Le sujet dans la littérature

Robert Louis STEVENSON, L’Étrange cas du Dr Jekyll et de Mr Hyde (1885)

« Entre les deux, je le compris alors, il me fallait opter. Mes deux natures possédaient en commun la mémoire, mais toutes leurs autres facultés étaient fort inégalement réparties entre elles. Jekyll (cet être composite) éprouvait tantôt les craintes les plus légitimes, tantôt une alacrité avide de s’extérioriser dans les plaisirs et les aventures de Hyde et à en prendre sa part : Hyde au contraire n’avait pour Jekyll que de l’indifférence, ou bien il se souvenait de lui uniquement comme le bandit des montagnes se rappelle la caverne où il se met à l’abri des poursuites. L’affection de Jekyll était plus que paternelle ; l’indifférence de Hyde plus que filiale. Remettre mon sort à Jekyll, c’était mourir à ces convoitises que j’avais toujours caressées en secret et que j’avais depuis peu laissées se développer. Le confier à Hyde, c’était mourir à mille intérêts et aspirations, et devenir d’un seul coup et à jamais un homme méprisé et sans amis. Le marché pouvait sembler inégal ; mais une autre considération pesait dans la balance : tandis que Jekyll ressentirait cruellement les feux de l’abstinence, Hyde ne s’apercevrait même pas de tout ce qu’il aurait perdu. En dépit de l’étrangeté de ma situation, les termes de ce dilemme sont aussi vieux et aussi banals que l’humanité : ce sont des tentations et des craintes du même genre qui décident du sort de tout pécheur aux – 89 – prises avec la tentation ; et il advint de moi, comme il advient de la plus grande majorité de mes frères humains, que je choisis le meilleur rôle mais que je manquai finalement d’énergie pour y persévérer. »