers -350)

Pour que cette catharsis fonctionne, il faut que le spectateur ressente les passions du personnage auquel il s’identifie. Il y a donc d’abord imitation des passions humaines par les acteurs (qui jouent des personnages), puis par les spectateurs (qui s’identifient aux personnages joués par les acteurs). Le spectateur éprouve les émotions du héros (« par l’entremise de la pitié et de la crainte »), ressent ses souffrances, vit ses dilemmes, et se trouve ainsi artificiellement purgé de ses propres passions.

Ex : peinture, cinéma, théâtre et littérature montrent le destin de héros en lutte contre des passions négatives (violence, haine…). En vivant ces destins par procuration, en suivant le cheminement moral du héros virtuellement, les spectateurs ou lecteurs sont censés être « édifiés » (moralement éduqués).

4/ Le beau comme qualité spécifique de l’œuvre d’art

Distinction importante :  agréable / beau / sublime

      • Est agréable ce qui plaît aux sens (odeurs, goûts, couleurs, sons…).
      • Est beau ce qui plaît à l’esprit (au-delà du plaisir des sens).
      • Est sublime ce qui, au-delà du beau, dépasse nos capacités représentatives et conceptuelles (Kant : « Est sublime ce en comparaison de quoi tout le reste est petit. »)

Pour Kant, l’agréable est subjectif, de sorte que pour ce qui est de l’agréable, on peut dire « à chacun ses goûts ». Au contraire, le beau peut s’imposer à tous ceux qui développent suffisamment leur goût (capacité de jugement esthétique) : « Le beau est ce qui plaît universellement sans concept ».

2 hypothèses classiques :  Soit la beauté est une qualité de l’objet créé, donc la beauté est objective (1). Soit la beauté est un sentiment dans l’esprit de l’artiste et du public, donc la beauté est subjective (2).

      1. Si le beau est une qualité de l’objet, alors il doit exister des critères objectifs permettant de le caractériser. Ainsi, dans l’Antiquité grecque, la beauté trouve son modèle dans l’harmonie du cosmos, de la nature. Pour Platon, une chose (ou une personne) est belle quand elle est parfaitement ce qu’elle doit être. (Ex. : un couteau est beau s’il concrétise parfaitement l’idée de couteau). Donc la beauté est objective. Tout le monde doit pouvoir trouver beau les mêmes objets, la forme de ceux-ci obéissant à des lois d’harmonie et d’équilibre (symétrie, nombre d’or, etc.)
        « La beauté est l’accord dans la proportion des parties entre elles et avec le tout. » (PLOTIN, Les Ennéades, vers 250)
         « La règle du Beau n’apparaît que dans l’œuvre et y reste prise, en sorte qu’elle ne peut servir jamais, d’aucune manière, à faire une autre œuvre. » (ALAIN, Système des Beaux-Arts, 1920)
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      2. Si le beau est un sentiment dans l’artiste puis dans le public grâce à la médiation de l’œuvre d’art, il est nécessairement subjectif. (Cf. problèmes de l’art autour de l’artiste et autour du public)
        • Du côté du public : « C’est le regardeur qui fait le tableau ». (Marcel DUCHAMP, peintre, 1896-1968)
          Le beau n’est pas une caractéristique de l’objet, c’est un sentiment de liberté et de vitalité  provoqué par la perception de certains objets. (Ex : nous allons trouver beau un morceau de musique qui nous rend joyeux). Donc la beauté est subjective… et tous les goûts sont dans la Nature.
          « L’homme peut bien voir le monde rempli à déborder de beautés, il n’a jamais fait que le remplir de sa propre ”beauté” : c’est-à- dire qu’il tient pour beau ce qui lui rappelle le sentiment de perfection avec lequel il se dresse, homme,  parmi toutes les choses. » (NIETZSCHE, 1888)
        • Du côté de l’artiste, le beau est l’effet de sa technique : « Les beaux-arts montrent leur supériorité précisément en ceci qu’ils donnent une belle description de choses qui dans la nature seraient laides ou déplaisantes. Les furies, les maladies, les dévastations de la guerre, peuvent en tant que choses nuisibles, être décrites de très belle façon et peuvent même être représentées par des peintures. » (KANT, Critique de la Faculté de Juger, 1790)

5/ L’œuvre d’art comme message / discours  (œuvre engagée)

« L’art est le plus court chemin de l’homme à l’homme. » (André MALRAUX)

L’art peut être compris comme un moyen de communication (quoi qu’il communique : émotions, message politique, valeurs, sens…). Le schéma fondamental de la communication s’applique sans problème à l’art : « émetteur » (= artiste) / « message » (= œuvre d’art) / « récepteur » (= public)

Les artistes « engagés » considèrent l’art comme un moyen de communiquer des idées, des émotions, incitant le public à échapper à ses habitudes, ses préjugés pour prendre conscience de la réalité qui l’entoure, le poussant à agir.

« L’écrivain engagé sait que la parole est action : il sait que dévoiler c’est changer et qu’on ne peut dévoiler qu’en projetant de changer.  »  (Jean-Paul SARTRE)

« Le but de l’art, le but d’une vie, ne peut être que d’accroître la somme de liberté et de responsabilité qui est dans chaque homme et dans le monde. »  (Albert CAMUS)

C. Problèmes autour du public

1/ Le plaisir esthétique comme stimulation de la vie

« Nous avons l’art pour ne point mourir de la vérité. » Nietzsche a une conception morale (paradoxale) de l’art comme mensonge utile permettant à l’être humain de supporter les limites désespérantes (la finitude) de sa vie. Nietzsche valorise précisément dans l’art ce que Platon lui reproche – à savoir n’être qu’un jeu d’apparences capables de produire des illusions.

« Le sentiment du beau, c’est-à-dire de l’augmentation du sentiment de puissance. » Comme Aristote qui considère l’art comme un remède, Nietzsche conçoit l’art comme un moyen de ce qu’il appelle la « grande santé », ce sentiment de puissance, de maîtrise de soi et de sa vie : « La volonté de puissance, le courage, la fierté, tout cela baisse en présence de la laideur, monte en présence de la beauté. »

« L’art lave notre âme de la poussière du quotidien. »  (PICASSO, peintre, 1881-1973). La conception de l’art comme remède contre les habitudes, les préjugés qui engourdissent notre vie, contre le formatage du quotidien est partagée par de nombreux artistes. L’art permet d’échapper à la tyrannie du présent, au « c’est comme ça et ça ne peut être autrement », en proposant d’autres expériences que celles, souvent limitées, que nous offre la vie quotidienne.

2/ La question du goût

La « délicatesse du goût » (selon Hume) : Le goût s’acquiert, se développe. Il est le produit d’une culture.  De sorte que le  jugement du « connaisseur » a davantage de valeur que celui d’une personne moins expérimentée.

« Bien que les principes du goût soient universels, et presque, sinon entièrement, les mêmes chez tous les hommes, cependant bien peu d’hommes sont qualifiés pour donner leur jugement sur une œuvre d’art, ou pour établir leur propre sentiment comme étant la norme de la beauté. » (HUME, De la norme du goût, 1745)

L’antinomie du goût (selon Kant) : D’un côté, le jugement de goût ne se fonde pas sur des concepts (les règles communes de l’entendement telles qu’elles s’appliquent en science) ; car sinon, il serait possible d’en « disputer », c’est-à-dire d’argumenter rationnellement pour conclure à la beauté d’une œuvre d’art, de démontrer qu’une œuvre est belle. D’un autre côté, le jugement de goût doit pouvoir se fonder sur des concepts sans quoi nous n’aurions pas cette certitude que nous avons de pouvoir partager notre jugement sur la beauté d’une œuvre d’art.

La solution de Kant : il y a bien des concepts à l’œuvre dans le jugement de goût mais ils sont particuliers : ce sont des « concepts indéterminés », les idées qui structurent naturellement la raison humaine. Un objet sensible (œuvre d’art, paysage, visage…) peut mobiliser ces concepts indéterminés présents par nature en tout être humain, réconciliant le sensible avec l’intelligible, indépendamment de tous les concepts acquis par l’expérience.

Le goût comme construction sociale (selon Pierre Bourdieu) : Nous percevons nos goûts, et donc nos pratiques culturelles, comme des préférences individuelles. Pour Pierre Bourdieu, elle dissimulent une logique sociale, version feutrée de la lutte des classes. Nos goûts sont prédéfinis par nos appartenances communautaires. Or chaque communauté est définie non seulement par son capital économique, mais aussi par son capital culturel. (Ex. : le goût pour l’opéra est censé caractériser les classes sociales supérieures.)
Les classes les plus dominantes sont en mesure d’imposer une hiérarchie des valeurs culturelles et donc de décider de ce qu’est le « bon goût », le goût « légitime » — ce qui leur permet de se distinguer des classes populaires dont les goûts seront qualifiés de « vulgaires ».

3/ Le public comme interprète

L’art propose au public des objets destinés à stimuler sa faculté d’interprétation.

Ex. : On qualifie en général d’« énigmatique » le sourire de la Joconde du fait précisément qu’il peut être interprété de multiples façons.

L’œuvre d’art propose une expérience singulière, un cadre fictif accueillant. S’adressant à la subjectivité de l’individu, l’éveillant, la stimulant, l’œuvre d’art permet à chacun de trouver ce qu’il voudra bien y mettre par l’interprétation qu’il produit.

« C’est le regardeur qui fait le tableau. » (Marcel DUCHAMP)

Ainsi, une œuvre de fiction propose au spectateur ou au lecteur de vivre une expérience. Comme pour n’importe quelle expérience réelle, celle expérience virtuelle sera interprétée par chacun selon sa culture et son histoire personnelle. L’œuvre d’art n’assène donc pas une vérité mais permet à chacun de construire la sienne, de trouver dans l’œuvre ce dont il a besoin.

Avoir compris une œuvre d’art, ce n’est donc pas y avoir saisi toutes les intentions de l’auteur mais se l’être appropriée, en avoir fait un objet d’expérience et ainsi enrichi sa vie.

« Toute œuvre d’art alors même qu’elle est une forme achevée et close dans sa perfection d’organisme exactement calibré, est ouverte au moins en ce qu’elle peut être interprétée de différentes façons, sans que son irréductible singularité soit altérée. Jouir d’une œuvre d’art revient à en donner une interprétation, une exécution, à la faire revivre dans une perspective originale. » « L’auteur offre à l’interprète une œuvre à achever. » (Umberto ECO, L’œuvre ouverte, 1962)

4/ L’art comme simple « distraction » (arts / loisirs)

Dans les sociétés modernes, l’art est devenu une industrie. La valeur d’une œuvre est alors définie comme celle de tout autre objet de consommation, par la loi de l’offre et de la demande. Les formes artistiques sont détournées de leurs fonctions originelles, au bénéfice d’une industrie des loisirs (les loisirs n’étant qu’un prolongement du travail).

« Dans le capitalisme avancé, l’amusement est le prolongement du travail. Il est recherché par celui qui veut échapper au processus du travail automatisé pour être de nouveau en mesure de l’affronter. »
« S’amuser signifie toujours : ne penser à rien, oublier la souffrance même là où elle est montrée. Il s’agit au fond d’une forme d’impuissance. »  (ADORNO et HORKHEIMER,  La dialectique de la raison, 1944)

Alors que l’art peut avoir des vertus émancipatrices (favorisant l’autonomie personnelle), il devient, lorsqu’il est réduit à un produit de consommation destiné à occuper notre temps de loisirs, un produit de consommation comme les autres et donc une source d’aliénation et de soumission à l’ordre marchand. L’épanouissement illusoire des loisirs serait un nouvel « opium du peuple » destiné à aider les être humains à supporter un mode de vie aliénant.

« La société de masse ne veut pas la culture, mais les loisirs (entertainement) et les articles offerts par l’industrie des loisirs sont bel et bien consommés par la société comme tous les autres objets de consommation. »  (Hannah ARENDT, La crise de la culture, 1961)